Prostitution sur internet : la proposition de loi suffira-t-elle ?
La lutte contre les réseaux de traite humaine, notamment sur internet, est un des objectifs principaux de la proposition de loi examinée à l'Assemblée. Francetv info détaille les mesures prévues et leurs faiblesses.
C'est une proposition de loi qui promet un débat animé. L'examen du texte renforçant la lutte contre la prostitution est prévu à l'Assemblée nationale à partir du vendredi 29 novembre, et non mercredi, comme prévu initialement. Il prévoit de sanctionner les clients et d'abroger le délit de racolage, mais contient aussi des dispositions pour accompagner les personnes souhaitant sortir de la prostitution. Les députés souhaitent notamment la création d'un stage de sensibilisation pour les clients, d'un fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement des prostituées, ou encore d'une autorisation de séjour de six mois pour les prostituées étrangères engagées dans un parcours de sortie de la prostitution.
La lutte contre les réseaux de traite, notamment sur internet, est un autre objectif principal de la proposition de loi. Est-ce possible ? Comment les députés comptent-ils s'y prendre ? Eléments de réponse.
Contre le proxénétisme sur internet
Le constat. Les enquêteurs chargés de la lutte contre le proxénétisme surveillent régulièrement les sites internet, mais se heurtent à des difficultés lorsque ces sites sont basés à l'étranger. En décembre 2011, Le Point citait l'exemple d'un Suisse de 33 ans, qui récoltait 40 000 euros par mois après avoir créé un site répertoriant des milliers d'escort girls. Bien que condamné en France à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende pour proxénétisme aggravé, il coule des jours heureux en Suisse, où le proxénétisme n'est pas réprimé, précisait l'hebdomadaire.
Que prévoit la proposition de loi ? Pour remédier à cette situation, la députée socialiste Maud Olivier, qui porte la proposition de loi, suggère dans l'article 1 d'instaurer un dispositif équivalent à celui déjà mis en place contre les sites pédopornographiques. Dans ce cadre, "les officiers de police judiciaire dresseraient à l'issue de la surveillance, une liste des sites 'cibles', qui serait transmise aux principaux fournisseurs d'accès installés en France, qui devront en réponse bloquer immédiatement l'accès du public aux sites. A défaut, ils pourraient être mis en cause pour complicité de proxénétisme", indique-t-elle dans un rapport sur la prostitution présenté mi-septembre à l'Assemblée.
Quelles sont les faiblesses du dispositif ? Même si la proposition de loi est adoptée, l'article premier ne sera pas immédiatement appliqué, car un décret d'application est nécessaire. Et cela peut prendre du temps : le décret d'application de la loi Loppsi 2, qui a inspiré cette partie du texte sur la prostitution, n'a toujours pas été publié. La loi est pourtant inscrite au Journal officiel depuis le 14 mars 2011.
De plus, estime Carole Gay, responsable affaires juridiques et réglementaires à l'Association des fournisseurs d'accès et de services internet (AFA), contactée par francetv info, l'office de lutte contre la criminalité liée aux technologies n'a pas les moyens de faire appliquer la loi. C'est pourtant lui qui va devoir constituer une liste noire des sites hébergés à l'étranger proposant des relations sexuelles tarifées. Carole Gay met aussi en cause l'efficacité des systèmes de blocage, aisément "contournables". Elle dénonce également le risque de voir apparaître des sites légaux dans la liste noire, par manque de contrôle des juges.
De son côté, le Conseil national du numérique (CNN), organe consultatif indépendant chargé d'éclairer le gouvernement sur les questions numériques, estime que cet aspect de la proposition de loi pose problème car il porte "atteinte à la liberté d'expression et de communication". "L'institution d'un dispositif de filtrage des adresses électroniques par l'autorité administrative constitue une mesure dont l'adoption se révélerait contre-productive, sans même répondre aux objectifs fixés par la proposition de loi", écrit le CNN.
Finalement, le gouvernement a suivi l'avis du CNN. Comme l'a relevé Numerama, il a déposé mercredi matin un amendement surprise qui annule le dispositif prévu dans l'article 1. Dans ce texte, le gouvernement reconnaît d'abord qu'il sera très simple de contourner le filtrage administratif des sites liés au proxénétisme en créant de nouveaux espaces en ligne. Ensuite, il juge que le sujet "mérite une réflexion plus approfondie". "Il est prématuré de prévoir l'inscription d'un dispositif de ce type dans une proposition législative", indique-t-il enfin. "Sauf coup de théâtre", cet amendement sera soutenu par la majorité présidentielle à l'Assemblée, précise Numerama.
Sur la pénalisation des clients sur le web
Le constat. Les données chiffrées sur la prostitution en France sont à prendre avec précaution, par manque d'informations objectives sur un phénomène difficile à appréhender. Un constat particulièrement vrai pour la prostitution sur internet. Néanmoins, certaines informations permettent de définir les contours de cette prostitution. Près de 10 000 annonces d'"escorting" ont été identifiées sur internet, dont 4 000 provenant de prostituées indépendantes, selon un rapport parlementaire de 2011. Quant aux clients, certains donnent leur avis et partagent leurs impressions sur les prostituées sur des forums spécialisés. Mais comme pour la prostitution de rue, ils n'ont pas de profil type et unique. Plusieurs caractéristiques les définissent.
Que prévoit la proposition de loi ? Sujet âprement discuté entre partisans de l'abolition de la prostitution et défenseurs d'une "prostitution choisie", la pénalisation des clients est au cœur du texte débattu. Celui-ci propose de punir l'achat d'actes sexuels d'une amende de 1 500 euros, doublée en cas de récidive, sans interdire la prostitution, légale en France. Si la proposition de loi est adoptée, il faudra donc aussi pénaliser les clients de prostituées passant par internet.
Quelles sont les faiblesses du dispositif ? "Il faudrait que l'officier de police judiciaire puisse constater la relation sexuelle tarifée", estime Karine Béguin, chef du département investigations de la lutte contre la cybercriminalité. Entendue le 30 octobre par la commission chargée d'examiner la proposition de loi, elle "avoue ne pas bien voir comment cela peut se passer", d'après Libération, qui a assisté à son audition. Pour Maud Olivier, en revanche, cela semble clair. "L'enquêteur peut se rendre à un rendez-vous et interpeller le client. Cela se passe comme ça en Suède", a rétorqué la députée à Karine Béguin, toujours selon le quotidien.
En effet, la Suède est le premier pays européen à s'être doté d'une loi pour pénaliser les clients, en 1999. Depuis, la prostitution de rue a baissé de moitié dans le pays, estime un rapport gouvernemental publié en 2011. Mais selon ses détracteurs, la loi a fait basculer une partie des prostituées dans la clandestinité et, souvent, de la rue à internet. Se pose alors la question de savoir si la police a les moyens de la faire respecter, avec la montée du racolage sur internet. Aucune étude ne permet encore d'y répondre.
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