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Outreau : au procès de Daniel Legrand, un juge Burgaud fidèle à lui-même

Le magistrat, dont l'instruction de l'affaire Outreau a été publiquement contestée, a témoigné par visioconférence vendredi au procès de Daniel Legrand, jugé jusqu'au 5 juin devant la cour d'assises des mineurs de Rennes.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Fabrice Burgaud assiste à une audience de la Cour de cassation, le 29 août 2014. (FRED DUFOUR / AFP)

La France avait découvert son visage et sa voix en février 2006, lors de son passage devant la commission d'enquête parlementaire sur le fiasco judiciaire d'Outreau. Fabrice Burgaud, juge d'instruction contesté de l'affaire, n'a guère changé depuis. Si ce n'est un costume plus ajusté que ceux qu'il portait à l'époque, son visage est toujours aussi juvénile et son attitude toujours aussi crispée.

Aujourd'hui magistrat à la Cour de cassation et âgé de 43 ans, il a été longuement entendu par visioconférence au procès de Daniel Legrand devant la cour d'assises des mineurs, à Rennes. Cité comme témoin par la partie civile, il a commencé par exposer librement sa vision de l'affaire. Selon lui, "les services de police ont fait un travail minutieux pour vérifier les déclarations des enfants, ce qui a permis de déjouer des fausses pistes et de mettre hors de cause des personnes". Dans ce dossier, environ un tiers des 70 adultes accusés par les enfants ont fait l'objet de vérifications, dix-huit ont été mis en examen, incarcérés et jugés, et treize acquittés.

L'apparition du nom Legrand

Daniel Legrand faisait partie de ces derniers. Sur le cas précis du jeune homme, rejugé pour des viols et des agressions sexuelles qu'il aurait commis sur les enfants Delay du temps de sa minorité, Fabrice Burgaud a rappelé les éléments à charge dont il disposait à l'époque. Des éléments qui reposaient essentiellement sur les accusations de Myriam Badaoui.

Daniel Legrand est apparu dans le dossier en août 2001 après l'inscription sur une liste rédigée par l'assistante maternelle de Dimitri Delay d'un "Dany legrand en Belgique (sic)". S'il n'a jamais été certain que l'enfant avait évoqué un nom de famille, et pas une personne de grande taille, les policiers se sont mis en quête d'un Dany Legrand et ont trouvé deux Daniel Legrand, père et fils, habitant Wimereux (Pas-de-Calais) et dont le plus jeune avait été arrêté de l'autre côté de la frontière pour une histoire de chèque volé.

Le juge Burgaud le concède : il est impossible alors de dire si "l'un des deux, les deux ou aucun des deux" n'a de lien avec le réseau de cassettes pédophiles dénoncé par Myriam Badaoui, censé avoir comme plaque tournante un sex-shop de la rue des Religieuses, à Outreau. A ce stade, la mère des enfants Delay, dont trois sont partie civile au procès, ne parle que d'un "monsieur du sex-shop". Sauf que, lors de son audition du 27 août 2001 dans le bureau du juge d'instruction, Myriam Badaoui fait elle-même le lien entre le "Dany Legrand" évoqué par son fils et deux Daniel Legrand, dont l'un est propriétaire d'un sex-shop et père d'un fils qui porte le même prénom.

"Je n'ai pas soufflé de noms"

Le président de la cour d'assises s'en étonne : comment Myriam Badaoui valide-t-elle presque immédiatement une information policière qui remonte à quatre jours et qui n'a pas été vérifiée ? Le juge lui aurait-il soufflé les noms ? Fabrice Burgaud s'attendait à cette question, puisqu'elle avait déjà été soulevée à la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire Outreau et qu'il s'agit de la version de Myriam Badaoui après ses rétractations. Il a formulé la même réponse laconique : "Je ne soufflais pas de noms lors des auditions et toutes mes questions apparaissaient dans les procès-verbaux". Dans le PV du 27 août, la réponse de Myriam Badaoui tient sur une demi-page, sans relance.

Malgré ses dénégations, le magistrat est apparu embarrassé par les questions incisives du président Philippe Dary, qui mène les débats de main de maître depuis le début du procès, et qui fut lui-même juge d'instruction pendant longtemps. Il a notamment vivement critiqué la gestion des albums photos pendant l'enquête du juge Burgaud. La plupart ne contenaient que des photos de personnes mises en cause, de fait que chaque visage pointé confirmait un soupçon. La seule planche bien faite concernait justement les Legrand. Mais elle n'a jamais été montrée aux Delay, les seuls enfants qu'ils étaient pourtant censés avoir agressés. "C'est assez surprenant", a tancé Philippe Dary.

Une pochette et trois PV sur les Legrand

"Je ne voulais pas soumettre les enfants à une nouvelle audition", a tenté Fabrice Burgaud sans convaincre. Pour les autres albums, il a rejeté la faute sur les policiers, expliquant maladroitement qu'ils n'avaient pas pris la peine de rajouter des photos d'inconnus au vu du nombre de personnes impliquées dans le dossier. Le directeur d'enquête, Didier Wallet, et le commandant Jean-Yves Boulard ont au contraire affirmé à la barre la veille qu'ils avaient agi sur instruction du juge. Jean-Yves Boulard a par ailleurs raconté comment il s'était retrouvé avec "une maigre pochette contenant trois PV" pour aller arrêter deux têtes de réseau pédophile, Daniel Legrand père et fils. A la place, il avait trouvé un ouvrier dormant dans sa voiture et un adolescent squattant dans l'appartement vide de sa sœur.

A la question "Ne pensez-vous pas que cette instruction n'a pas été bien menée", posée par la défense, le juge Burgaud admet du bout des lèvres : "Il y a des éléments qui auraient pu être améliorés, j'en conviens tout à fait."

Pressé de répondre sur le peu d'éléments qui restaient dans le dossier contre les Legrand à l'issue de l'instruction, le magistrat, qui passe visiblement un mauvais moment, écourte ses réponses, "ne se souvient plus" et balaie d'un revers de main : "Ce n'est pas moi qui ai renvoyé tous ces gens-là devant une cour d'assises." En octobre 2003, Fabrice Burgaud n'est en effet plus à Boulogne-sur-Mer depuis un an. Il a été nommé à un poste bien plus prestigieux, à la section antiterroriste du parquet de Paris. Depuis, il a été épargné par les rapports de l'Inspection générale des services judiciaires et du Conseil supérieur de la magistrature en 2006 et en 2009.

Le procès va se poursuivre la semaine prochaine, avec l'audition, mercredi, de Myriam Badaoui, condamnée à quinze ans de détention en 2004 pour viols d'enfants dans cette affaire.

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