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Plongée dans un mauvais polar, La Ciotat veut en finir avec sa réputation sulfureuse

Article rédigé par Catherine Fournier - A La Ciotat,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le port de La Ciotat (Bouches-du-Rhône), le 5 janvier 2016. (CATHERINE FOURNIER / FRANCETV INFO)

Le personnel de l'hôtel de ville s'est rassemblé, mardi, pour protester contre les menaces et les rumeurs dont la mairie, visée par des tirs, fait l'objet. Retour sur une affaire qui a plombé l'ambiance de cette ville des Bouches-du-Rhône.

Ils se sont timidement rassemblés devant leur mairie. Plusieurs dizaines d'employés municipaux de La Ciotat (Bouches-du-Rhône) ont répondu à l'appel de trois syndicats, mardi 5 janvier. "Nous vous invitons à nous réunir dans le calme devant l'hôtel de ville pour dire non à la violence", disait le tract distribué à la fin de l'année. Hôtesses d'accueil, fonctionnaires, conseillers municipaux sont donc sortis durant un quart d'heure environ sur le perron de ce vieux bâtiment décati, qui abritait jusqu'à la fin des années 1980 les bureaux des chantiers navals. Entre deux claquements de bises pour se souhaiter la "bonne année", les fonctionnaires ont affiché leur soutien au maire, Patrick Boré (Les Républicains), menacé de mort avec sa femme avant les fêtes. L'édile, "ému", les a brièvement rejoints par solidarité pour "leur institution", également visée par des tirs de chevrotine dans la nuit du 27 au 28 décembre.

Deux auteurs casqués ont rendu visite à l'épouse du maire, sans être très clairs sur leurs revendications. Selon elle, ils ont menacé de mort le couple si Patrick Boré ne "prenait pas les décisions nécessaires avant le 31 décembre pour cesser (...) de leur enlever le pain de la bouche". Dans les dix jours qui ont suivi, les tireurs s'en sont pris au domicile et à la voiture de l'adjoint à l'environnement, Noël Collura, à sa résidence hôtelière ainsi qu'à la mairie.

"La Ciotat, ce n’est pas Chicago"

Les portes vitrées du hall, perforées par les balles, ont rapidement été remplacées. "Pétard, heureusement que c'était la nuit car on était juste derrière !" s'inquiète a posteriori une hôtesse d'accueil. 

Des vestiges de ce mauvais polar subsistent sur les fenêtres du premier étage, qui abrite les bureaux du service d'urbanisme. De quoi nourrir les spéculations autour du mobile des tireurs. La piste d'un différend immobilier est explorée par les enquêteurs. Sur le port ensoleillé, un riverain en pause déjeuner glisse avoir entendu parler d'un conflit autour de "la construction d'un immeuble sur un terrain de pétanque –institution locale– dans le quartier des Matagots. Plus que les boules, ça gênerait les trafics", croit-il savoir. A la mairie, l'hypothèse est balayée d'un revers de main. "S'il y a des embrouilles immobilières, c'est de privé à privé. Non seulement le plan local d'urbanisme est intercommunal, mais nous n'avons pas de bisbilles autour des projets en cours", relève une source proche du maire.  

L'autre piste, privilégiée semble-t-il par la police, est interne. Sur la petite vingtaine d'employés municipaux remerciés en 2015, deux ont été suspendus à l'issue d'un conseil de discipline à l'automne, précise Le Parisien. L'un d'entre eux, gardien du parc du Mugel, a obtenu sa réintégration. Mais il est inquiété dans une autre affaire : il doit être jugé pour avoir déclenché plusieurs incendies dans la zone qu'il était censé surveiller. Gérard Pèpe, chargé de la sécurité de la ville, en est convaincu : les suspects "sont probablement des agents municipaux. Ces petits cons, j’espère que l’on va les mettre au frais très rapidement et que l’on n’en parlera plus. La Ciotat, ce n’est pas Chicago", a-t-il déclaré au micro d’Europe 1.

La sortie est mal passée auprès de ses collaborateurs. C'est justement pour en finir avec la mauvaise réputation de La Ciotat et de son personnel que les syndicats ont appelé à se rassembler. "Il a été dit dans la presse que les membres du personnel de la mairie étaient tous mafieux ! C'est inadmissible", estime Georges Vera, délégué Force ouvrière. Le maire, qui entame son troisième mandat, s'est lui aussi fâché contre les quelques journalistes venus assister au rassemblement : "Venez au salon nautique car d'habitude, vous n'y êtes pas ! Parce qu'on ne vient pas qu'aux enterrements, on vient aussi aux mariages !" tacle-t-il.

L'ombre des affaires Guérini et Yann Piat 

Reste que La Ciotat a un passif dont il n'est pas aisé de se défaire. Comme le rappelle Le Parisien, les menaces et les intimidations envers les élus sont légion : en avril 2002, Patrick Boré, tout juste élu, avait déjà été victime d'un plasticage sur sa maison. Quelques semaines plus tôt, son directeur de la communication avait été visé de cinq balles dans les jambes. Les auteurs n'ont jamais été retrouvés. Trois ans plus tôt, en 1999, Geneviève Bobbia-Tosi, adjointe chargée de l'urbanisme, avait vu sa maison et son lieu de travail incendiés. En 1998, un élu socialiste, un revolver sur la tempe, avait été sommé de quitter la ville. En 1992, la voiture d'un adjoint de Jean-Pierre Lafond, ex-maire UDF, avait été plastiquée. 

Plus récemment, cette ville de 35 000 habitants a aussi été secouée par l'affaire Guérini. Patrick Boré avait été entendu par les enquêteurs, fin 2012, pour s'expliquer sur les pressions dont il aurait fait l'objet pour favoriser les intérêts financiers d'Alexandre Guérini, le frère de l'ancien président socialiste du conseil général des Bouches-du-Rhône, et de Bernard Barresi, figure du grand banditisme. Tous deux ont été mis en examen en 2014 pour "association de malfaiteurs" et "intimidation". Ils auraient notamment tenté de reprendre la gestion du port de La Ciotat de façon illégale.

"Ce qui se passe à La Ciotat arrive partout ailleurs dans le Var [le département voisin]", relativise un habitant en désignant les montagnes qui bordent l'horizon. Lui revient en mémoire l'assassinat à Hyères, en 1994, de Yann Piat, cette députée UDF (ex-FN) engagée dans la lutte contre la corruption. La piste mafieuse avait été retenue lors du procès, mais certains continuent de croire à un complot politique. "Il y a plus de dix personnes mobilisées sur l'affaire [de La Ciotat]. On ne veut pas vivre une deuxième affaire Yann Piat", confie justement un enquêteur dans Le Figaro. Les investigations ont été confiées à la Sûreté départementale et le parquet a ouvert une information judiciaire. 

Le "petit Cassis" de la région

Certains, à commencer par la mairie, veulent croire qu'il s'agit d'un incident isolé et personnel. "A mon avis, on va être surpris par la différence entre le mobile et la gravité des actes", pronostique-t-on à l'hôtel de ville. La cité balnéaire voit d'un mauvais œil ce fait divers qui risque de ternir l'image d'une ville à peine sortie de vingt ans de crise économique. "Les chantiers navals, c'était l'employeur de La Ciotat. Avec leur fermeture, 6 000 à 7000 ouvriers qualifiés se sont retrouvés sur le carreau", rappelle-t-on au service communication. On s'y empresse de faire la promotion d'une ville phénix, qui a épongé la moitié de ses dettes tout en investissant dans de multiples projets, dont la réfection du plus vieux cinéma du monde, l'Eden, où les frères Lumière ont fait leurs débuts.

Même son de cloche du côté des commerçants, qui ne tiennent pas à voir cette histoire prendre trop d'importance. "On n'est pas du tout dans un phénomène de bande organisée et encore moins de terrorisme", martèle Gérard Tizzani. Président de l'association des commerçants, il fait partie de ces nouveaux investisseurs qui estiment que La Ciotat possède un réel potentiel attractif. Cet ancien cadre de la Roche Bobois possède depuis deux ans quatre boutiques branchées dans le vieux centre. Il a découvert une ville "calme", loin d'être "sulfureuse". Et vante la reconversion de cette ville ouvrière en une cité industrielle et commerciale, devenue le "premier centre méditerranéen pour la réparation navale". Réparation de luxe, puisqu'elle concerne surtout de volumineux yachts qui trônent au milieu des petits bateaux de plaisance.

La Ciotat, surnommée "le petit Cassis" –même si elle compte cinq fois plus d'habitants–, attire aussi de plus en plus de Marseillais en raison de ses prix immobiliers attractifs. Le groupe Marriott a été choisi par la mairie pour y implanter un hôtel de luxe quatre étoiles.

"Pas de fumée sans feu"

Les Ciotadens, eux, restent de marbre face à cette nouvelle affaire de menaces et de tirs contre la municipalité. Peut-être parce qu'elle est en suspens, l'ultimatum du 31 décembre ayant expiré sans que rien ne se passe. "On avait été plus marqués quand le proviseur du collège avait été tué en 2003", observe un agent immobilier. Même si les habitants semblent attachés à leur maire, et se disent "inquiets" pour lui, une certaine lassitude transparaît pour les affaires ayant trait au "politique". L'adage "il n'y a pas de fumée sans feu" flotte dans l'air. "Le maire, il doit savoir pourquoi on l'a menacé, hein !" lancent, un sourire en coin, deux riverains affairés à réparer un canot. "C'est bizarre, moi, on ne m'a pas tiré dessus", ironise un autre.

Pas de quoi contrarier Noël Collura, adjoint à l'environnement et proche ami de Patrick Boré, également ciblé par des tirs. "Vous voyez comme j'ai l'air d'avoir peur", plaisante l'homme au physique pagnolesque, posant tranquillement devant les vitres canardées de son appart'hôtel situé sur les hauteurs de La Ciotat.

L'élu, que les mauvaises langues qualifient "d'affairiste", a plusieurs casquettes : président du conseil de surveillance du centre hospitalier de La Ciotat, administrateur du port des Lecques dans la ville voisine de Saint-Cyr-sur-Mer (Var), gérant de plusieurs sociétés dans l'immobilier et l'hôtellerie-restauration... "La menace peut venir de partout, les pistes sont multiples", assure-t-il, évoquant même son engagement contre les rejets de boues rouges au large des calanques de Marseille et Cassis par la société Altéo, qui a finalement obtenu un feu vert préfectoral pour six ans, le 29 décembre.

Noël Collura s'en remet au travail de la police. En homme politique habitué des menaces et des règlements de comptes, qui font un peu partie du folklore local, il glisse, philosophe : "Ce qui doit arriver arrivera."

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