Peut-on se doper avec son armoire à pharmacie ?
Contrairement à ce qu'affirme le patron du RC Toulon, Mourad Boudjellal, la réponse est oui.
Mourad Boudjellal, président du Rugby Club de Toulon, a eu cette phrase pour défendre son club, empêtré dans une affaire de trafic d'antibiotiques, d'antalgiques et de stéroïdes anabolisants, mardi 8 septembre : "Comment peut-on imaginer que l’on puisse acheter des produits dopants dans une pharmacie ? Cela n'a aucun sens !" Erreur ! S'il est illusoire de penser que vous pourrez courser Usain Bolt en avalant deux-trois Dolirhume, les pharmacies sont bel et bien un nid de produits dopants.
Il suffit d'attraper un rhume…
"Au 20 août dernier, on recensait 27 000 médicaments différents. Parmi ceux-ci, 4 427 étaient susceptibles de produire un contrôle positif", explique Dorian Martinez, président de SportProtect, une base de données qui aide les sportifs à s'y retrouver. Car la législation antidopage est formelle : c'est au sportif de connaître les médicaments contenant des substances interdites, et de ne pas les absorber. Dans la réalité, c'est un vrai casse-tête.
Pour un sportif, attraper un rhume, c'est le début de l'enfer. "Il existe douze variétés différentes d'Actifed, illustre Dorian Martinez. Quatre d'entre elles peuvent entraîner un contrôle positif. Pareil pour le Fervex, dont une des cinq variantes, arrivée tout récemment sur le marché, contient une substance interdite. Si le pharmacien du sportif n'est pas au courant, il va donner son feu vert. Et le Dolirhume contient de la pseudoéphédrine, qui donne un coup de boost, une molécule interdite en compétition."
La majorité des sportifs pris la main dans le sac en France (PDF) sont tombés pour un médicament prescrit par leur médecin. Ainsi, le rugbyman du RCT Steffon Armitage a été contrôlé positif en 2012 pour avoir pris un Dafalgan codéiné, prescrit par le docteur du club pour apaiser un mal de dos. La codéine n'est pas interdite, mais dans l'organisme, elle se métabolise en morphine, qui, elle, est proscrite. Le joueur a finalement été blanchi.
… de détourner le pschitt pour l'asthme du petit dernier…
Bien sûr, il existe aussi des sportifs qui utilisent tout ce qui leur tombe sous la main (ou presque) pour améliorer leurs performances. Prenez les corticoïdes. Si vous en prenez par voie orale ou par intraveineuse, c'est interdit. En revanche, en pommade (comme les gels pour soigner les piqûres d'abeille) ou en inhalation (par exemple le Bécotide, contre l'asthme), c'est autorisé. Ainsi, le Mouvement pour un cyclisme crédible, un groupement d'équipes qui veut en finir avec toutes les ambiguïtés sur le dopage, impose huit jours de repos à tout coureur ayant pris des corticoïdes, de quelque manière que ce soit.
Souvent, les tricheurs utilisent des médicaments classiques en complément du dopage. "Les coureurs cyclistes qui prenaient de l'EPO l'associaient souvent à un traitement pour pallier les carences en fer, afin d'optimiser le transport d'oxygène dans le sang, rappelle Dorian Martinez. On a eu le cas d'un athlète qui prenait beaucoup d'aspirine, pour récupérer plus vite de ses courbatures. Ce n'est pas interdit, mais c'est risqué s'il a des problèmes de cœur. Ou en cas de chute, car l'aspirine fluidifie le sang."
… ou d'avaler une banale gélule brûle-graisses
Il y a les compléments alimentaires protéinés, vendus par seaux entiers et très répandus dans le rugby, comme l'a montré l'enquête de Pierre Ballester Rugby à charges. "Les gars du Sud venaient avec leur pot sous le bras. C'est une pratique très anglo-saxonne, ils ne pouvaient manger que ça. Le repas, c'est chiant pour eux", raconte dans l'ouvrage l'ancien médecin du Stade français.
Mais certains produits, d'aspect inoffensif et vendus en pharmacie, comme le populaire citrus aurantium (orange amère) censé brûler les graisses, peuvent contenir de l'octopamine, une substance interdite depuis janvier 2006. Environ un complément alimentaire sur cinq contient des anabolisants, sans que cela figure sur l'étiquette, montrait une étude allemande (PDF en anglais). "L'an dernier, on a reçu l'appel de trois joueurs du Top 14 qui nous ont demandé d'analyser un complément alimentaire pour savoir s'il contenait des produits dopants, conclut Dorian Martinez. On n'a même pas eu besoin de le faire, on savait que c'était le cas…"
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