Non, le droit à l'IVG n'est pas menacé en France
Alors qu'une manifestation hostile à l'avortement a rassemblé entre 16 000 et 40 000 personnes dimanche, les députés examinent un amendement UMP proposant de dérembourser cet acte. Pour autant, l'Hexagone ne devrait pas prendre le chemin de l'Espagne.
Les Françaises doivent-elles craindre pour leur droit à l'avortement ? La vision de milliers d'opposants à l'Interruption volontaire de grossesse (IVG) descendus dans la rue, dimanche 19 janvier à Paris, a de quoi les inquiéter, alors qu'un projet de loi espagnol menace de limiter très fortement l'accès à l'IVG dans ce pays.
Le collectif En marche pour la vie, qui organise un défilé annuel anti-IVG depuis 2005 en France, affirme n'avoir jamais mobilisé autant : entre 40 000 personnes, selon les organisateurs, et 16 000 personnes, selon la police, ont manifesté à Paris. En 2012, c'était 10 000 de moins. En 2013, la marche avait été annulée pour rejoindre la Manif pour tous.
Une mobilisation sur le terrain et à l'Assemblée
En plus de leurs traditionnels arguments, les manifestants avaient cette fois-ci le calendrier pour eux : lundi 20 janvier, les députés examinent le projet de loi sur l'égalité homme-femme, qui assouplit le droit à l'avortement. Il supprime notamment la notion de "détresse" qui figure dans la loi Veil pour justifier l'accès des femmes à l'IVG. Notion qui ne correspond plus, selon la majorité, à la réalité. En réaction, plusieurs députés de l'opposition ont déposé un amendement visant à dérembourser l'acte, actuellement pris en charge à 100% par la Sécurité sociale.
"Si la notion de détresse est supprimée, les conditions de remboursement de l'acte par la Sécurité sociale ne sont plus remplies", font valoir les signataires de l'amendement. "Cela fait de l'avortement un droit plein et entier, et non plus un droit d'exception", précise auprès de francetv info le président du Parti chrétien-démocrate, Jean-Frédéric Poisson, qui met en avant le droit au "respect de la vie", inscrit dans l'article 1er de la loi de 1975. "On ne peut pas partir du principe que la loi doit s'ajuster à toutes les réalités sociales", martèle-t-il.
Dans le sillage de la Manif pour tous
Les signataires de l'amendement, parmi lesquels figurent les UMP Nicolas Dhuicq, Philippe Gosselin ou encore Marc Le Fur, s'étaient déjà illustrés pour leur farouche opposition au mariage pour tous. "Le contexte de bouleversement sociétal engagé par le gouvernement provoque un sursaut des consciences", explique Jean-Frédéric Poisson pour justifier cet amendement - qui devrait être rejeté - et le succès de la manifestation de dimanche.
Sébastien Denaja, rapporteur PS du texte sur l'égalité homme-femme, y voit surtout une forme d'"opportunisme politique". Selon lui, le mouvement politique qui a émergé de l'opposition à la légalisation du mariage homosexuel, la Manif pour tous, "s'est essouflé et cherche à refaire parler de lui".
"Cette droite-là, et ces mouvements conservateurs, ne rassemblent pas plus de monde [qu'auparavant], poursuit le député joint par francetv info. Ils ont juste pris goût à descendre dans la rue." Et "ils travaillent aujourd'hui leur façon de revendiquer, poursuit l'élu. Tout cela est pensé, organisé, financé. Ils avaient tous les mêmes slogans, les mêmes couleurs..." lors de la mobilisation de dimanche.
Une cause surtout portée par un contexte favorable
Les codes visuels de la manifestation de dimanche, relayés sur les réseaux sociaux, ne sont pas sans évoquer, en effet, les techniques de communication très maîtrisées de la Manif pour tous, avec ses couleurs rose et bleu, ses éléments de langage, ses happenings. Cette fois-ci, l'exemple de Madrid a galvanisé les participants, qui ont défilé aux couleurs de l'Espagne, rouge et jaune.
Les manifestants de la Marche pour la vie ont également été portés par le soutien du pape François, qui a exprimé "l'horreur" que suscite en lui l'avortement. Dans les milieux catholiques français, une pétition circule pour "alerter" le pape argentin de la politique menée par l'exécutif français sur les questions de la vie et de la famille. L'une d'entre elles a recueilli 85 000 signatures, comme le relève La Croix.
L'IVG, un droit soutenu par une majorité de Français
Reste que les anti-avortement sont encore loin de remporter l'adhésion de la majorité. Pour Nathalie Bajos, directrice de recherche à l'Inserm et spécialiste de la contraception, contactée par francetv info, les poches de résistance formées par une "petite fraction de la population" sont anciennes et tenaces, mais pas nécessairement représentatives de la société française.
La comparaison avec l'Espagne n'est pas pertinente dans un pays beaucoup moins catholique, et où le droit à l'avortement est un "acquis solide" depuis 1975. Et de citer les enquêtes de l'Inserm, qui évaluent à 3% la proportion de Français "résolument opposés à ce droit". Seul bémol pour les Françaises : les difficultés sur le terrain, où l'accès à l'avortement est loin d'être toujours facilité, comme en atteste ce reportage de France 2.
L'opposition guère empressée de ferrailler sur le sujet
Dans la classe politique, le consensus domine. Certes, l'opposition aurait souhaité qu'on ne touche pas à la loi de 1975, et voit d'un mauvais œil la suppression de la notion de détresse. Mais les ténors ont tenu à se démarquer de certains de leurs collègues, réaffirmant l'importance du droit à l'avortement.
Leur seul grief concerne en fait le timing choisi par le gouvernement pour ouvrir ce débat, quelques jours avant la visite de François Hollande au Vatican, et surtout quelques mois après l'adoption du mariage pour tous. "En choisissant de réécrire la loi de 1975 sur l'IVG, le gouvernement fait une faute politique car il risque de diviser, une fois encore, les Français", estime l'ex-Premier ministre François Fillon.
Pas de quoi, donc, capitaliser politiquement sur le sujet. "Je vois mal la droite faire campagne en 2017 sur un retour en arrière en matière d'IVG", concède Sébastien Denaja. Même si, nuance-t-il, "les retournements politiques sont fréquents".
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