A Bahreïn, la contestation antirégime n'arrête pas les Formules 1
Alors que les manifestations contre le pouvoir sont quotidiennes, le Grand Prix de dimanche est maintenu. Les intérêts économiques semblent avoir balayé toute considération politique ou de sécurité.
Le Grand Prix de Formule 1 de Bahreïn doit normalement se courir dimanche 22 avril. Normalement, car dans le pays, la contestation gronde contre le pouvoir. Les chiites, majoritaires, ont manqué l'an dernier le train du printemps arabe pour faire accepter au roi, sunnite, des réformes de fond mais ne lâchent pas prise. Le week-end du 22, les caméras du monde entier seront braquées sur la monarchie, où devraient vrombir les moteurs des bolides de F1. Tenants du régime comme opposants pourraient essayer d'en profiter.
Le Grand Prix comme arme de propagande
Sur tout le matériel publicitaire lié à la course, le gouvernement la joue "union nationale" avec le slogan "UniF1ed, one nation in celebration". Autrement dit, les dirigeants de la Formule 1 ont laissé le pouvoir bahreïnien utiliser leur sport pour clamer au monde entier que les troubles n'étaient qu'un lointain souvenir. Ajoutez à cela que le fils du roi est le promoteur de la course : faut-il s'étonner alors si les protestataires utilisent précisément l'évènement pour se faire entendre ?
D'après la BBC (reportage en anglais), chaque soir, des centaines de Bahreïniens descendent dans la rue pour protester contre le gouvernement et réclamer des réformes démocratiques, malgré les dizaines d'arrestations préventives opérées par la police en prévision de la course. A la fin de ces manifestations, désormais, des jeunes, soucieux d'en découdre avec les forces de l'ordre, lancent des cocktails Molotov et sont dispersés à coups de gaz lacrymogènes, jusqu'au lendemain.
Une affaire de gros sous
Bernie Ecclestone, le grand argentier de la F1, qui touchera 40 millions de dollars (30,5 millions d'euros) de "redevance" pour la saison, a affirmé qu'il n'y avait cependant aucun danger à maintenir le Grand Prix. Cité par fan-F1.com, il résume ces troubles à "des problèmes entre des enfants et la police". Ce qui lui vaut cette caricature cinglante où on le voit, un billet en guise de bouchon d'oreilles, sourd aux cris du peuple. Des photos à son effigie ont été également été brûlées dans les rues de la capitale, Manama.
La décision de maintenir la course a été l'illustration d'une certaine lâcheté des instances de la F1. Dans cette discipline, rien n'est simple : ce sont les écuries qui ont le pouvoir de décider si la course doit avoir lieu ou pas, mais elles ont préféré se ranger à l'avis de la Fédération internationale automobile (FIA), qui s'est elle-même rangée à l'avis de Bernie Ecclestone, qui s'est rangé à l'avis d'une commission indépendante qui a estimé que pilotes et écuries ne risquaient rien. Des conclusions critiquées par Amnesty International.
Cas de conscience étouffés dans le paddock
"La décision de maintenir la course dimanche n'a rien à voir avec le sport mais n'est justifiée que pour des raisons économiques", dénonce le quotidien britannique The Guardian (article en anglais). La non-tenue de l'épreuve en 2011, en raison déjà des troubles politiques, avait coûté 72 millions d'euros aux acteurs de la F1. Une seconde annulation aurait remis en cause la présence du Grand Prix de Bahreïn dans la saison.
Officiellement, les écuries et les pilotes se plient à la décision de la FIA. En off, c'est moins évident, comme l'avoue ce dirigeant d'écurie qui confie au Guardian : "Franchement, la seule solution pour que ça se passe bien, c'est que la course soit entièrement sous protection militaire. Mais ce ne serait pas acceptable, pour la F1 comme pour Bahreïn." Ceux qui ne veulent pas suivre, comme cette salariée chargée de la restauration dans l'écurie Williams qui a refusé de faire le voyage, ont été licenciés.
Une question de prestige pour le régime
La nouvelle du maintien du Grand Prix a été accueillie avec soulagement par les autorités bahreïniennes. L'an dernier, la FIA n'avait pas exigé l'annulation de la course. Ce fut le gouvernement bahreïnien qui annula le Grand Prix, pour sa propre sécurité alors que la révolte battait son plein.
Aujourd'hui, Manama ne cache pas sa volonté de vendre plus de billets qu'il y a deux ans. Pour le patron de la course, Zayed Alzayani, interrogé par le site spécialisé ESPN F1, les contestataires, "c'est un petit nombre de gens et ceux qui manifestent n'ont jamais dit qu'ils menaceraient ou qu'ils anéantiraient la course. (...) Il y a autant de risque d'attentat qu'aux Jeux olympiques de Londres."
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