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Prise d'otage, agression : que se passe-t-il à la prison d'Alençon ?

Un surveillant a été agressé, jeudi, trois jours après une prise d'otage. Explications.

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La maison centrale de Condé-sur-Sarthe, près d'Alençon (Orne), le 30 décembre 2013. (JEAN-FRANÇOIS MONIER / AFP)

Un surveillant grièvement blessé après avoir été poignardé et une prise d'otage en quatre jours. Le personnel de la maison centrale de Condé-sur-Sarthe, près d'Alençon (Orne), est fébrile, vendredi 3 janvier. Pourtant, cet établissement, inauguré par Christiane Taubira le 30 avril 2013, est censé être le nec plus ultra en termes de sécurité, avec ses trois portes d'entrée, ses murs d'enceinte hauts de 8 à 12 mètres et ses multiples points de contrôle informatisés. Que s'est-il passé ?

Des détenus dangereux et sur les dents

Conçue pour accueillir essentiellement les détenus réputés dangereux et condamnés à de longues peines, la maison centrale de Condé-sur-Sarthe s'est vite transformée en bombe à retardement, selon les syndicats. "On ne peut pas mettre tous les œufs dans le même panier", note Alexis Grandhaie, délégué local de la CGT Pénitentiaire interrogé par francetv info. Il insiste : "Ce sont des gens qui n'ont rien à perdre, on ne peut pas garder ensemble entre quatre murs, même les plus épais possibles, les détenus les plus dangereux et les moins gérables de France."

"On a tous les perturbateurs de partout, on les met ensemble et on n'en fait rien", abonde Joseph Rousseaux, de FO Pénitentiaire, joint par francetv info. "Ils arrivent depuis des établissements plus souples, où les portes des cellules sont ouvertes. A Alençon, on applique les portes fermées et ça ne leur plaît pas", explique-t-il. "Les règles sont ici plus strictes qu'ailleurs. Ce qui entraîne des complications avec des personnes réfractaires à l'autorité", corrobore dans Ouest France André Breton, le directeur de l'établissement. "Il y a au moins un incident par jour", ajoute Alexis Grandhaie, qui cite "trois non-réintégrations collectives des cellules" ces trois derniers jours. 

Trop peu de personnel 

L'établissement compte 177 surveillants pour quelque 80 détenus, mais ce n'est pas assez, déplorent les syndicats à l'unisson. "Une prison, malgré tout, ça reste un lieu où on gère de l'humain et (…) de l'humain, ça ne peut se gérer qu'avec des forces vives", assène sur France Info Patrice Gandais, du syndicat majoritaire Ufap Unsa-Justice. 

"Il nous manque au moins 50 personnes pour que ça tourne correctement", explique Joseph Rousseaux. Et de rappeler que la Chancellerie avait promis deux surveillants et un gradé pour chaque détenu quand "aujourd'hui, les déplacements dans la prison se font avec un surveillant pour cinq à six détenus". "Condé-sur-Sarthe n'est pas une affectation très demandée donc on a de jeunes surveillants sortis d'école face à des détenus chevronnés", note également Alexis Grandhaie.

Mais il nuance : "On sait que les effectifs seront difficiles à obtenir. Mais, au moins, que l'on change le ratio de surveillants derrière les écrans et ceux dans les lieux de vie." Pour lui, la multiplication des niveaux de contrôle "derrière des portes, des vitres et des écrans" ne remplace pas la présence effective d'encadrement directement au contact des détenus. "Le ratio détenus/surveillants est celui prévu par l'administration centrale", réfute André Breton, le directeur de l'établissement.

Des conditions d'incarcération assouplies

"A chaque fois que les détenus manifestent ou sont mécontents, ils ont directement affaire à la direction, qui cède, regrette Alexis Grandhaie. Des décisions prises par des surveillants, des capitaines, des lieutenants ont été désavouées par la direction." Il cite l'exemple d'un parloir refusé au motif que le visiteur n'avait qu'une carte SNCF pour toute pièce d'identité, et finalement autorisé par la direction. 

"On transforme des salles de réunion en lieux de vie où ils font la cuisine à quinze sans caméras. Les détenus ne devaient se croiser que rarement, maintenant les créneaux de sport sont devenus des promenades en accès libre", énumère Joseph Rousseaux, de FO Pénitentiaire. Mais il refuse d'incriminer la direction et pointe directement du doigt la Chancellerie et la Direction de l'administration pénitentiaire. "On pourrait mettre le meilleur directeur du monde, ça ne change rien s'il n'a pas de directives claires de sa hiérarchie", justifie le surveillant. Sollicitées par francetv info, ni la Chancellerie ni la Direction de l'administration pénitentiaire n'ont donné suite.

Pas de projet d'établissement

"Cet établissement a été conçu par le précédent gouvernement mais celui-ci ne sait plus quoi en faire", attaque Alexis Grandhaie, de la CGT Pénitentiaire, qui réclame "un travail d'urgence sur les profils pénaux et les durées d'emprisonnement". 

"Ça fait bientôt un an que la prison existe et on ne s'est toujours pas mis autour de la table pour discuter", confirme Joseph Rousseaux, qui "ne sait pas si on est là pour les réinsérer ou si on est là pour durcir leurs conditions d'incarcération un temps, avant de les renvoyer ailleurs une fois que leur comportement a évolué".  

Inquiets, "la boule au ventre", les surveillants redoutent que cette situation "explosive" ne dégénère. Selon l'Ufap Unsa-Justice, une liste noire des agents pénitentiaires à qui s'en prendre circule parmi les détenus. 

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