Porno, insémination artificielle et mallettes de lait : comment les zoos déploient des trésors d'imagination pour sauver les pandas
Alors que Huan Huan, la femelle panda du zoo de Beauval, a mis bas, franceinfo revient sur le parcours du combattant des soigneurs pour réussir à assurer la reproduction chez cette espèce vulnérable.
"C'est à croire que l'espèce fait tout pour s'éteindre d'elle-même !" Si la directrice de la communication du zoo de Beauval ne cachait pas sa joie d'annoncer la grossesse de la panda femelle Huan Huan, elle n'en oublie pas le parcours du combattant qui a mené à cette première naissance en France, vendredi 4 août.
Faible libido, période de fécondité extrêmement courte... Les zoos et les autorités chinoises doivent déployer des trésors d'imagination pour aider les pandas à se reproduire. L'occasion pour Franceinfo de vous détailler la recette extrêmement complexe qui a permis à cette espèce de passer en 2016 du statut de "en danger" à "vulnérable", dans la liste de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Patience et analyses d'urine
La patience est le maître-mot. Dans leur milieu naturel, les pandas se fréquentent peu, préférant la vie solitaire des montagnes chinoises pour manger leurs bambous, 20 kilos par jour en moyenne. En captivité, plus besoin de sillonner les forêts du Sichuan à la recherche de nourriture. Le menu, agrémenté notamment de pommes bio, y est plus riche. Mais surtout, mâle et femelle sont côte à côte. En toute logique, les couples devraient donc être dans des conditions idéales pour fonder une famille. Mais en matière de reproduction, rien n'est simple pour les pandas.
Il faut d'abord attendre leur puberté, vers l'âge de 6 ans pour espérer un premier accouplement. Puis tomber au bon moment. Les femelles n'ont en effet leurs chaleurs qu'une fois par an et elles durent soixante-douze heures. Et dans ce laps de temps déjà très court, elles ne sont fécondes que douze à vingt-quatre heures. Pour viser juste, les zoologistes analysent des échantillons d’urine des femelles et, grâce au dosage des hormones, réussissent à déterminer l’heure à laquelle l’accouplement doit avoir lieu. A Beauval (Loir-et-Cher), Huan Huan a donc régulièrement uriné dans un petit récipient accroché au bout d'une perche tendue par les soigneurs. "On lui dit 'peeeeee', et elle fait pipi", détaille avec fierté Delphine Delort, la directrice de la communication du zoo de Beauval.
Odeurs, Viagra et films porno
Ça, c'est pour la théorie. Mais est-ce dû à tous ces regards braqués sur eux, leur timidité naturelle ou encore la décoration de leur enclos ? Dans leur intimité toute relative, les rapports sont rares... Alors, pour susciter l'excitation des mâles, les soigneurs doivent avoir recours à des artifices. Ils déposent des odeurs de femelles sur des branches de bambou, en croisant les doigts pour qu'une étincelle de désir réveille la libido de monsieur. A défaut, pour stimuler ces mâles paresseux, du Viagra est discrètement glissé dans leur complément d'alimentation.
Mais là encore, on est loin d'assister à une frénésie reproductrice. Au zoo d'Edimbourg (Ecosse), un passage a été aménagé, baptisé le Love Tunnel, entre les enclos pour faciliter les préludes amoureux et les accouplements, rapportait The Guardian. Et quand le couple trouve enfin un moment d'intimité, ils ne sont pas à l'abri de voir débarquer un voisin un peu trop envahissant...
Pour ne rien arranger, ces messieurs les pandas n'ont pas été pourvus par la nature d'un pénis adapté à leur gabarit. Une seule position assure une pénétration suffisante pour espérer une fécondation. Alors pour éduquer les jeunes mâles, le centre d'élevage des pandas de Chengdu en Chine leur diffuse des vidéos porno (de pandas bien sûr). Une agence de presse chinoise citée par la BBC assure que ces sessions sont un succès. Didi, un panda de 6 ans aurait ainsi eu "les yeux collés à l'écran", preuve qu'il adore l'exercice, et un autre mâle, Ximeng, est devenu papa après avoir suivi assidûment ce tutoriel vidéo.
A Beauval, l'expérience d'une reproduction naturelle a échoué en février. "Yuan Zi n'a pas su s'y prendre. Il est tombé à côté, ou sur le dos de Huan Huan. C'était compliqué pour lui", se souvient Delphine Delort. C'est donc par insémination artificielle des gamètes de Yuan Zi que Huan Huan a été fécondée au printemps.
Gestation, pseudo-gestation et diapause
Et si cette procréation assistée est un succès, rien n'est encore joué ! La femelle peut arrêter d'elle-même le développement embryonnaire. Ce processus lui permet de retarder la mise-bas si la période lui semble peu favorable. Un phénomène appelé diapause. "Cela peut durer entre un et quatre mois !", précise Delphine Delort. C'est donc aux soigneurs de détecter les signes annonciateurs de la gestation : l'animal est prostré, perd de l'appétit et les prélèvements quotidiens d’urine ainsi que les analyses hebdomadaires montrent une hausse hormonale.
Mais attention. Il peut aussi s'agir d'une pseudo-gestation : la femelle panda peut adopter inconsciemment un comportement de future mère, même si aucun bébé ne naît au final, comme l'explique cet article de Slate. Une sorte de "grossesse nerveuse", en somme.
Pour être certain de la présence d'un foetus, seule l'échographie apporte (enfin) une confirmation, comme ce fut le cas pour Huan Huan. Même si, parfois, le bébé est tellement petit qu’il n’est perceptible qu’à l’extrême fin de la gestation.
En revanche, une fois que la présence du bébé est confirmée, tout va très vite. "La gestation dure cinquante à cinquante-cinq jours. C'est extrêmement rapide. C'est pour cette raison que le ou les bébés qui naissent sont si petits, de 100 à 150 grammes", précise Delphine Delort. A leur naissance, ils ressemblent davantage à de petits rats tout rose qu'à la grosse boule de poils blanche et noir qu'on connaît.
Tout ça pour finalement abandonner l'un des jumeaux...
A ce stade de l'article, vous vous dites "Alléluia", le plus dur est fait. Détrompez-vous ! Avec les pandas, une difficulté en cache toujours une autre. Car en cas de naissance gémellaire, dans la nature, la maman panda ne garde qu'un seul petit et abandonne le plus faible. Impensable pour le zoo de Beauval qui avait prévu de placer les deux bébés placés en couveuse, séparés de leur mère par une vitre donnant directement sur son enclos et de les intervertir régulièrement pour qu'elle les allaite à tour de rôle, sans s'en rendre compte. Malheureusement, l'un des deux petits est mort quelques temps après sa naissance.
Un complément nutritionnel sera fourni au panda survivant par du colostrum, du lait maternel de panda, arrivant tout droit de Chine dans les valises de deux soigneuses spécialisées du centre de recherche et de reproduction de Chengdu.
Si on a bien compris qu'il fallait quasiment un alignement des planètes pour voir un bébé panda naître, est-ce le seul animal dans ce cas ? Clairement oui, selon Delphine Delort. Pour d'autres espèces, les embûches sont d'un autre ordre. Les éléphants par exemple. Le zoo de Beauval a créé une banque de sperme en collectant la précieuse semence d'éléphants sauvages d'Afrique du Sud. "C'est à l'accouchement qu'il faut être vigilant, car il est impossible de réaliser une césarienne pour une femelle éléphant. Elle ne cicatrise pas." Le zoo a également retenu son souffle pendant un mois après la naissance d'un bébé lamantin qui ne tétait pas sa maman. "Nous lui avons donné le biberon sous l'eau pendant un mois. Et, par chance, il a enfin réussi et, par chance également, sa mère avait toujours du lait."
Une question reste en suspens. Que va devenir le bébé panda ? Ils va rester avec sa mère, à Beauval, entre deux à trois ans, avant de repartir vers l'empire du Milieu. C'est ce que prévoit l'accord passé entre le zoo et la Chine lors de la venue de Yuan Zi et Huan Huan. Un déchirement en perspective pour les soigneurs et les équipes. "On n'y pense pas encore, on savoure déjà cette naissance", préfère relativiser Delphine Delort.
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