Fin de vie : une "conférence de citoyens" aux méthodes et aux conclusions floues
Dix-huit Français ont débattu, pendant quatre weekends, sur la question de la fin de vie. Leur avis sur l'euthanasie et le suicide assisté a été rendu public lundi.
Ils étaient dix-huit, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, venant de toute la France. Lundi 16 décembre, le panel des citoyens désigné par l'Ifop, sur demande du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), a rendu son rapport sur la fin de vie. Une formule inédite : les participants à cette "conférence de citoyens sur la fin de vie" se sont réunis quatre week-ends, interrogeant personnels médicaux, juristes et familles de patients. Au terme de cette consultation, ils ont procédé à la rédaction d'un texte sur la manière de faire évoluer la loi Leonetti de 2005.
Leurs propositions sont radicales. Les dix-huit "citoyens" proposent notamment d'autoriser une forme de suicide assisté, qui s'apparente à une euthanasie : un médecin aurait le droit d'administrer un produit létal sur demande du patient. Il aurait même le droit, dans certains cas de figure encore à définir et avec l'accord de la famille, d'abréger la vie d'une personne qui ne serait plus dans la capacité d'en faire la demande. Mais comment en sont-ils arrivés à ces conclusions ?
Un débat public "a minima"
Cette "conférence de citoyens" s'est tenue à Paris à huis clos, pour éviter toute pression médiatique, entre novembre et en décembre. Les trois premiers week-ends ont été consacrés à des auditions de personnalités choisies par le CCNE, suivies de débats avec elles. Le dernier week-end, au cours duquel la synthèse de leurs avis a été rédigée, ils ont procédé à un vote sur le "suicide assisté". Deux tiers des "citoyens" se sont prononcés en faveur : la majorité absolue a conduit à l'adoption de cette préconisation.
Plutôt que des états généraux, initialement prévus, le CCNE a opté pour une consultation directe des citoyens. Jean-Claude Ameisen, le président du CCNE, défend cette formule : "Il y a déjà eu des débats publics organisés par la mission Sicard" l'an passé, explique-t-il. Jean, un ancien assureur qui passe sa retraite près de Dijon (Côte-d'Or) qui a participé à la "conférence des citoyens", admet que la méthode est un peu légère : "Ce serait bien que ce type de consultation soit menée à plus grande échelle." Une suggestion qui n'est pas à l'ordre du jour, d'autant que le CCNE doit à présent organiser des états généraux sur la Procréation médicale assistée (PMA).
Un panel "divers" mais "pas représentatif"
Dans le cadre d'un débat aussi complexe et houleux que celui sur l'euthanasie, faire appel au seul avis de dix-huit personnes a de quoi étonner. L'institut de sondage Ifop s'est défendu, lors de la conférence de presse lundi, d'avoir choisi un "panel représentatif" des électeurs. "Nous avions plutôt un objectif de diversité qui prenne en compte l'âge, le sexe, le métier, la région d'origine, les sensibilités politiques et religieuses, etc.", a insisté le représentant de l'institut.
Les citoyens devaient être désignés par tirage au sort, comme pour un jury d'assises, mais cela ne s'est pas exactement passé de la sorte. Clara, une étudiante lyonnaise, nous assure qu'elle a été contactée par téléphone parce qu'elle "connaissait quelqu'un qui connaissait quelqu'un à l'Ifop". L'éventail des participants laisse penser que le choix de la "diversité" a été établi au détriment de celui de la "représentativité" des Français, habituellement pratiquée pour un sondage à grande échelle. L'avis publié ne peut en aucun cas être extrapolé au niveau national.
Des termes qui sèment la confusion
Le CCNE ayant décidé d'intervenir le moins possible, les dix-huit citoyens ont eu le loisir de définir eux-mêmes les termes discutés. D'où certaines libertés prises avec les définitions habituelles.
Deux-tiers des citoyens du panel – soit la majorité absolue – jugent ainsi que le "suicide assisté" inclut dans sa définition l'administration par soi-même ou par un tiers d'une substance létale. "Quand il y a consentement, c'est un suicide assisté, y compris dans le cas où un tiers administre le produit létal", écrivent-ils. Autrement dit, cette acception est plus large que celle habituellement conférée au suicide assisté, où c'est le patient et le patient seul qui doit mettre fin à ses jours. Les dix-huit citoyens proposent, en complément, une "exception d'euthanasie" dans les cas "infimes" où la personne est en fin de vie mais n'est plus en mesure de donner son accord.
Ces suggestions rappellent le dispositif législatif des Pays-Bas. Elles tranchent avec celles de la mission Sicard comme du CCNE, qui a lui-même rendu un avis en juillet, à la demande de François Hollande. Elles risquent surtout de semer la confusion dans l'opinion publique, dans la mesure où les termes choisis euphémisent les réalités qu'ils décrivent : puisque le corps médical gagne le droit de faire mourir un patient, pourquoi ne pas parler d'euthanasie ? Quelles substances seraient utilisées (injection par intraveineuse, médicaments, etc.) ? Qui pourrait y avoir accès (personnes en phase terminale, personnes handicapées, etc.) ? Autant de questions qui restent en suspens.
Quelles suites politiques ?
Comme le soulignait Le Monde début décembre, parmi les critiques qui s'élèvent contre une telle méthode, réside "l'idée que cette étape aurait été voulue par l'Elysée pour gagner du temps. Ou pour obtenir enfin un avis pro-euthanasie, après l'avis négatif du CCNE."
"L'avis citoyen" ainsi rédigé, que va-t-il devenir ? Le CCNE, qui ne l'a pas commenté sur le fond, doit rendre un rapport sur ce texte au mois de janvier. Le gouvernement va-t-il suivre l'avis de ces dix-huit citoyens, ou celui, plus réservé, de la commission Sicard, du CCNE ou de l'ordre des médecins, tous opposés à l'euthanasie ? Réponse dans quelques mois, à l'été 2014, date à laquelle le projet de loi devrait être débattu au Parlement.
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