Bettencourt, Taubira, "Sarkothon"… Les approximations de Nicolas Sarkozy
Mis en examen, l'ancien président de la République a pris "les Français à témoin", lors d'une interview diffusée mercredi sur TF1 et Europe 1. Francetv info vérifie ses déclarations.
Il a voulu "s'expliquer" face aux Français. Après sa mise en examen dans une affaire de trafic d'influence, Nicolas Sarkozy s'est exprimé au cours d'un entretien accordé à TF1 et Europe 1, mercredi 2 juillet.
Une première depuis son départ de l'Elysée, une première aussi depuis la fin de sa garde à vue. Au cours de cette interview, prenant "les Français à témoin", Nicolas Sarkozy est venu dire sa "vérité", ce qui ne l'a pas empêché de se laisser aller à quelques approximations. Francetv info passe au crible ses déclarations.
"Une volonté de m’humilier en me convoquant sur le statut de la garde à vue, qui n’est pas un statut normal"
C'est plutôt faux. Certes, c'est la première fois qu'un ancien président de la République a été placé en garde à vue. Mais cette procédure n'est pas rare en France : hors crimes et délits routiers, 286 337 personnes ont été mises en garde à vue en 2013 selon les statistiques officielles (PDF).
Et elle ne dépend pas de la gravité des faits, mais répond à des conditions précises, détaille Le Monde. "La garde à vue permet de garder le suspect à disposition de la justice, d’organiser des confrontations et des auditions et évite que les suspects se concertent", explique Slate.fr. La garde à vue de Nicolas Sarkozy "semble régulière et justifiée", estime l'avocate à la Cour d'appel de Paris Sandrine Pégand.
Jérôme Cahuzac "n'a pas fait une seconde de garde à vue", fait valoir l'ancien chef d'Etat. Et pour cause : l'ex-ministre du Budget a demandé à être entendu par les juges pour passer aux aveux. Mais le site rappelle que de nombreuses autres personnalités politiques ont fait l'objet d'une telle mesure pendant ou après leur mandat.
"J'ai été lavé de toute accusation" dans l'affaire Bettencourt
C'est plutôt faux. L'ancien président de la République avait été mis en examen en mars 2013 pour abus de faiblesse dans cette affaire, les juges cherchant à savoir s'il avait obtenu de l'argent appartenant à Liliane Bettencourt, la richissime héritière de L'Oréal.
Nicolas Sarkozy a effectivement bénéficié d'un "non-lieu", mais cela ne signifie pas exactement qu'il a été "lavé de toute accusation", comme il le prétend. En effet, non-lieu n'équivaut pas à innocence. Défini par l'article 177 du code de procédure pénale, il peut être prononcé "si le juge d'instruction estime que les faits ne constituent ni crime, ni délit, ni contravention, ou si l'auteur est resté inconnu, ou s'il n'existe pas de charges suffisantes contre la personne mise en examen".
"Pas de charges suffisantes", c'est ce qui s'est passé dans l'affaire Bettencourt. Dans leur ordonnance de renvoi, les juges avaient estimé que Nicolas Sarkozy "avait connaissance de l'état de vulnérabilité particulièrement apparent de Madame Bettencourt" et qu'il est allé "deux fois" au domicile de la milliardaire, dont la deuxième fois pour "obtenir un soutien financier". Mais ils n'établissaient pas de "lien direct" entre un éventuel "comportement abusif" de Nicolas Sarkozy et les sommes d'argent retirées en liquide par le gestionnaire de fortune des Bettencourt, Patrice de Maistre.
Christiane Taubira "a été convaincue de mensonge" pour les écoutes téléphoniques
C'est compliqué. Nicolas Sarkozy évoque un "mensonge", Christiane Taubira un "malentendu" à propos de son intervention sur TF1, le 10 mars. A la question de savoir si elle a découvert l'existence de la mise sur écoute de l'ancien président "comme nous, en lisant le journal Le Monde à 13 heures vendredi 7 mars, ou avant ?", la garde des Sceaux répondait : "La réponse à votre question est très claire : je ne le savais pas avant."
Sauf qu'en conférence de presse, le 12 mars, Christiane Taubira brandit des documents qui contredisent sa version. Une lettre datée du 26 février, transmise à la ministre, contenait bien des informations au sujet des écoutes. En réalité, selon i-Télé et Le Nouvel Obs, si la directrice de cabinet de la ministre était bien au courant dès la fin février, elle avait omis de prévenir Christiane Taubira elle-même. A en croire cette version, elle n'aurait donc pas menti.
"Ma campagne n'a pas coûté un centime au contribuable"
C'est plutôt faux. Effectivement, contrairement aux autres candidats, Nicolas Sarkozy n'a rien touché de l'Etat au titre du remboursement de ses frais de campagne. Et cela à cause du rejet de ses comptes par le Conseil constitutionnel, en juillet 2013, à la suite d'un dépassement de "466 118 euros" du plafond autorisé.
Cette décision a donc privé l'ex-candidat du remboursement de quelque dix millions d'euros. "Ma campagne n’a pas coûté un centime au contribuable !", conclut donc Nicolas Sarkozy. Mais l'UMP, n'ayant pas les moyens d'éponger cette dette, avait lancé une grande campagne de dons auprès de ses sympathisants.
Ces dons peuvent donner droit à une réduction d'impôts à hauteur de 66% de leur montant et dans la limite de 20% du revenu imposable. Les personnes qui ont participé au "Sarkothon" ont donc pu obtenir une réduction d'impôts. Au total, cela représenterait 7,2 millions d'euros au maximum, calcule Le Monde. Autant de manque à gagner fiscal pour l'Etat, même si cela reste moins que le remboursement des frais si les comptes avaient été validés.
"En ce qui concerne ma campagne, il n'y a jamais eu le moindre système de double facturation"
Deux versions s'affrontent. "Il ne s'agit pas de ma campagne", assure Nicolas Sarkozy quand on l'interroge sur l'affaire Bygmalion. La société de communication est soupçonnée d'avoir imputé des factures à l'UMP pour masquer des dépenses trop élevées lors de sa campagne présidentielle de 2012.
"Il n'y a jamais eu le moindre système de double facturation", jure l'ancien candidat. La justice ne s'est pas encore prononcée dans cette affaire, mais Nicolas Sarkozy est contredit par son ancien directeur adjoint de campagne.
Après les accusations de l'avocat de Bygmalion, Jérôme Lavrilleux avait confirmé que des meetings de Nicolas Sarkozy avaient été "indûment" pris en charge par l'UMP. Selon le JDD, l'ancienne directrice des affaires financières du parti aurait été la "cheville ouvrière" du système, en tenant une double comptabilité.
"Un magistrat dont l’obsession politique est de détruire la personne contre qui il doit instruire"
C'est exagéré. "Tout justiciable a le droit à un juge impartial", martèle Nicolas Sarkozy, qui évoque une "instrumentalisation politique d'une partie de la justice" contre lui. Pour appuyer cette thèse, il brandit un courrier du Syndicat de la magistrature datée du 2 mai 2012, avant le second tour de l'élection présidentielle.
Dans cette "lettre ouverte", Matthieu Bonduelle, alors président de l'organisation syndicale marquée à gauche, dénonce la politique de Nicolas Sarkozy en matière judiciaire. "Vous n’avez cessé d’affaiblir l’autorité judiciaire et d’attiser la haine de la justice", accuse-t-il, listant de nombreux griefs à l'égard du président-candidat. Le Syndicat explique avoir donc "décidé en conscience d’appeler à voter contre [lui] au second tour de l’élection présidentielle".
Pour autant, difficile d'en conclure à la partialité des juges qui ont instruit l'affaire pour laquelle Nicolas Sarkozy est aujourd'hui mise en examen. Certes, Claire Thépaut, magistrate mise en cause par l'ex-président, a bien eu des engagements syndicaux, mais n'a jamais publié de tribune contre lui, et "rien n'indique un passé de militante antisarkozyste", explique Le Monde. Le quotidien rappelle également qu'elle ne travaille pas seule dans ce dossier.
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