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Tour de France : mais qui sont ces gens qui peignent des messages sur le bitume ?

Sur les pentes du Tour de France, les supporters ont pris l'habitude d'inscrire le nom de leurs champions. Retour sur une pratique déjà très ancienne.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Les coureurs du Tour de France dans l'ascension du Tourmalet (Hautes-Pyrénées), le 24 juillet 2014.  (CHRISTOPHE ENA / AP / SIPA / AP)

"M.A.T.T.H.I.E.U." Dans un drôle de ballet, des peintres s'activent, le dos courbé. Ce 14 juillet, vers 20 heures, à la veille de la 11e étape du Tour de France 2015, Karine Bergouli a rejoint cinq ou six autres supporters de Matthieu Ladagnous, coureur à la FDJ. "On est allés à la montée de Morlaàs [Pyrénées-Atlantiques], avec deux voitures remplies de pots de peinture, de bombes, de pinceaux queue-de-rat... Une équipe s'est mise en haut de la côte, une autre plus en bas. Moi, je faisais la circulation avec une chasuble. Il fallait quand même éviter que nos peintres se fassent écraser."

En seulement 45 minutes, le fan-club a réalisé une soixantaine d'inscriptions, avant de partir fêter ça autour d'un barbecue. "On utilise de la peinture à eau, pas de la glycérine", prend-elle soin de préciser, contactée par francetv info.

Des supporters du coureur Matthieu Ladagnous préparent le passage du peloton, à la veille de la 11e étape du Tour de France 2015, dans les Pyrénées-Atlantiques. (K. BERGOULI / DR)

"Dans la logique, en effet, ce n'est pas autorisé. Alors, on le fait un peu à la va-vite, et quand on croise des gens qu'on connaît dans le village, on se cache un peu", sourit-elle. Mais pas question d'abandonner une once de terrain à la concurrence, c'est une question d'honneur. "Matthieu Ladagnous n'a peut-être pas eu le temps de les voir, mais c'est pour la télé, et pour tous ceux qui viennent sur le bord de la route. Histoire de voir qu'ici, dans les Pyrénées-Atlantiques, c'est son fief !"

L'une des traditions les plus anciennes de l'épreuve

C'est l'une des traditions les mieux assises du Tour de France. Tout au long du parcours, des fans fleurissent le bitume du nom de leur coureur favori. Et plus ça grimpe, plus la route célèbre ses champions. Parfois, c'est la famille qui s'y colle, comme à Saint-Avé (Morbihan). "Allez Wawa", a inscrit le père du Français Warren Barguil, en grandes lettres roses. La scène a été immortalisée par un journaliste de France 3 Bretagne.

Les peintres-supporters viennent également de l'étranger, au plateau de Beille par exemple, pour soutenir les coureurs de l'équipe Cannondale-Garmin, ou pour encourager le Néerlandais Wout Poels, de l'équipe Sky.

Mais depuis quand peint-on le bitume ? Comme le rapporte francetv sport, cette pratique remonterait aux années 1930, quand des supporters italiens du coureur Raffaele di Paco ont eu l'idée d'écrire le nom de leur idole sur les routes du Giro, Rapidement exportée en France et ailleurs, la technique est restée, même en 2000, quand il a fallu affronter la brume du mont Ventoux pour célébrer l'Allemand Jan Ullrich. Le survêtement d'époque, lui, était déjà bien assez bariolé.

Des fans de l'Allemand Jan Ullrich inscrivent son nom à la peinture blanche sur les pentes du mont Ventoux (Vaucluse), le 12 juillet 2000. (PATRICK KOVARIK / AFP)

C'est interdit... mais allez-y

Ces tifos de rue font parfois tiquer. En Californie, l'autorité locale des Transports s'est d'ailleurs penché sur la question, poussant le directeur de l'Amgen Tour, le tour local, à alerter les fans, rapportait alors Cyclingnews.com (en anglais) : "N'utilisez pas de peinture sur les routes (...). Soyez respectueux des riverains. Nous empruntons simplement leurs routes." En cas de flagrant délit, la police peut confisquer la peinture, précisent les conseils aux spectateurs (PDF, en anglais). En Suisse aussi, gare aux déconvenues. Plus connu sous le nom d'"El Diablo", l'Allemand Didi Senft avait pour habitude d'inscrire un trident rouge quelques kilomètres avant le lieu de sa présence, afin d'alerter les télévisions. Mais en 2006, la police locale lui a demandé de tout nettoyer, pour éviter une amende.

En France aussi, il est interdit d'écrire sur la route. "Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros d'amende et d'une peine de travail d'intérêt général", selon l'article 322-1 du code pénal. Mais dans les faits, ce folklore cycliste est bien toléré. Le conseil général du Calvados, lui, a choisi la peinture à l'eau pour afficher sa campagne de communication en prévision du passage à Livarot.

Restent quelques exceptions, dans les sites protégés. Lors de la 11e étape, le Tour 2015 a fait étape à Cauterets, dans le parc national des Pyrénées. "Il y a deux zones : il y a l'aire d'adhésion – en vallée – et puis la zone cœur, laquelle est réglementairement protégée", explique la communication, contactée par francetv info. "Dans les années 90, le Tour voulait arriver au-dessus du village, au Pont d'Espagne. Mais comme elle ne pouvait pas garantir l'absence de publicité, d'inscription au sol et de sono, le projet a été abandonné." Même si la plupart des inscriptions s'effacent d'une année sur l'autre. "Les cyclotouristes arrivent du monde entier, début mai, et il n'y a plus grand-chose. L'hiver, la neige et le sel atténuent vraiment les inscriptions."

"On transformait les bites en papillons"

Certains fans utilisent également le bitume pour faire part de leur mécontentement. Dans cette édition 2015, de nombreux supporters dénoncent les performances de Christopher Froome, jugées suspectes.

Mais vous ne verrez sans doute pas ce message à la télévision. Pour faire place nette avant le passage du peloton, une équipe dédiée est en effet missionnée par l'organisateur ASO. La camionnette a pour consigne d'effacer la publicité sauvage, les propos déplacés, militants ou politiques et les allusions au dopage. C'est le travail de l'entreprise Doublet, qui officie sur le Tour depuis une douzaine d'années, explique La Voix du Nord

En 2006, Julien faisait partie de cette équipe. Il partait tous les matins, deux ou trois heures avant les coureurs. Ces effaceurs portent mal leur nom, car ils ajoutent au contraire de la peinture. De quoi doper leur créativité : "On transformait les bites en papillons, les seringues en échelle et les croix gammées en maisons." Bien sûr, quand il y a des ratés, les téléspectateurs veillent au grain, comme en 2013 :

La diffusion télévisée présente donc une version "light" de cette expression routière, expurgée d'un fatras de revendications. "Dans le pays basque, il y avait beaucoup de messages politiques, par exemple contre la réintroduction du loup. Et il fallait parfois effacer le sigle ETA devant des partisans, c'était assez tendu", poursuit-il, contacté par francetv info. Au total, pendant toute l'épreuve, lui et son collègue ont utilisé deux pots de peinture de 50 litres. "Et ça m'a permis de passer un très bon été."

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