Que risque-t-on à saboter la fiche Wikipédia de quelqu'un pour lui nuire ?
Fausses informations, caviardages, suppressions d'informations gênantes... La plate-forme participative est aussi le lieu de virulentes batailles de communication.
Petit sabotage entre ennemis. La cour d'appel de Paris a condamné, jeudi 2 juillet, un ex-journaliste pigiste de France 24, poursuivi pour "diffamation" par un chef de service de la chaîne dont il avait modifié la fiche Wikipédia. Sur la page de l'encyclopédie, le prévenu avait fait figurer une faute professionnelle de son supérieur et ajouté deux textes le présentant comme l'auteur d'un acte de censure, en se fondant sur un tract syndical.
La cour d'appel a estimé que le journaliste avait "porté atteinte à l'honneur" de son ancien chef et l'a condamné à verser au plaignant 1 euro de dommages et intérêts, ainsi que 3 000 euros au titre des frais de justice.
Forte de ses 35 millions d'articles et de ses 439 millions de visiteurs chaque mois, selon les chiffres de la fondation Wikimedia, la plate-forme, à laquelle chacun peut librement contribuer en créant ou en supprimant une fiche ou en modifiant les pages existantes, est devenue l'une des principales sources d'informations sur internet. Le portail est donc logiquement aussi devenu le champ de véritables batailles de communication. Caviardage pour effacer des faits gênants, ajout de fausses informations pour entacher une réputation : que risque-t-on à saboter les profils Wikipédia de ses ennemis ?
Des poursuites judiciaires
Ce n'est pas la première fois qu'une plainte en diffamation est déposée à propos d'une page Wikipédia. Retour en 2009, avec une procédure lancée par Anh Dao Traxel, la "fille de cœur" de Jacques et de Bernadette Chirac. Cette dernière poursuit un internaute ayant modifié sa page sur l'encyclopédie et l'accusant d'avoir "abandonné ses trois enfants à la charge de son mari". En 2013, le tribunal d'Evry (Essonne) condamne l'auteur des propos à payer 1 500 euros dont 500 euros de dommages et intérêts à la plaignante, rapporte le site du magazine Closer.
La même année, la cour d'appel de Paris rend un arrêt contradictoire dans une affaire opposant deux sociétés spécialisées dans la monétisation des audiences en ligne. La première, Rentabiliweb, accuse l'entreprise Hi-Média d'avoir supprimé sa page sur Wikipédia. Un moyen de jeter la concurrence aux oubliettes. La cour d'appel de Paris a de son côté estimé qu'"aucun élément circonstancié" ne permettait de le prouver. Et ce, même si Wikipédia faisait apparaître que l'adresse IP depuis laquelle la suppression avait été effectuée correspondait à une IP utilisée par Hi-Média, explique Europe 1.
L'adresse IP n'est-elle donc pas une preuve suffisante ? Cette décision risque-t-elle de faire jurisprudence ? "Oui. Les affaires d'e-réputation sont des aspects nouveaux du droit et ce sont les décisions de justice qui font avancer ce droit qui n'est pas figé", explique Anthony Bem, avocat à la cour d'appel de Paris spécialisé dans le droit d'internet.
De se faire épingler
C'est pourtant grâce à son adresse IP que le cyber-vandale est le plus souvent démasqué. Cette liste de chiffres n'est rien d'autre qu'une plaque d'immatriculation d'une connexion à un réseau. Les adresses IP des auteurs se retrouvent facilement sur Wikipédia. Plusieurs sites permettent de retrouver la localisation de l'utilisateur ou le fournisseur d'accès de l'appareil utilisé.
Quelques journalistes se sont amusés à épingler les auteurs de caviardages sur Wikipédia. Comprendre la suppression délibérée de certains passages gênants des fiches de l'encyclopédie. L'Observatoire des médias a notamment repéré la suppression, depuis un ordinateur de la mairie de Levallois, de la référence au canular téléphonique des Yes Men dont a été victime le maire, Patrick Balkany.
Certains se spécialisent même dans la pratique. Le New York Times a publié, lundi 22 juin, un article sur une agence de relations publiques de stars qui purge les passages gênants dans les bios de ses clients. Elle a par exemple fait disparaître de la page de Naomi Campbell toute trace du flop qu'avait fait son album de R'n'B.
De perdre son temps
Généralement, sur les gros dossiers, les caviardages ne tiennent que quelques minutes avant d'être corrigés par d'autres internautes. "Plusieurs utilisateurs de Wikipédia veillent sur les pages sensibles grâce à des alertes par e-mail", explique le journaliste Jean-Marc Manach, qui a écrit de nombreux articles sur le sujet.
Exemple relevé par le journaliste : la page de Bernadette Chirac. Un utilisateur, dont l'adresse IP est identifiée comme venant de l'Elysée, modifie la page de l'ancienne Première dame pour mettre en avant son titre de noblesse. Pour cela, il supprime de l'article un passage expliquant justement pourquoi elle ne peut pas prétendre à ce titre. La modification est repérée et corrigée en l'espace de deux minutes, comme le montre l'historique de Wikipédia.
Dans le cas où les modifications et les corrections sont répétées plusieurs fois – on parle alors de "guerre d'édition" –, "la page est automatiquement bloquée", explique le journaliste.
Autre exemple, plus ludique, repéré sur Twitter par le journaliste Alexandre Léchenet : celui d'un élève qui a saboté la fiche Wikipédia du livre Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley. Ce dernier, après avoir entièrement plagié la page de l'encyclopédie pour un devoir, a décidé de la modifier pour que son professeur ne le découvre pas.
"Je voulais juste changer le résumé pendant une semaine, parce que j'ai rendu un devoir à ma prof de français et que j'ai beaucoup pompé. Je l'aurais remis d'ici une semaine", se justifie l'élève auprès d'un autre auteur de la page. Beaucoup de temps perdu pour un livre pas lu. Il a sans doute oublié que, sur internet, l'anonymat complet n'existe pas.
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