Sportif, pour un million de dollars, deviens qatari
Tous les moyens sont bons pour ne pas être ridicule à domicile. Mais si les gros chèques existent toujours pour débaucher de bons sportifs, d'autres moyens existent pour développer la notoriété sportive du Qatar.
Le Qatar va organiser les plus gros évènements sportifs de la planète : le Mondial de foot en 2022 et le Mondial de handball en 2015, en attendant d'éventuels Jeux olympiques. Ça, c'est fait. Reste à avoir des équipes capables de figurer dignement dans ces compétitions. Là aussi, les Qataris font preuve d'une efficacité certaine.
Handball : le temps presse
Le Qatar a obtenu l'organisation du Mondial 2015 au nez et à la barbe des Français, pourtant favoris. Reste maintenant à constituer une équipe, et le temps presse. En effet, quand on a appartenu à une équipe nationale, il faut arrêter d'y jouer pendant trois ans pour pouvoir endosser le maillot d'une autre équipe nationale. Il faut donc des joueurs assez jeunes, et surtout disposés à tout lâcher maintenant car 2012 + 3 ans = 2015.
Problème : 1) il n'y a pas de championnat de hand de haut niveau au Qatar 2) personne ne s'intéresse à ce sport dans ce pays, sauf le prince héritier, à en croire un connaisseur sur Sports.fr. L'équipe actuelle du Qatar obtient des résultats tout à fait honorables dans les compétitions asiatiques, plus moyens dans les événements mondiaux...
C'est ainsi que les Qataris ont approché le joueur danois Nikolaj Markussen avec "un chèque à sept chiffres" pour le convaincre de devenir qatari après une retraite internationale de trois ans. Le Serbe Marko Vujin, deuxième buteur de la Ligue des champions, avait été approché voilà quelques mois. De nombreux joueurs ont déclaré forfait pour l'Euro 2012 de façon suspecte. Le sélectionneur danois a mis les pieds dans le plat sur Handnews.fr : "Les Slovènes par exemple ont trois ou quatre joueurs absents à l’Euro pour des motifs étranges, il y a aussi d’autres pays qui déplorent des forfaits mystérieux." Il se murmure que le Qatar a déjà recruté son sélectionneur national, l'entraîneur de l'Atletico Madrid, qui chercherait à "faire son marché" auprès des joueurs les plus en vue.
A la décharge des Qataris, ce genre de pratiques est institutionnalisé dans ce sport. L'Espagne et l'Allemagne y ont eu largement recours ces vingt dernières années. Le site Teamhandballnews.com (lien en anglais) remarque justement que cela ne dérangeait personne jusqu'à ce que le Qatar s'y mette.
Football : priorité à la formation
Les règles de naturalisation des footballeurs sont plus contraignantes qu'au handball. Du coup, le Qatar cherche surtout à recruter des jeunes talents dès le plus jeune âge, et à améliorer la formation.
Le tournant date du début des années 2000, quand la Fifa a mis le holà à une série d'approches de joueurs brésiliens, français ou africains, comme l'actuel joueur d'Auxerre Dennis Oliech, à qui on avait offert près de 2 millions d'euros pour troquer son passeport kenyan contre un qatari, expliquait un journal kenyan (lien en anglais). Certes, il y a encore des joueurs d'origine africaine ou sud-américaine dans l'équipe nationale (voir à ce sujet cette carte du site anglais The Best Eleven), mais l'accent a désormais été mis sur la formation. A commencer par la création de la gigantesque Aspire Academy pour accueillir les jeunes talents.
Un effort poursuivi avec les accords passés avec le Barça pour envoyer les joueurs du cru se former dans La Masia, l'école de foot du FC Barcelone, puis avec le projet d'une académie en banlieue parisienne. Le Qatar a aussi les moyens d'organiser une détection de talents planétaire, comme le racontait en 2009 le journal suisse Le Temps : "En 2007, le programme du département football d’Aspire – Football Dreams – a évalué plus de 715 000 jeunes footballeurs venus d’Asie, d’Amérique du Sud et d’Afrique. Les talents sélectionnés étaient ensuite invités à se former au Qatar, dans le centre sportif le plus moderne au monde. Des conditions inimaginables pour des enfants qui frôlent les 13 ans." Concrètement, cela se traduit par l'exode des cadets du club marocain du Raja Casablanca, à l'automne dernier, à en croire le quotidien marocain Le Soir-Echos.
Athlétisme : coup de frein sur les naturalisations à tout-va
Le symbole de la tendance, c'est le coureur de fond Stephen Cherono, devenu Saif Saaeed Shaheen en 2003. Kenyan avant, qatari après. Le tout pour un million de dollars et une rente mensuelle de 1 000 dollars garantie à vie, note Jeune Afrique. En contrepartie, pour que le Kenya accepte, le Qatar s'est engagé à construire un centre d'entraînement dans le pays. Les deux médailles de bronze obtenues par le Qatar aux JO, en 1992 et en 2000, l'ont été grâce à des naturalisations express. Ainsi, le coureur de 1 500 m Mohamed Suleiman est né en Somalie et l’haltérophile Said Saif Asaad a été le Bulgare Angel Popov dans une autre vie.
Depuis, le Qatar a mis en veilleuse cette politique de naturalisation, mais garde en réserve une dizaine de coureurs prometteurs en provenance du Kenya. La priorité est donnée à la détection des talents locaux, comme le sauteur en hauteur Barshim Mutaz, champion d'Asie en 2010 et grand espoir de médailles pour les JO de 2012.
Basket : du sabordage comme moyen de protestation
Traditionnellement, le basket a été libéral, certains diraient laxistes, en matière de naturalisations express. Les choses ont changé. Les règles de naturalisation de la fédération internationale de basket s'étalent sur des pages de jargon ardues et dépendent de critères assez subjectifs (p. 67-69 du PDF) : un joueur doit avoir été naturalisé selon les lois de son nouveau pays, et répondre à des critères de "régulation interne" qui changent chaque année.
Ce durcissement des règles a entraîné la révolte des joueurs qataris au championnat d'Asie 2011. Une bonne moitié des sportifs s'est vu refuser la naturalisation et a donc été exclue de l'équipe nationale. Du coup, ce qui restait de l'équipe a décidé de se saborder en commettant une pluie de fautes pour obtenir un maximum d'exclusions et ainsi perdre tous ses matchs en quelques minutes.
Depuis, l'équipe qatarie a remporté les Jeux panarabes fin 2011.
Equitation : le Qatar monte sur ses grands chevaux
Dans ce cas précis, le Qatar ne naturalise pas les cavaliers, mais les chevaux qu'il rachète. L'équitation est depuis longtemps un des sports majeurs du Qatar. En décembre 2011, la jument Kellemoi de Pépita, qui, associée au cavalier Michel Robert, représentait une sérieuse chance de médaille aux JO de Londres, a été cédée par son propriétaire au Qatar. Et ce alors que le cheval faisait partie du groupe retenu par la fédération française pour les prochaines échéances.
Le "mercato équestre" est autorisé jusqu'au 31 décembre avant les JO pour changer un cheval de nationalité. Le mois de décembre a été très agité sur le front des transferts, note le site spécialisé Cheval-Chevaux. Le Qatar n'est pourtant pas qualifié pour les JO de Londres, et va donc se servir de la jument pour donner naissance à des futurs champions.
Les "chèques à sept chiffres" ne semblent plus être la seule stratégie du Qatar pour exister sur la scène sportive internationale. Après l'organisation d'événements mondiaux, c'est désormais à une politique de formation très poussée que les Qataris s'attellent. Avec comme objectif de devenir sur le terrain aussi incontournables qu'ils le sont devenus en dehors.
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