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C'est quoi la "mode islamique" qui choque la ministre Laurence Rossignol ?

La ministre de la Famille, de l'Enfance et des Droits des femmes juge "irresponsables" les marques qui proposent des vêtements dits "islamiques".

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Capture d'écran du compte Instagram du créateur Stefano Gabbana montrant la ligne de hijabs de la marque qu'il a cofondée, Dolce & Gabbana. (STEFANOGABBANA / INSTAGRAM)

La ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, a dénoncé, mercredi 30 mars sur BFM TV, les marques comme H&M, Uniqlo ou Dolce & Gabbana qui lancent tour à tour des collections de vêtements dits "islamiques". Elle juge en effet "irresponsables" ces enseignes qui "investissent ce marché (…) parce qu'il est lucratif" et qui "se mettent en retrait de leur responsabilité sociale, et d'un certain point de vue font la promotion de l'enfermement du corps des femmes"

Francetv info vous explique ce qu'est la "mode islamique", encore très discrète en France.

A quoi ressemble cette "mode islamique" ?

Elle s'inscrit dans une tendance plus vaste appelée "mode pudique", traduction de l'anglais "modest fashion". L'expression dérange tout autant Laurence Rossignol : "Cela veut dire que sur une plage, quand il y a quelques femmes habillées ainsi et puis toutes les autres qui sont en maillot une pièce ou deux pièces, ou en monokini (...) elles sont impudiques ?" Concrètement, cette mode "pudique" est un mouvement dans lequel les femmes, au nom de leurs croyances, s'habillent de façon à couvrir leur corps tout en suivant les évolutions de la mode : choix des matières, des coupes, des couleurs…

Les femmes qui adoptent et défendent cette mode veulent "honorer leurs traditions tout en exprimant leur style", décrit le Huffington Post (en anglais). Et la blogueuse Summer Albarcha, dont le compte Instagram (anciennement baptisé "Hipster Hijabis") compte près de 250 000 abonnés, explique "que les vêtements religieux n'ont pas besoin d'être rétrogrades ou uniformes"

Pour les femmes musulmanes, il s'agit notamment de s'éloigner de l'abaya, tunique large et simple ne laissant voir que le visage, souvent noire, portée par-dessus les vêtements et imposée aux femmes en Arabie saoudite. Plus répandu dans le monde, le hijab, simple voile islamique couvrant les cheveux et les épaules, devient également un véritable accessoire que les femmes peuvent assortir à leur tenue. Ce style "pudique" s'applique aussi aux vêtements de bain, depuis qu'une créatrice australienne a dessiné et commercialisé en 2007 un "burkini", maillot de bain couvrant l'ensemble du corps sauf les mains, les pieds et le visage. Aux yeux des musulmans intégristes, toutes ces tenues non traditionnelles restent indécentes.

Est-elle vraiment nouvelle ?

Cette tendance s'installe depuis quelques années dans le paysage de la mode. Aux Etats-Unis, la "modest fashion" est même devenue "cool", rapporte The Atlantic (en anglais) depuis que des blogueuses mode et beauté s'en sont emparé. Leurs comptes Instagram ressemblent d'ailleurs à ceux de toutes les fashionistas : selfies, gros plans sur des sacs à main et autres accessoires, instantanés de défilés de mode…

L'Express Styles rappelle qu'avant les hijabs et abayas de luxe lancés par Dolce & Gabbana, d'autres marques ont proposé des collections similaires : "Les créateurs américains Donna Karan, Tommy Hilfiger et Oscar de la Renta, l'enseigne espagnole Mango et le site de vente en ligne de luxe Net-a-Porter." La marque japonaise Uniqlo leur a emboîté le pas, avec la collaboration de la styliste anglo-japonaise et musulmane Hana Tajima.

Mais en France, c'est encore un bruissement à peine audible. Les médias s'y intéressent surtout depuis le lancement par l'enseigne H&M, en septembre 2015, d'un spot publicitaire dans lequel apparaît Mariah Idrissi, jeune Britannique voilée. Et dans l'Hexagone, seuls les "burkinis" de l'enseigne britannique Marks & Spencer sont disponibles (en ligne) sous l'appelation "combinaison de bain trois pièces".

Est-elle réservée aux musulmanes ?

"Nous n'essayons pas de cacher le fait que cette marque est pour les femmes musulmanes", assume la créatrice de Haute Hijab, au site américain Today. Mais Melanie Elturk, 30 ans, précise qu'elle compte aussi parmi ses clientes des "femmes juives orthodoxes et chrétiennes traditionnelles qui cherchent une façon élegante de couvrir leur corps".

A Brooklyn, deux sœurs juives orthodoxes ont d'ailleurs crée Mimu Maxi, en 2013, à destination d'abord de la communauté hassidique, très présente dans ce quartier de New York. Aujourd'hui, elles estiment que ce qu'elles ont "créé pour [elles]-mêmes a vraiment décollé et que des femmes de tous âges et de toutes origines s'identifient à ce besoin".

Sur son blog MoMoMod, pour "More Modern Modesty", Chandra Leonardo, chrétienne apostolique originaire de Caroline du Nord (Etats-Unis), partage elle aussi ses tenues couvrantes. Si elle ne porte ni hijab ni abaya, la blogueuse publie régulièrement des photos de son look "élégant, fabuleux et pudique", composé majoritairement de robes longues.

Pourquoi les grandes marques s'en emparent-elles ?

"Chaque personne est différente et la collection peut être portée avec n'importe quel style", assure un porte-parole de Uniqlo à L'Express Styles. De son côté, H&M invoque la diversité. Dans son clip, en effet, apparaît une femme voilée mais aussi un homme sikh portant un turban au milieu de mannequins de toutes tailles, anonymes ou célèbres, à l'image de Iggy Pop. Ces marques répondent ainsi à une demande, car "il y a quelque chose d'excessivement douloureux dans le fait d'être ignoré par la société de consommation", constate Reina Lewis, qui enseigne au London College of Fashion, pour le site International Business Times (en anglais).

Poussés par la multiplication de blogs consacrés à cette mode pudique, les créateurs comprennent donc, tardivement, que les femmes musulmanes aussi achètent des vêtements. Et si beaucoup d'entre elles s'en réjouissent, l'auteure Ruqaiya Haris, qui porte elle-même le hijab, pose un regard "plus cynique" sur la chose. Dans une tribune publiée en janvier sur le Guardian (en anglais), elle rappelle que "les ventes de produits de luxe ont atteint 8,7 milliards de dollars au Moyen-Orient l'année dernière et les musulmans ont dépensé 266 milliards de dollars dans ces produits à travers le monde en 2013". Des chiffres qui, selon elle, aident à comprendre "ce qui motive réellement ces marques".

La population musulmane serait donc surtout une "nouvelle cible pour des marques de luxe qui stagnent de plus en plus et sont en manque de relais de croissance", explique Frédéric Godart, sociologue et auteur de Sociologie de la mode, à Libération.

Pourquoi cela peut-il poser problème en France ?

En France, la question du port du voile islamique provoque en effet régulièrement des crispations. Le sujet divise particulièrement les féministes. D'un côté, celles qui défendent le droit des femmes à porter ce qu'elles veulent et à exercer librement leur spiritualité, et donc à porter un voile, quel que soit son sens. De l'autre, celles qui, comme la ministre, y voient un symbole du "contrôle social du corps des femmes". 

Plus généralement, le port du hijab est régulièrement associé au fondamentalisme, voire au terrorisme, comme l'a montré récemment une caricature de Plantu qui a provoqué la colère de nombreux internautes, rapporte BuzzFeed.

Sur sa chaîne YouTube, la blogueuse voilée Asma Fares, qui publie des conseils beauté et lifestyle (maquillage, nutrition, mode, épilation…) reçoit régulièrement des commentaires insultants, aussi bien de la part d'internautes islamophobes dénonçant le port du voile que de musulmans radicaux qui lui "souhaitent l'enfer", jugeant qu'elle est un mauvais exemple pour les jeunes musulmanes.

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