"Je ne pense pas être un salaud" : Marc nous explique pourquoi il a abandonné son animal (comme 100 000 personnes par an)
Ce trentenaire a relâché son chat dans un champ, un jour de septembre 2014. Il nous raconte ce qui l'a incité à prendre cette décision.
Une voiture qui s'arrête sur le bas-côté d'une aire d'autoroute, une portière qui s'ouvre, un labrador poussé dehors, et une famille qui redémarre, laissant derrière elle l'animal déboussolé. C'est le scénario classique qui vient à l'esprit quand on évoque les animaux abandonnés, un phénomène particulièrement important l'été : c'est là que se produisent 40% des 100 000 abandons annuels, selon la SPA. Depuis le début des vacances, plus de 8 000 animaux ont atterri dans les 56 refuges de l'association, a alerté son président sur RTL samedi 27 juillet.
Début juin 2018, la fondation 30 millions d'amis avait lancé une campagne émouvante contre ce phénomène. Dans ce scénario, la personne qui abandonne est souvent sans visage, et son geste inexplicable et inexpliqué. Allergies, déménagements, séparations ou lassitude sont citées pêle-mêle par la SPA comme autant de raisons à cette décision. Pourtant, il est parfois l'œuvre de propriétaires qui disent aimer leur animal, et ont la conviction d'avoir fait, sinon le bon choix, du moins le seul possible. Comme Marc* qui, en 2014, a abandonné son chat de quatre ans.
"Il était très lunatique"
"Je pense que je n'aurais pas abandonné un chien... Il y a plus de proximité avec le maître", assure d'emblée Marc. D'ailleurs, si le jeune homme a pris un chat, à 28 ans, c'était par désir de posséder un animal "plus simple à gérer". Il a vite déchanté. Rapidement, Chaminou a commencé à uriner partout dans l'appartement et à se montrer agressif, en particulier avec les filles. "Il était très lunatique, en fait. Il pouvait être très calme, et puis d'un coup il griffait ou mordait", se souvient Marc. Pour éviter ce genre d'erreurs de casting, les refuges conseillent de se renseigner sur le type de chat et son caractère avant de le choisir. Mais Marc a lui choisi d'adopter un chaton de cinq mois, petit de la chatte des parents d'un ami.
Je n'ai su que plus tard que Chaminou était probablement l'enfant du chat sauvage du coin, et que sa mère était aussi caractérielle.
Marcà franceinfo
Sur six chats de cette portée, au moins deux ont ainsi été piqués. Marc estime avoir hérité d'un chat un peu "pété du cerveau" dès la naissance. "Chaque animal a son propre caractère, certains sont plus difficiles que d’autres", reconnaît la présidente de la SPA, Natacha Harry, interrogée par franceinfo. Mais ce n'est pas pour autant une fatalité, assure-t-elle : "Lorsqu’une personne rencontre des difficultés avec son animal, elle peut se faire aider, en consultant son vétérinaire ou un éducateur comportementaliste." Une démarche que Marc n'a jamais entreprise.
Son style de vie n'a pas forcément aidé à ce que l'animal s'épanouisse : né à la campagne, Chaminou a ensuite vécu à Paris, dans un appartement de 25 m2 dont il ne sortait jamais, en dehors de quelques week-ends au vert. "Il a sauté deux fois du balcon, depuis le troisième étage", raconte son ancien maître, qui n'y a vu aucun message sur son besoin de grand air.
"Il a regardé aux alentours et il est parti tout seul"
"Il me pourrissait un peu la vie, mais jamais je n'aurais songé à l'abandonner", se défend Marc, qui a vécu seul avec Chaminou pendant quatre ans. Mais en 2014, le jeune homme déménage près de Nantes pour s'installer avec sa petite amie. Et la cohabitation se passe mal avec le chat, qui se montre agressif avec la jeune femme. Le ménage ne dure qu'une semaine : "Elle m'a fait comprendre que c'était lui ou elle. C'est lui qui a dû partir, même si je l'aimais."
Le jeune homme réfléchit alors à une manière de s'en débarrasser. "Jamais je ne l'aurais donné, ou à un ennemi à la rigueur", plaisante Marc, refroidi par de précédentes expériences. Quand il partait en vacances et laissait son chat à des amis, "il ruinait leur appartement". C'est sa petite amie qui lui suggère une solution : "Elle connaissait un champ, pas loin d'où elle avait grandi, où vivaient pas mal de chats plutôt sauvages. Un ami, un peu hippie, vivait à côté et récupérait tous les chats du coin." Marc se persuade que l'abandonner là constitue "une façon de lui redonner sa liberté", ce qu'il fait, un midi de septembre :
Je me souviens qu'il pleuvait. C'était assez pathétique, en fait. J'étais vachement triste, je crois que j'ai pleuré. Il est sorti de sa cage, il a regardé aux alentours et il est parti tout seul.
Marcà franceinfo
Depuis, Marc, qui vit à une dizaine de minutes du champ, n'a plus jamais revu son chat. Il a tenté de le recroiser, en revenant sur place plusieurs fois. En vain. S'il aimerait croire à une fin heureuse, il se dit sans grande illusion : pour lui, son chat "a dû rapidement se faire choper par un renard".
"Une façon de ne pas affronter le regard des autres"
Pourquoi ne pas l'avoir laissé dans un refuge ? Il assure y avoir pensé, mais confie avoir été freiné par le sentiment que "ça aurait été vraiment l'abandonner". Trois ans plus tard, Marc reconnaît que c'était, sans doute, "une façon de ne pas affronter le regard des autres". Les personnes qui laissent un animal à la SPA doivent ainsi expliquer au refuge les raisons de cette séparation. "On essaie de savoir si leur choix est mûrement réfléchi, de leur donner des conseils s'il y a un problème avec l'animal et qu'ils veulent que ça change", explique à franceinfo Christophe Dumont-Richet, responsable d'un refuge SPA à Marennes (Charente-Maritime). Une confrontation qui se veut pédagogique, mais que Marc appréhendait.
[La peur du regard des autres], je pense que c'est pour ça que les gens laissent leurs animaux sur l'autoroute.
Marcà franceinfo
A leurs risques et périls. Abandonner son animal est en effet puni par la loi. En théorie, Marc risquait jusqu'à 30 000 euros d'amende et deux ans de prison, au même titre qu'un "acte de cruauté" envers un animal. En janvier, une jeune femme qui avait laissé son chien attaché au bord d'une rivière, expliquant qu'elle n'avait aucune possibilité de le faire garder en son absence, a été condamnée à verser 1 500 euros à deux associations et à des travaux d'intérêt général. Si Marc ignorait que la sanction existait au moment où il a relâché Chaminou dans la nature, il affirme que cela ne l'aurait pas dissuadé tant la situation lui semblait insupportable : "J'aurais quand même pris le risque. Ou alors je l'aurais fait piquer..."
Reste que s'il devait tout refaire, il n'adopterait pas Chaminou, surtout en vivant dans un appartement de 25 m2. Malgré son acte, Marc affirme ne pas avoir tiré une croix sur les animaux : réticent à "s'engager pour 10 ou 15 ans" avec un autre chat, il envisage de "prendre un chien pour aveugle, que tu n'accueilles que pour six mois le temps de leur formation". Il en est convaincu : on peut aimer les animaux, mais tomber sur un chat "complètement taré" et l'abandonner par contrainte. "Je ne pense pas être un salaud", souffle-t-il.
* A la demande du témoin, son prénom a été changé.
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