Le foot est-il bon pour la paix ?
Un match commémoratif se tient mercredi à l'occasion du 100e anniversaire de la trêve de Noël 1914, qui permit à des soldats allemands et britanniques de jouer au football dans les tranchées. Mais la paix pousse-t-elle vraiment sous les crampons ?
D'un côté, des soldats britanniques toutes moustaches dehors. De l'autre, des soldats allemands, affublés de casques à pointes. Et au milieu du champ de bataille gelé, un ballon en cuir, le symbole de la "Christmas Truce", la trêve de Noël 1914. Ce jour-là, pendant quelques heures, les ennemis ont fraternisé dans un coin perdu des Flandres, le temps d'échanger bouteilles de whisky et paquets de tabac. L'occasion, surtout, de disputer un match de football.
Outre-Manche, le 100e anniversaire de cet épisode de la première guerre mondiale est célébré, mercredi 17 décembre, par un match caritatif opposant l'équipe militaire britannique à son homologue allemande. Une rencontre qui célèbre le pouvoir pacificateur du sport, et notamment du football. Mais ça n'a pas toujours été le cas. Alors, la paix pousse-t-elle toujours sous les crampons ? Francetv info a enfilé son short et s'est penché sur la question.
Oui, c'est un puissant symbole pacifiste
Le match de la "Christmas Truce" tient une place particulière dans le cœur des amateurs de football britannique, comme l'explique le Telegraph (en anglais). Une statue illustrant la scène, a été érigée début décembre devant une église de Liverpool. Quelques semaines plus tôt, une grande marque de supermarché s'est inspirée de ce glorieux épisode pour réaliser une publicité. Cette célébration de l'esprit fraternel de Noël a rencontré un immense succès outre-Manche.
Sauf que, comme l'explique Paul Dietschy, dans son Histoire du football (Ed. Perrin), repris par le blog Wearefootball, le fameux match de la fraternité n'a probablement jamais eu lieu. Entre le manque de sources directes et le fait que les soldats allemands ne pratiquaient sûrement pas ce sport réservé, à l'époque, aux classes supérieures, l'existence même de cette partie de football improvisée est remise en cause.
Mais le symbole est trop fort pour être démenti par l'histoire. L'UEFA a ainsi fait de ce match légendaire "une des premières expressions de l'idée européenne", et un argument de poids pour illustrer sa devise pacifiste, "Bringing people together" ("le football rassemble les hommes"), notamment dans une vidéo réunissant des stars du ballon rond.
C'est avec ce même esprit d'unité qu'une belle image est née, le 21 juin 1998 à Lyon : avant de s'affronter en match de poule de la Coupe du monde, les joueurs des sélections iraniennes et américaines posent bras dessus-bras dessous.
La photo est historique pour ces deux nations, qui n'entretiennent plus de relations diplomatiques depuis 1979. Comme le rappellent Les Echos, le Département d'Etat américain y voit, à l'époque, "un début" de rapprochement entre les deux pays et espère "faire tomber des murs". Quinze ans plus tard, même si une ébauche de dialogue est en cours, les rapports Iran-Etats-Unis restent quasi-inexistants. La belle image de la Coupe du monde 1998 est restée au stade du symbole.
Non, il est inutile quand les blessures sont trop récentes
Le 6 février 2013, la France accueille l'Allemagne pour une rencontre amicale sans relief. La rencontre est programmée à l'occasion du cinquantenaire du traité de l'Elysée, qui scelle l'amitié franco-allemande. Angela Merkel et François Hollande sont dans les tribunes du Stade de France et le match est l'occasion de marquer le rapprochement entre les deux anciennes ennemies. L'ambiance est bonne enfant, et la victoire allemande (2-1) ne provoque pas d'émoi dans les tribunes.
On est loin de l'ambiance lourde et des insultes du premier France-RFA suivant la seconde guerre mondiale, le 5 octobre 1952. Remporté 3-1 par les Bleus, la rencontre a eu lieu à Colombes (Hauts-de-Seine), dans un stade qui avait été transformé en camp d'internement par les nazis dix ans plus tôt. "Pendant les hymnes, les Allemands regardaient par terre", témoigne l'international tricolore Antoine Bonifaci. Sept ans seulement après la fin de la guerre, les plaies sont encore trop vives pour que le football réussisse à "rassembler les hommes" français et allemands, sans ressentiment. Seul un lent processus de normalisation des échanges y est parvenu.
Non, un match de foot n'est pas un traité de paix
La Corée du Nord à la Corée du Sud qui se réconcilient autour du ballon rond. Ce rêve dure depuis 1953. Mais après 16 rencontres amicales et officielles disputées depuis 1978, le football n'a pas rapproché des deux frères ennemis d'un iota. "Le football ne peut pas apaiser un conflit en cas d'absence de volonté politique de ses acteurs, explique Pascal Boniface, directeur de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) dans Le Monde. Le football n'est pas responsable de l'affrontement entre les deux Corées. Mais à lui seul, il ne pourra pas y mettre fin."
En 2008, le déplacement historique du président turc Abdullah Gül dans la capitale arménienne Erevan, à l'occasion du match Arménie-Turquie, a suscité l'espoir d'une amélioration des rapports entre les deux pays. Certains espéraient même une reconnaissance à venir du génocide arménien par Ankara. Un espoir vite douché par les réticences turques sur le sujet. Mais le football a tout de même servi de prétexte à un acte diplomatique fort, qui reste toujours la première pierre posée sur la (très longue) route qui mène à l'apaisement entre les deux pays.
Non, le football peut aussi mener à la guerre
La "guerre de cent heures", entre le Salvador et le Honduras en 1969, aurait été déclenchée par un simple match de football. Comme l'explique le blog A World of football, lors d'une triple confrontation qualificative pour le Mondial 1970, la tension fut telle dans les tribunes que le Salvador a lancé dans la foulée une opération militaire sur le territoire hondurien, faisant plus de 2 000 morts et des dizaines de milliers de déplacés.
"Ce n'est pas le match opposant les deux sélections nationales pour une qualification à la Coupe du monde qui fut la cause de la guerre, avance Pascal Boniface. Il a été l'étincelle qui a déclenché un feu qui couvait sur fond de tensions frontalières, foncières et migratoires entre deux dictatures militaires en quête de légitimité."
Plus que de rapprocher les peuples, le football peut donc créer l'étincelle qui met le feu aux poudres. En juin 2014, comme le raconte L'Equipe, lors d'un match amical contre la Slovénie, les joueurs de l'équipe d'Argentine ont brandi une banderole où il était écrit "les Malouines sont argentines", en référence aux îles disputées au Royaume-Uni, à l'origine d'une guerre entre les deux pays en 1982.
Dans la foulée, et à l'approche de la Coupe du monde au Brésil, les joueurs de l'équipe d'Angleterre ont reçu l'ordre de ne pas s'exprimer sur le sujet, par crainte de provoquer un incident diplomatique majeur, comme l'explique le Daily Mail (en anglais). Dans le même esprit, pour parer à toutes polémiques, l'équipe de Palestine et celle d'Israël sont affiliées à deux confédérations différentes : les Palestiniens affrontent les nations asiatiques, quand Israël participent aux joutes européennes. Si ces deux pays n'arrivent pas à faire la paix, au moins leurs équipes ne peuvent pas se faire la guerre sur la pelouse.
Comme l'explique Pim Verschuuren, chercheur à l'Iris, "le foot, et plus globalement le sport, peut également marquer des rapprochements, mais il restera toujours le miroir de relations et sentiments préexistants". Autrement dit, le ballon rond n'a pas le pouvoir de régler les conflits, ou de les déclencher, mais peut joueur un rôle d'amplificateur des volontés diplomatiques et politiques, qu'elles soient pacifiques ou belliqueuses.
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