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Evacuation d'un camp de Roms à Paris : "Ce sont toujours les mêmes qu'on chasse régulièrement"

Un bidonville situé dans le 18e arrondissement a été évacué par les forces de l'ordre, mercredi à l'aube. Mais qui étaient ces 400 Roms qui ont vécu plusieurs mois dans ce camp ?

Article rédigé par Marthe Ronteix
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des Roms attendent leur évacuation dans le camp du 18e arrondissement de Paris, le 3 février 2016. (DOMINIQUE FAGET / AFP)

Il est 9h30, au croisement du boulevard de Ney et de la rue des Poissonniers, dans le 18e arrondissement de Paris. Seule une pelleteuse et quelques agents chargés de dégager les lieux peuplent les allées d'un bidonville, évacué quelques heures plus tôt, mercredi 3 février. Ce qui marque, lorsque l'on s'aventure entre les rangées de baraques, c'est une odeur âcre et un grand calme. Construites avec d'anciens panneaux électoraux, des portes cassées et des planches de bois, ces habitations sont remplies d'objets du quotidien. Une assiette avec des restes sous un porche, un vélo d'enfant, un sapin de Noël abandonné... Les expulsés ont laissé tout ce qui ne leur était pas essentiel.

Les 400 personnes qui habitaient ce camp de fortune depuis avril 2015 ont été délogées. Le tribunal de grande instance de Paris a estimé, le 30 septembre, que l'occupation de cette portion de la petite ceinture (une ancienne ligne de chemin de fer de la SNCF qui encercle la capitale) était illégale. 

Sur les rails de la petite ceinture, les baraques s'enchaînent sur des dizaines de mètres, à Paris, le 3 février 2016. (MARTHE RONTEIX / FRANCETV INFO)

Pour tenter d'être entendus, les occupants ont manifesté devant la mairie du 18e arrondissement, le lundi précédent. Ils espéraient que la préfecture repousse la date d'expulsion à la fin de l'année scolaire ou, au moins, à la fin de la trêve hivernale (31 mars). Mais rien n'y a fait, ils ont dû quitter les lieux. 

"Une baraque se construit en deux ou trois jours"

"Au début, c'était l'affaire de deux ou trois baraques où vivaient un petit groupe de familles, raconte Manon Fillonneau du collectif RomEurope. Mais comme il y avait de la place et pas d'expulsion prévue, ils ont continué à construire." Même si c'est une solution précaire, les migrants la préfèrent à la rue ou aux hébergements d'urgence où ils ne peuvent ni cuisiner ni travailler. Dans un bidonville, ils peuvent glaner de la ferraille, dont la revente leur assure un petit revenu.

Ils ont aussi leur propre baraque qu'ils construisent "en deux ou trois jours. C'est très rapide parce qu'ils ont l'habitude. Ils font de la récupération. Ils ramassent des métaux, des portes, des fenêtres... Mais le plus difficile à trouver, ce sont les clous", décrit la déléguée générale de RomEurope. Certaines cabanes disposent d'une porte et de fenêtres et ont été aménagées avec un souci de confort et d'ordre.

La personne expulsée a tout de même pris le temps de tirer le drap de laisser sa baraque en ordre avant de la quitter, le 3 février 2016 à Paris. (MARTHE RONTEIX / FRANCETV INFO)

"En général, ils installent un réchaud à l’extérieur de la baraque pour ne pas avoir la bonbonne de gaz à l'intérieur et le protègent par un petit toit. Ils ont aussi des poêles qu’ils alimentent avec tout ce qu’ils trouvent. Il fait souvent très chaud dans ces baraques. Autant de choses qui disparaissent avec les pelleteuses." Ce qui semble être resté, ce sont les tapis, qui recouvrent les gros cailloux et les rails de l'ancienne ligne de chemin de fer. Trempés par la pluie, ils rendent malgré tout la circulation plus facile d'une baraque à une autre.

Plusieurs baraques ont des poêles improvisés, à Paris le 3 février 2016. (MARTHE RONTEIX / FRANCETV INFO)

Certains enfants n'ont connu que la vie dans les bidonvilles

En ce matin de février, une vingtaine de femmes et d'enfants restaient sur place. La plupart avaient déjà quitté les lieux en sauvant ce qu'ils pouvaient de la destruction pour pouvoir se réinstaller ailleurs. "Ce sont toujours les mêmes personnes qu'on chasse régulièrement, observe Manon Fillonneau. Je connais l’un de ces groupes, qui viennent de Filiasi (Roumanie). Je les ai rencontrés en 2012 dans le bidonville de la Porte de la Villette. Ils ont été délogés, sont passés par celui de la porte de la Chapelle, puis par La Courneuve et Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et enfin le bidonville de la Porte de Clignancourt. Ils sont partis avant l’expulsion d'aujourd'hui." 

Les habitants du bidonville sont partis en emportant ce qu'ils pouvaient. Dans les baraques, il reste des meubles et des lits, à Paris le 3 février 2016. (MARTHE RONTEIX / FRANCETV INFO)

Dans ce camp, vivaient des hommes seuls, mais surtout des familles avec des enfants, parfois avec les grands-parents. Les habitants venaient principalement de Bucarest et de Filiasi, mais pas seulement. Un couple franco-indien habitait également le bidonville. Il y avait aussi beaucoup d'enfants comme en témoignent les jouets et autres petites chaussures qui jonchent le sol des baraques. D'après une enquête de la préfecture d'Ile-de-France, huit d'entre eux étaient scolarisés. "Ces enfants ont souvent un parcours scolaire chaotique, voire même inexistant, explique la déléguée générale de RomEurope. Pourtant, certains sont nés en France, comme le petit Giovanni que j'ai revu la semaine dernière. Il est né alors que sa famille vivait dans le bidonville de la Chapelle en 2013. Il n’a connu que cette vie-là. C’est toute une génération gâchée."

Partout dans le bidonville, on trouve des traces de la présence d'enfants, des peluches, des chaussures, des jouets, à Paris le 3 février 2016. (MARTHE RONTEIX / FRANCETV INFO)

"Ils vont sans doute se réinstaller dans le coin"

Les familles qui ont des enfants scolarisés dans le 18e vont être relogées à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) et à Stains (Seine-Saint-Denis). Les autres ont été conduits en bus à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) ou à Maurepas "au fin fond des Yvelines, se désole Manon Fillonneau. Ils sont déracinés." D'autant plus que dans trois semaines maximum, il ne restera plus rien de leur bidonville. L'hébergement d'urgence dans des hôtels est prévu pour quinze jours.

Au-delà de ce délai, les expulsés devront s'adresser au Samu social. "Mais tous ces gens ont un ancrage territorial assez fort, donc ils vont sûrement rester dans le quartier entre la porte de Clignancourt et la porte de la Villette. Ceux qui sont partis vont sans doute se réinstaller discrètement dans le coin." Car sans constatation de flagrant délit de leur installation (article 53 du code de procédure pénale), la police n'a pas le droit d'expulser les habitants de leur campement sans décision de justice. 

Des habitants du campement s'accrochent aussi à un projet de relogement soumis à la mi-janvier à la Ville de Paris, pour 250 personnes environ, et pouvant prendre la forme "de maisonnettes sur sol ou roues" ou "de bâtiments modulaires à un étage""Ce pourrait être une expérience pilote de village rom de l'arrondissement et pour Paris", appuie le groupe PCF-Front de gauche au conseil de Paris.

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