Discret, sanguin, puissant... Qui est Nasser Al-Khelaïfi, le président du PSG ?
Le patron de BeIN Médias est soupçonné d'avoir corrompu le numéro 2 de la Fifa, afin d'obtenir les droits télévisés de deux Coupes du monde de football. Il est entendu mercredi par la justice suisse.
Exercice périlleux pour Nasser Al-Khelaïfi, entendu par la justice suisse mercredi 25 octobre. Le président du Paris Saint-Germain et de BeIN Média est accusé d'avoir fait jouer son entregent pour obtenir les droits télévisés des Coupes du monde 2026 et 2030, en mettant à disposition une villa sarde au numéro 2 de la Fifa, Jérôme Valcke. Devenu l'un des hommes les plus puissants du monde du football, le Qatari est également l'un des meilleurs ambassadeurs de l'émirat à l'étranger. Franceinfo revient sur le parcours et la personnalité de cette figure atypique et discrète, à mi-chemin entre le terrain sportif et politique.
Agé de 43 ans, Nasser Al-Khelaïfi est issu des couches moyennes du Qatar. "Je suis d’une famille normale, expliquait l'intéressé dans Le JDD, il y a quelques années. J’ai quatre frères et une sœur. Mon père travaillait dans les ports", comme pêcheur de perles. Père de quatre enfants, il reste discret sur sa vie privée. Ses proches ont compris le message. Quand un journaliste veut interroger le tennisman espagnol Rafael Nadal – l'un de ses amis –, il est vite éconduit : "Vous avez l’autorisation de Nasser ? Je veux vérifier d’abord."
La petite balle jaune avant le ballon rond
Avant d'arriver au ballon rond, Nasser Al-Khelaïfi s'est d'abord consacré à la petite balle jaune, dès l'âge de 11 ans. En 1995, il fréquente le club de tennis des Vespins, à Saint-Laurent-du-Var, raconte Le Monde. Membre de l'équipe qatarie, il s'entraîne cinq mois par an sur la Côte d'Azur, de 1998 à 2000, au Tennis Club Nice Giordan. L'un de ses partenaires d'alors, Pascal Chappat, se rappelle pour So Foot d'un voyage à Annecy, après un repas mal digéré : "Pendant tout le trajet, avec un ou deux coéquipiers, on lâchait de ces trucs dans la voiture... Nasser se marrait avec nous. Il était comme ça, toujours le sourire."
"C'est quelqu'un de très amoureux du sport. Je me souviens de sa joie d'évoluer dans ce milieu", confie le préparateur sportif Jacques Hervet à franceinfo. Alors en mission pour la Fédération de tennis qatarie, en 1998, ce dernier accompagne le futur président du PSG dans une virée en voiture dans les dunes de sable. "Il commençait déjà à prendre de l'importance et ce jour-là, il portait un tee-shirt du PSG." Prémonitoire. Après avoir exhumé la photo, en 2012, Jacques Hervet l'envoie à son ancien partenaire de virée. Il attend toujours une réponse.
Après onze ans sur les courts, le bilan du joueur est modeste : 28 victoires pour 73 défaites, avec une place de 995e au classement mondial, en 2002. La passion, elle, reste intacte. Nasser Al-Khelaïfi est toujours président de la Fédération qatarie de tennis et remet chaque année les trophées du tournoi ATP de Doha.
A cette époque, surtout, Nasser Al-Khelaïfi fait la connaissance du futur émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al-Thani, de six ans son cadet et lui aussi joueur de tennis. Leur amitié est née en 1992, lors d'un Open du Qatar. "Je le considère comme un frère, résumait ainsi Nasser Al-Khelaïfi dans L’Equipe Magazine. Mais quand on s’affrontait au tennis, c’était le match d’un tennisman contre un autre tennisman."
Une ascension fulgurante
Après un MBA d'économie, il rejoint la chaîne Al-Jazeera en 2003 et y fonde une branche sportive en compagnie de deux Français, où il dirige les acquisitions de droits. Nasser séduit et cumule. Il devient directeur général de BeIN Sports (en anglais) en 2006, puis prend la tête du PSG en 2011, lors du rachat du club par le fonds souverain du Qatar dédié au sport (QSI)... qu'il dirige également. "C'est quelque chose de typique au Qatar, les très bons managers qataris ont tendance à avoir beaucoup de gros dossiers à gérer", résume une source à l'AFP.
Son ascension doit beaucoup à sa proximité avec le fils de l'émir. Quand ce dernier prend la tête du Qatar, en 2013, il nomme son ami ministre "hors-cadre" du Qatar. La fonction ne prévoit pas de rôle précis, mais elle est vécue comme "un honneur" par l'intéressé. Les deux hommes continuent à passer "énormément de temps ensemble", ajoute une source à l'AFP. Malgré l'enquête en cours, l'émir lui maintient toute sa confiance, selon Le Parisien.
Un "Robocop" discret dans les médias
Nasser Al-Khelaïfi est un bourreau de travail, à en croire ceux qui le côtoient ou l'ont côtoyé. "Il répond à tous les messages, et très vite", se souvient l'ancien président du club, Alain Cayzac, cité par Capital. "Ce n'est pas un gars qui fanfaronne. C'est un gars discret, mais qui travaille", résume Gervais Martel, dans une enquête de L'Equipe consacrée à l'influent président du PSG. "C'est gros niveau." Une force de travail qui lui vaut le surnom de "Robocop".
En revanche, le président bionique est plutôt discret dans les médias. Plusieurs personnalités de l'ombre composent sa garde rapprochée : Sophie Jordan (directrice générale de BeIN), Youssef Al-Obaidly (président de BeIN Sport) et Jean-Martial Ribes (directeur de la communication du PSG). Tous veillent au grain pour contrôler l'image du PSG. Le président du club a jusqu'ici évité les sorties de piste, hormis une saillie contre l'arbitrage – "Il faut développer aussi l'arbitrage, parce que vraiment, c'est un cauchemar" – ou le fair-play financier, sa bête noire – "Détendez-vous et occupez-vous de votre projet."
Une partie de boules pour briser la glace
Un président trop lisse ? Au gré des déplacements du club, il s'autorise parfois quelques "extras". En avril 2016, il emprunte des boules dans un restaurant de Lomener (Morbihan) pour disputer une partie de pétanque avec son staff. "J’ai bien fait [de leur prêter], se félicitera le maître d'hôtel du Vivier, cité par 20 Minutes. [Il] a tenu à savoir mon nom, et il m’a rendu mes boules avec un petit cadeau : un maillot de David Luiz." Ce jour-là, un amateur éclairé l'a même trouvé "particulièrement au point".
Le patron du PSG sait se montrer généreux. En 2011, il rend visite à Eric Abidal, hospitalisé pour une tumeur au foie. "Il est venu à Barcelone, est entré dans ma chambre et s’est mis à prier devant moi, se souvient le joueur, dans les colonnes du quotidien catalan Sport. Il m’a dit beaucoup de mots gentils et c’est cette image très forte qui m’a frappé et que je garde en mémoire." A l'occasion, le président parisien peut satisfaire des requêtes originales. Quand l'agent de Javier Pastore lui signale qu'une famille argentine est bloquée au Qatar, après l'annulation de ses billets lors du conflit arabo-persique, en août 2017, Nasser Al-Khelaïfi lui fournit des places sur un vol Doha-Buenos Aires, à bord d'une compagnie qatarie.
Des coups de sang mémorables
"Face à Nasser, il faut être au garde-à-vous, expliquait un homme d'affaires à Challenges. Si vous émettez une critique, il prend note sans rien dire, il reste gentleman, mais il coupe tout contact." En coulisses, Nasser Al-Khelaïfi n'a rien d'un Bisounours. Il est en effet connu pour ses coups de sang. Après des incidents au Trocadéro, en 2013, lors du titre du champion de France du PSG, le directeur général délégué du club "Jean-Claude Blanc a pris cher", rapporte Damien Degorre, journaliste à L'Equipe.
En février 2016, après la diffusion d'une vidéo où il insulte son entraîneur Laurent Blanc, le joueur Serge Aurier est contraint de tourner une vidéo d'excuses, mais il prend l'exercice peu au sérieux. Le président Nasser Al-Khelaïfi s'emporte alors contre le défenseur et frappe violemment dans une porte, rapporte France Football : "Tu resteras cinq heures s'il le faut mais tu vas faire ce qu'on te demande !" Il n'a pas non plus apprécié qu'Hatem Ben Arfa interpelle directement l'émir du Qatar sur sa situation personnelle, au Camp des Loges. Le joueur croupit désormais dans l'équipe réserve.
Une influence dans tous les secteurs
Résultat ? Le président du PSG est désormais apprécié par de nombreux homologues de Ligue 1 – le président de Montpellier, Louis Nicollin, parlait notamment "d'un ami", en vantant son intelligence et sa facilité pour apprendre le français. "C'est quelqu'un à l'écoute et qui a le respect des institutions", ajoute Didier Quillot, directeur général de la LFP, dans le reportage de L'Equipe. Celles-ci le lui rendent bien. Personne n'a oublié les excuses de Frédéric Thiriez, alors président de la Ligue, après un Lens-Paris (1-3) au Stade de France : "Je suis vraiment désolé pour ce mauvais arbitrage."
Avec ses qualités relationnelles, Nasser Al-Khelaïfi a également transformé la tribune VIP du Parc en cour des puissants, où se croisent politiques, chefs d'entreprise et acteurs. Grâce au réseau de son chef de cabinet (et ancien arbitre de tennis), Adel Aref, il fait venir des stars, comme Jay-Z et Beyoncé lors de PSG-Barcelone. En 2015, il est même invité chez Nicolas Sarkozy, rapporte Challenges, à l'occasion de son 60e anniversaire. En août dernier, Nasser et la Fondation PSG accueillent Emmanuel Macron dans un centre de vacances, situé dans les Yvelines.
Ambassadeur bis du Qatar en France
Aujourd'hui, l'influent Nasser Al-Khelaïfi fait presque figure d'ambassadeur bis du Qatar. Il est "là pour défendre les intérêts du Qatar. (...) Il est dur en négociations, mais 'fair', juste", estime l'homme d'affaires Arnaud Lagardère dans L'Equipe. Il n'hésite pas non plus à monter au créneau, quand l'émirat est critiqué. "Je suis sûr à 100% que mon pays peut organiser [sa Coupe du monde] l'été", déclare-t-il en 2014, alors beaucoup d'observateurs regrettent que la compétition ait été attribuée à Doha. "Je ne suis pas impliqué dans ce dossier, mais je réagis en citoyen", dit-il.
Et lorsque des supporters bastiais accusent l'émirat de financer le terrorisme, en 2015, il réclame aussitôt des sanctions à la Ligue française de football professionnel et envisage même de porter plainte – ce qui est finalement impossible, puisque le PSG ne peut pas se substituer à l'émirat. Puis participe au rassemblement sur la place de la République, en hommage aux victimes de Charlie Hebdo. Le club corse écope d'une amende de 35 000 euros, un mois plus tard.
La banderole anti-Qatar de Furiani n'a pas prêché dans le désert http://t.co/6eCg5axpSf pic.twitter.com/5RlkFETmA3
— Corse-Matin (@Corse_Matin) January 13, 2015
Football, médias, réseau politique et économique... Nasser Al-Khelaïfi est aujourd'hui la troisième personne la plus influente du Qatar, selon le magazine économique Gulf Business (en anglais), derrière les présidents de Qatar Petroleum et de Qatar Airways. La revue estime ainsi que "son influence dans l'industrie des médias grandit d'année en année". Reste à connaître dans quelles conditions. C'est tout l'objectif de la justice suisse, qui cherche à savoir dans quelles conditions BeIN Médias a obtenu les droits de deux Coupes du monde.
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