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Carnage dans un stade égyptien : et si c'était plus qu'une bagarre entre supporters ?

Les ultras du club de foot Al-Ahly accusent la police ou les pro-Moubarak, les Frères musulmans jettent de l'huile sur le feu... Retour sur les origines d'un drame qui prend un tour politique.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Une chaussure abandonnée sur le stade de Port-Saïd (Egypte), après le match du 1er février. (MOHAMED ABD EL GHANY / REUTERS)

Au moins 74 personnes sont mortes après une gigantesque bagarre lors du match opposant le club de Port-Saïd, Al-Masry, à l'ogre du championnat égyptien, le plus grand club du Caire, Al-Ahly. Une cinquantaine de personnes ont été arrêtées. La police a décidé, tardivement, de reprendre la situation en main, et le championnat est suspendu. C'est l'une des pires catastrophes jamais survenues dans un stade. Après le choc, on cherche désormais à comprendre l'origine du drame, qui pourrait bien être plus qu'une simple bagarre entre supporters qui a dégénéré. 

• Des policiers passifs

D'après les premiers éléments de l'enquête, les supporters d'Al-Masry (Port-Saïd) ont provoqué ceux d'Al-Ahly (Le Caire), alors que la partie était mal engagée pour les visiteurs. Al-Ahly était sur le point de perdre son premier match de championnat en 17 journées. On parle d'une banderole injurieuse, de jets de projectiles. Rien d'étonnant quand on sait que les deux clubs cultivent une rivalité très forte. Mais que faisaient les forces de l'ordre? D'après le spécialiste du football au Moyen-Orient James Dorsey, les policiers déployés n'étaient pas en nombre suffisant pour s'interposer. On les voit très bien sur la vidéo regarder les bagarres sans intervenir. Et pourtant, ils étaient prévenus : des tweets menaçants des supporters d'Al-Masry - "Ecrivez votre testament avant de venir au match"- circulaient le matin de la rencontre. 

 

Sur une chaîne de télévision égyptienne (citée par Al-Jazeera), le maréchal Tantaoui, qui assure l'intérim à la tête de l'Etat, a accusé à demi-mot la police locale de négligence volontaire : "Si jamais quelqu'un complote pour le retour de l'instabilité en Egypte, il n'y arrivera pas." La correspondante d'Al-Jazeera se demande si la police n'a pas voulu éviter de réprimer l'émeute brutalement, façon "époque Moubarak", préférant s'abstenir de toute intervention. 

• Une vengeance des pro-Moubarak ?

Les Frères musulmans, qui ont remporté les élections législatives, dénoncent une vengeance des pro-Moubarak. En effet, les ultras d'Al-Ahly, cible de l'attaque, ont été un des éléments moteurs de la révolution de la place Tahrir, au Caire. Les Frères musulmans se demandent si les fauteurs de trouble ne tablaient pas sur une présence policière insuffisante pour faire peur à l'opinion publique et renforcer le rôle de l'armée dans le pays. Ils soulignent que le drame intervient quelques jours après la levée de l'état d'urgence, qui durait depuis trente ans dans le pays. Autre hypothèse : en laissant ces incidents se développer, on affaiblirait la légitimité des supporters du clubs d'Al-Ahly, qui ont joué un rôle essentiel dans la chute de Moubarak.

Les ultras étaient là dès le début des rassemblements place Tahrir, en janvier 2011, rappelle le site du journal égyptien Al-Ahram. Avec leur expérience des batailles de rue, ils ont mis les policiers en difficulté. Ce sont eux qui ont repoussé la terrible charge à dos de chameaux des policiers sur la foule massée place Tahrir, le 2 février 2011. La chute du régime n'a pas modéré leur colère. Les supporters d'Al-Ahly étaient à nouveau descendus cet automne place Tahrir pour reprocher au gouvernement de transition son manque d'empressement à passer la main. Sur leur page Facebook, les ultras du club avaient déjà évoqué un "régime manipulé" par ce qui restait des pro-Moubarak. 

• Des supporters hors de contrôle 

Mais les ultras d'Al-Ahly sont loin d'être exempts de toute critique. Ils sont déjà impliqués dans plusieurs incidents depuis la chute de Moubarak, en février 2011. En dehors des terrains, on les a accusés d'avoir encouragé le saccage de l'ambassade d'Israël au Caire, en septembre, ce qu'ils ont démenti. Sur le terrain, en octobre, de violents affrontements avec la police ont fait 140 blessés, dont 45 policiers. En décembre, le ministère de l'Intérieur avait fini par pénaliser le club à cause de ses supporters. 

La violence entre ultras a toujours existé dans le pays. Mais elle prend un tour de plus en plus radical hors du terrain. D'après Foreign Policy, les leaders des ultras, pas seulement d'Al-Ahly mais également de nombreux clubs en Egypte, ont perdu le contrôle des jeunes qui constituent le gros des troupes. Des jeunes déçus par le chômage toujours omniprésent malgré le changement de régime et les brutalités policières à leur égard. Leur mot d'ordre : "Tous les flics sont des salauds"

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