Quand l'école a "envie de se bagarrer" pour les enfants autistes
Chaque académie a ouvert une classe maternelle pour autistes en septembre 2014. Objectif : améliorer la prise en charge de cette pathologie. A l’occasion de la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, jeudi 2 avril, francetv info s’est rendu dans une de ces unités d’enseignement, dans le Bas-Rhin.
A genoux sur le fauteuil de bureau bleu, mains sur le dossier, Kilyan attend que quelque chose se produise. "Qu’est-ce que tu veux Kilyan ? Tu veux tourner ?" Anna Golstein, la psychologue, répète la question à plusieurs reprises. Enfin, le petit garçon lève ses grands yeux bleus. "Tourne !" s’écrie-t-il. Un seul petit mot, salué par des applaudissements et des bravos. Anna, tout sourire, fait pivoter le fauteuil.
"Tourne" est l'un des premiers mots que Kilyan a prononcés. Un acte banal chez la plupart des enfants, mais un véritable exploit pour ce petit garçon de 4 ans atteint d'autisme. "Lorsqu’il a intégré l’unité d’enseignement maternelle pour autistes (UEMA) de l’école Ariane Icare, en septembre, il ne s’exprimait pas", se remémore sa mère, Sabrina Kwiek, venue l’accompagner en classe mardi 17 mars.
Quatre autistes sur cinq ne sont pas scolarisés
Comme Kilyan, un enfant sur 100 serait atteint d’autisme en France, selon l’association Vaincre l’autisme. Ce trouble envahissant du développement (TED), souvent accompagné de retard mental, se manifeste le plus souvent par des hypersensibilités sensorielles, des intérêts restreints, ainsi que des difficultés à établir des interactions sociales et à communiquer. Mais l'autisme reste méconnu et mal pris en charge en France, notamment à l’école : seuls 20% des enfants concernés sont scolarisés en milieu ordinaire.
Pour pallier ce retard, le troisième plan autisme du ministère de la Santé prévoyait la création d’une UEMA par académie à la rentrée 2014. "L'école Ariane Icare a été sélectionnée dans celle de Strasbourg, car elle disposait de deux salles pouvant être aménagées pour les besoins spécifiques des sept enfants", explique Catherine Bintz, directrice de l’Institut médico-éducatif (IME) Le Tremplin, qui encadre les éducatrices de la classe.
Un aménagement qui a un coût : le budget annuel de l'UEMA, pris en charge par l'Agence régionale de santé du Bas-Rhin, est de 280 000 euros. De quoi payer les taxis des enfants, le matériel éducatif, ainsi que les salaires des huit personnnes - une orthophoniste, une psychologue, une pédosychiatre, une psychomotricienne, deux éducatrices et deux aides médico-psychologiques -, qui participent au projet, piloté par une enseignante spécialisée.
"Renforcer les bonnes attitudes"
"Nous avons toutes choisi d'être ici, personne n'a été affecté de force", tient à préciser l'enseignante, Stéphanie Poos. Ce mardi matin, chacune a pris en charge un ou deux enfants, dans la petite salle de classe de Strasbourg. Les éducatrices privilégient au maximum le "un pour un", afin de permettre aux sept élèves de travailler dans les meilleures conditions. "Parfois, il s’agit simplement de leur apprendre à utiliser les objets de façon adaptée", explique la coordinatrice de l’UEMA, Marjorie Bildstein, occupée à réaliser des formes en pâte à modeler avec Mohammed.
A l’autre bout de la salle, Cassandra est assise face à la psychologue Anna Golstein. Des assiettes de couleur sont posées sur la petite table devant elle. "Cassandra, de quelle couleur est l'éléphant?" demande Anna Golstein. La petite fille, irritée par les cris d'un autre enfant, se bouche les oreilles avec les mains. La psychologue repose la question. "Jaune", hésite-t-elle enfin, en posant la figurine en plastique dans l’assiette correspondante. A chaque bonne réponse, Anna Golstein la félicite. Le but ? "Renforcer les bonnes attitudes" de Cassandra.
L’enseignement de l’UEMA repose en effet sur l’Analyse appliquée du comportement (ABA), une approche consistant à modifier le comportement des enfants autistes en récompensant les réponses correctes par un "bravo", un bonbon ou un jeu. "A partir de trois essais réussis, on considère que la compétence est acquise, détaille Marjorie Bildstein. Une autre éducatrice doit toutefois arriver au même résultat, pour s’assurer que l’exercice peut être reproduit même s’il est proposé par une personne différente."
S’exprimer avec des images
Si Mohammed apprend pour l'instant à se familiariser avec la pâte à modeler, Cassandra doit quant à elle identifier les figurines qu’on lui présente et les nommer. "Nous avons établi un programme sur trois ans pour chaque enfant, avec des objectifs à court terme, réalisables dans la semaine", explique Anna Golstein. Chacun bénéficie ainsi d’un encadrement personnalisé, adapté à ses besoins et à son rythme de progression.
Omar, doudou sous le bras, se met soudainement à pleurer. Le petit garçon de 4 ans déambule entre les tables et tire les éducatrices par la main. "Il veut quelque chose, mais je ne sais pas quoi. On va essayer les PECS", déclare Emmanuelle Mangin, la superviseure. La méthode PECS, ou "système de communication par échange d’images", permet aux autistes de s’exprimer en utilisant des pictogrammes. Chaque objet de la salle de classe a été photographié, depuis les tubes de peinture jusqu’aux madeleines du goûter. Les enfants peuvent ainsi coller les images dans un classeur à leur nom ou les tendre aux éducatrices pour formuler leurs demandes.
"Je n’ai jamais eu de problème de communication, au contraire ! sourit Emmanuelle Mangin. Alors l’autisme, qui empêche ces petits de s’exprimer, m’a interpellée." La psychologue, diplômée en ABA, vient une fois par semaine pour aider l’équipe à trouver les réponses adaptées à chaque enfant. Outre les PECS, des séances d’orthophonie dispensées par Julia Pichaud permettent aux élèves d’apprendre à communiquer. "Nous avons une approche globale de l’autisme : les membres de l’équipe ont des compétences complémentaires, ce qui nous permet d’avoir un maximum de solutions à offrir à ces enfants", souligne Catherine Bintz.
“On voit apparaître des regards vers les autres enfants”
Une méthode qui fait déjà ses preuves. "Lorsque Kilyan a été diagnostiqué autiste, à deux ans, j'ai dû jouer les AVS, explique sa mère, Sabrina Kwiek. Je l'ai accompagné à l'école deux demi-journées par semaine, parce qu'il était trop petit pour avoir une éducatrice." La proposition des médecins d'intégrer son fils dans une école normale a donc révolutionné le quotidien de la famille. Même constat pour Brigitte Antony, qui a été "beaucoup aidée" par la scolarisation de sa fille Cassandra. "Grâce à l'UEMA, j'ai découvert les méthodes PECS et ABA, précise-t-elle. En étant guidés par une équipe spécialisée, nous pouvons poursuivre à la maison le travail fait à l'école et aider notre fille à progresser."
Même les éducatrices ont été surprises par l’évolution rapide des enfants. "On ne savait pas dans quoi on se lançait, explique Julia Pichaud, l’orthophoniste. On pensait obtenir de tels résultats, mais pas aussi tôt dans l’année scolaire." Les progrès sont tels que les élèves de l'UEMA ont commencé à partager certaines activités avec le reste de l'école Ariane Icare.
Les récréations se font à présent en commun avec les enfants "neurotypiques", qui ne sont pas atteints d'autisme. Dans la cour, Kilyan, Mohammed et Cassandra restent toutefois dans leur coin. "On commence à voir apparaître des petites choses, des regards vers les autres enfants, mais il n’y a pas vraiment d’interaction", confie Marine Peresson, l’aide médico-psychologique. Elle joue avec Kilyan dans le bac à sable, où plusieurs petites filles cherchent à s’amuser avec lui. Sans grand succès. "Nous essayons de leur expliquer pourquoi les autistes ont une attitude différente et de leur conseiller des jeux auxquels ils peuvent participer, poursuit la jeune femme, du sable plein les cheveux. Mais nous ne voulons rien forcer pour l'instant."
Essayer d'intégrer une classe de CP ordinaire
Une expérience qui profite à tous. "En côtoyant des enfants autistes, mes élèves apprennent à accepter l’altérité dès le plus jeune âge", estime Sandrine Guillin, enseignante de la classe passerelle avant la petite section. Cassandra, qui grimpe pour l'instant sur le toboggan, s'est rendue à quelques reprises dans sa classe pour des séances de chant.
Les inclusions dans les autres classes sont surtout bénéfiques aux autistes, qui apprennent à interagir avec autrui. C'est le but de ces UEMA : permettre une prise en charge précoce des enfants autistes, dans un milieu le plus ordinaire possible. Et peut-être viser, dans trois ans, l'intégration d'une classe de CP classique avec une auxiliaire de vie scolaire.
Si cet objectif est encore éloigné, il semble de plus en plus réaliste. "Aussi petits qu’ils soient, ces enfants sont surprenants, avoue Marjorie Bildstein. Ils se sont adaptés à ce nouveau milieu et ont appris à nous faire confiance. On a envie de se bagarrer pour eux." Parents, éducatrices, directrice de l'école... Tous s'accordent à le dire : il faut que d'autres UEMA voient le jour. Le gouvernement en prévoit une par département d'ici 2017. "C'est bien, mais il en faudra d'autres, estime Stéphanie Poos, l'enseignante spécialisée. Ici, nous sommes dans une forme d'insatisfaction permanente : nous voulons voir tous ces enfants progresser."
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