A la prison de Mont-de-Marsan, on mise sur une plus grande liberté des détenus
S'inspirant d'une méthode espagnole, ce centre pénitentiaire des Landes offre à certains prisonniers un régime de détention plus souple. Reportage.
Le directeur de la prison ouvre la marche pour la visite lorsqu'un détenu d'une vingtaine d'années, tout sourire, passe devant lui en lançant un "bonjour !" sonore pour tirer la porte de sa cellule. Bienvenue au sein du module Respect du centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan (Landes). Un régime de détention original qui offre au détenu davantage de liberté en échange de davantage de responsabilités, avec toujours la menace d'un retour à la case départ en cas de faux pas.
Une quasi-disparition de la violence
A l'intérieur, l'ambiance est plus proche du hall de gare que du goulag soviétique. On serre des mains, on papote avec les gardiens, on passe les portes en direction de la salle de sport, de la bibliothèque ou de la cour de promenade. "Les cellules, comme le reste du bâtiment, sont entièrement ouvertes pour les détenus de 7h15 à 12h15 et de 13h15 à 18 heures", détaille André Varignon, le chef d'établissement.
S'inspirant de la méthode espagnole "Respeto", mise en place il y a vingt ans, Mont-de-Marsan est la première prison française à s'être lancée dans l'aventure en janvier 2015 avec pour objectif de diminuer la violence en détention. Un an après le début de l'expérience, André Varignon se félicite des premiers résultats : "On mesure une chute considérable de la violence. Depuis le début de l'opération, nous n'avons recensé aucun acte envers les surveillants et seulement deux ou trois entre détenus."
La fin des bruits métalliques de serrure
Le centre, ouvert en 2008, a inclus dans ce programme 160 condamnés du centre de détention (réservé aux longues peines) et une centaine de détenus de la maison d'arrêt (destinée aux courtes peines et aux prévenus), soit environ 40% des quelque 600 détenus de l'établissement. Mais tous ne peuvent pas y prétendre : des individus suspectés de radicalisation islamiste n'ont, par exemple, aucune chance d'être sélectionnés. "Comme tout est ouvert, il y a trop de risques", explique André Varignon.
Pour les surveillants pénitentiaires, le module Respect offre la possibilité de travailler "dans un climat plus apaisé, plus serein avec un bâtiment plus propre et une diminution du bruit" en raison de la disparition des "clacs" métalliques incessants, vante André Varignon. Les "porte-clefs" (selon le surnom qu'ils se donnent) ont également redonné du sens à leur métier, assure le directeur : "Ils ont réussi à s'approprier un nouveau rôle de médiation avec les détenus. Et ça vaut vraiment le coup."
Les surveillants ont retrouvé une autorité saine et intelligente.
Une vision idyllique toutefois tempérée par une surveillante, au détour d'un couloir : "C'est bien, mais ça représente quand même une surcharge de travail, car on manque de moyens."
Une paire de baskets en échange d'un bon comportement
Le système repose sur la responsabilisation et l'autonomie des personnes incarcérées. Quatre commissions, gérées à tour de rôle par les détenus, organisent la collectivité : l'accueil des nouveaux, l'entretien des parties communes, le règlement des conflits et les activités. Quand ils se comportent bien, les détenus sont félicités par l'administration pénitentiaire. Celle-ci peut même décider de leur remettre des "avantages en nature", indique André Varignon : "Une paire de baskets, un kit d'hygiène bien-être avec des produits de marque ou encore la gratuité de la télévision pendant quinze jours..."
Des surveillants se sont retrouvés devant des détenus en larmes après qu'ils les ont félicités pour leur comportement.
Un système de bons points qui sonne comme une petite révolution dans l'univers carcéral. "Notre culture pénitentiaire est plutôt axée sur la sécurité. Les surveillants ont davantage l'habitude d'en rester à la discipline et au respect de la règle", raconte le chef d'établissement. "On sort de l'infantilisation, ils n'ont plus besoin d'un gardien pour aller d'un point A à un point B", renchérit Nicolas Guillotte, conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation.
Certaines activités se déroulent parfois en autogestion, que ce soit les arts plastiques ou la cuisine. "Ensuite, il faut faire attention à ne pas encourager la formation de 'caïds' au sein de la détention", prévient André Varignon. En confiant plus de responsabilités à certains détenus, les surveillants doivent veiller aux éventuels abus de pouvoir.
"Maintenant, c'est plus cool"
Pour Félix, intégré au module depuis son inauguration, le système ne présente que des avantages : "Ça a tout changé dans ma relation avec les surveillants, avec les détenus... J'ai connu un système un peu 'hard' avant, maintenant c'est plus cool." Ce fan du PSG de 53 ans, choisi par l'administration pour répondre à nos questions, a interrompu la partie de football lancée sur sa console de jeux pour parler de son parcours. En un an, il assure qu'il a obtenu plus facilement des permissions. Il explique avoir trouvé un métier en vue de sa sortie prochaine avec l'obtention d'un CAP d'agent de propreté.
Félix apporte néanmoins un bémol : il pointe le manque d'accompagnement du Spip (Service pénitentiaire d'insertion et de probation). "Moi ça va, j'ai un super conseiller. Mais je vois les jeunes autour de moi qui galèrent, qui ne sont pas accompagnés et qui se découragent." Un voisin rejoint la conversation et confirme : "Je connais un détenu qui est ici depuis treize mois et qui n'a toujours pas vu de conseiller."
Les conseillers du Spip voient en effet les dossiers s'entasser avec seulement huit équivalents temps pleins pour plus de 600 détenus. "On pourrait aller plus loin dans l'accompagnement, mais on manque clairement de moyens", se justifie Nicolas Guillotte, qui a plus de 90 détenus à suivre. Ce dernier, qui se montre enthousiaste sur les modules "Respect", note malgré tout un effet pervers : "Comme les modules 'Respect' attirent les détenus sans trop de problème, les problématiques se concentrent sur les autres bâtiments de la détention avec des gens en grandes difficultés."
"Ce n'est pas le Club Med"
A voir le sourire sur les visages croisés dans les couloirs, il est possible de se dire que ces détenus sont bien chanceux. "Mais le module Respect, ce n'est pas le Club Med. Ils ont des avantages, mais en contrepartie d'un comportement différent", tempère Stéphane Trouja, directeur pénitentiaire d’insertion et de probation. Il insiste sur la charte d'engagement signée par les détenus qui impose certaines règles strictes : obligation de participer à 25 heures d'activités par semaine, de dire bonjour, de soigner son hygiène corporelle...
"Paradoxalement, c'est l'endroit de l'établissement où il y a le plus de règles à respecter", souligne Nicolas Guillotte. Loin du club de vacances, le directeur décrit plutôt un fonctionnement proche de l'armée : "Ils sont réveillés tous les matins à 7h30, le lit doit être fait... Ils ont de vraies contraintes."
On est des personnes fragiles, pas toujours habituées à respecter les règles. Et le module Respect, ça nous rappelle aussi que, dans la société, il y a des règles.
Si les détenus du module se laissent aller au niveau de leurs obligations, ils sont sanctionnés par un "moins" dans une grille d'évaluation. Au bout de trois "moins" dans le mois, ils peuvent recevoir un avertissement ou être directement contraints de retourner à un régime de détention "ordinaire", selon la décision de la commission de discipline qui se réunit chaque semaine. "Depuis l'an dernier, on a déjà renvoyé une centaine de personnes, indique André Varignon, car si on peut se permettre de prendre des risques sur les détenus que l'on sélectionne, il faut que l'on soit très rigoureux quand le contrat n'est pas respecté." Lorsqu'un détenu est renvoyé, il doit attendre quatre mois avant de faire une nouvelle demande pour rejoindre le module.
La majorité des exclusions concerne une violation du règlement, comme la possession d'un téléphone portable ou la consommation de drogues. D'autres concernent des détenus qui ne parviennent pas à vivre en collectivité. D'ailleurs, certains ne se montrent pas du tout intéressés. "Ils ne veulent pas subir les contraintes, ils préfèrent se lever tard... Ce sont souvent des solitaires", commente le chef d'établissement.
Un outil pour améliorer la réinsertion
L'objectif premier du module Respect reste la diminution de la violence en détention, mais l'administration pénitentiaire a compris qu'elle pouvait aussi l'utiliser comme outil de réinsertion. "Des détenus, qui n'arrivaient pas à s'investir dans les activités ou dans le parcours professionnel, se sont révélés dans le module Respect", confirme Nicolas Guillotte. "Ces personnes sont plus actives, et donc plus impliquées dans la préparation de leur sortie", ajoute Stéphane Trouja.
Pour l'instant, seules trois prisons en plus de Mont-de-Marsan ont mis en place ce type de système, mais "suite au bilan positif de l’expérimentation, vingt autres établissements se sont portés candidats", indique l'administration pénitentiaire. Le personnel de Mont-de-Marsan estime d'ailleurs que la méthode pourrait être appliquée à l'ensemble des prisons françaises. "Avec parfois des freins comme la vétusté des bâtiments", nuance André Varignon.
"La possibilité de changer une personne"
Un an après, aucun chiffre ne permet de mesurer l'impact sur la réinsertion des détenus. Les plus optimistes verront dans le module Respect la possibilité de faire baisser le taux de récidive. "Si on part du principe que la détention c'est, au-delà de la punition, la possibilité de changer une personne, cela ne peut être qu'un bon outil", considère Nicolas Guillotte.
Après seize ans de détention, Félix a la possibilité de demander une libération conditionnelle dans l'année s'il trouve un travail à l'extérieur. Mais en regardant par la fenêtre, il avoue une petite appréhension : "Je n'aimerais pas que cela intervienne trop vite."
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