"Je n’aurais jamais cru que le train passerait une deuxième fois" : "Stars 80", une belle histoire à plus d'un titre
"Nous ne sommes pas des has been, nous sommes des evergreen [toujours verts]." Patrick Hernandez, auteur-compositeur-interprète de Born to Be Alive, a le sens de la formule. Pas étonnant que l'auteur de ce tube planétaire, sorti en 1979, continue de chanter dans tous les Zénith de France grâce à "Stars 80", cette tournée rassemblant les artistes qui ont rythmé toutes les soirées dans les années 1980. Le 2 décembre, le spectacle, qui draine des milliers de spectateurs à chacune de ses dates, fêtera ses dix ans à la U Arena de Nanterre (Hauts-de-Seine), lors d’un concert retransmis en direct sur France 2. Un succès construit parfois dans la douleur, grâce à des stars qui ne boudent pas leur plaisir de retrouver une seconde jeunesse.
"Le monde est fou, fou, fou, voyez-vous !"
A l’origine de cette success-story, deux hommes : Olivier Kaefer et Hugues Gentelet. Au début des années 2000, ils produisent des artistes qui ont connu, vingt ans plus tôt, une gloire éphémère. Lio, Emile et Images, Sabrina, Jean-Luc Lahaye, Cookie Dingler… "Ils avaient encore du succès car leurs chansons génèrent toujours des droits d’auteur, mais on écumait les salles des fêtes pour des galas", se souvient Olivier Kaefer.
A l'époque, Emile et Images font, par exemple, entre 120 et 130 concerts par an, le plus souvent pour participer à des animations municipales. De quoi vivre correctement, surtout si on ajoute les droits d'auteur, mais "rien à voir avec le confort ou la technique que nous apporte Stars 80. Aujourd'hui, c'est le grand luxe !", sourit Jean-Louis Pujade, le batteur du groupe.
C’est Nicolas Pernikoff, alors directeur de l'unité "variétés et divertissements" de France 2, qui souffle l’idée aux deux producteurs, en 2006 : "Il nous a dit de réunir tous les artistes ensemble sur les scènes des Zénith." Le pari est risqué.
Hugues Gentelet hypothèque sa maison, moi je signe des chèques en bois.
Quatre dates sont finalement programmées. "Je pensais qu’on allait faire deux concerts et qu’on allait devoir rembourser les producteurs", se souvient Jean-Pierre Mader. L’auteur-compositeur-interprète de Macumba n’en revient toujours pas : "On a fait le 'Top 50', on a été passés de mode et on remplit de nouveau des Zénith. Je n’aurais jamais cru que le train passerait une deuxième fois…"
Dix ans plus tard, la tournée a vendu plus de trois millions de billets, un record, en remplissant les plus grandes salles de concert de l’Hexagone et même le Stade de France à deux reprises. Et le second film consacré à l’aventure de cette troupe, Stars 80, la suite, dans lequel de nombreux artistes jouent leurs propres rôles, sort le 6 décembre au cinéma. Près de deux millions de spectateurs avaient vu le premier opus, sorti en 2012 et réalisé par Frédéric Forestier et Thomas Langmann.
Jamais je n’aurais imaginé l’ampleur de ce succès, ni même sa longévité.
"Chacun fait, fait, fait c'qui lui plaît, plaît, plaît"
Si le succès est de retour, l’époque a changé. "La crise économique de 2008, les attentats… On traverse une période noire", souligne Olivier Kaefer. Le temps d’un concert, Stars 80 "permet de repartir dans l’insouciance d’une décennie où tout était permis", pointe le producteur. Il se souvient "des premières boîtes de nuit, des whisky-coca, des rencontres sur Minitel, de l’évolution des mœurs…"
A la télé, Stéphane Collaro mettait une playmate, les seins à l’air, juste avant le journal de 20 heures. Tout cela serait impossible aujourd'hui.
Des années de fêtes, de fric, de frime... "Un moment hédoniste où les excès étaient perçus comme du romantisme. Cela représente des années de liberté au regard de la période anxiogène que l’on traverse, résume Jean-Pierre Mader. Au moment où on le vivait, on n'avait évidemment pas conscience qu’un jour, on se dirait : 'C’était ça les années 1980'", confie le chanteur.
Julie Pietri, elle, considère que Stars 80 fait figure de thérapie pour le public. "Cela doit rassurer les gens. On représente la stabilité dans un monde instable", raconte à franceinfo celle à qui l’on doit le tube Eve, lève-toi. "Les premières années, les gens nous disaient 'bravo'. Maintenant, ils nous disent 'merci, vous nous faites du bien'. Il y a un côté 'grande messe'", s’étonne Cookie Dingler.
Mais la nostalgie n’explique pas tout. "Dans le public, il y a beaucoup d’ados et de trentenaires qui n’ont pas vécu cette période, c’est incroyable", s’enthousiasme celui qui chante sa Femme libérée depuis trente-trois ans. "Des gamins de 20 ou 25 ans, l’âge de ma fille", confirme Julie Pietri. Pour la chanteuse, les tubes des parents sont devenus ceux de leurs enfants.
Les jeunes dansent sur nos chansons dans leurs soirées, sans avoir baigné dans cette époque.
"Et tu chantes, chantes, chantes, ce refrain qui te plaît"
Les Démons de minuit, Les brunes comptent pas pour des prunes, Voyage voyage, Confidence pour confidence… Autant de tubes synonymes de machines à cash : dans le cas de Patrick Hernandez, Born to Be Alive lui rapporte en droits d’auteur "entre 800 et 1 500 euros par jour, selon les années".
Mais ces titres sont aussi des "madeleines de Proust" pour un public qui les connaît par cœur. "Ce sont les chansons qui sont les vraies stars dans Stars 80", affirme Cookie Dingler. Sa chanson, Femme libérée, ne lui "appartient plus".
Quand tout un Zénith la chante du début à la fin, c’est qu’elle fait partie du patrimoine. C’est peut-être la chanson d’un anniversaire, d’un mariage, d’un départ à la retraite. Les gens en détournent les paroles.
Boîtes à rythmes, synthés, refrains entêtants... La patte des chansons des années 1980 est immédiatement reconnaissable. "C’était une période très créative par rapport à aujourd’hui où tout est plus uniformisé et parfois jetable", regrette Julie Pietri. "On a fait la nique aux pop stars anglo-saxonnes : c’était des Français qui régnaient sur le dancefloor à l’époque ! Mis à part David Guetta, il n’y a pas d’équivalent aujourd'hui", s’amuse Jean-Pierre Mader.
Ces "Stars 80" ne sont-elles pas lassées de chanter leur tube en boucle ? "Si vous ne chantez pas les chansons que le public attend, vous ne servez plus à rien !", tranche Julie Pietri.
Quand bien même j'aurais chanté ma chanson un million de fois, ce serait bien bégueule de ne pas le faire quand on voit le bonheur que cela peut procurer.
Pour éviter l’aspect répétitif et continuer d’attirer le public, la tournée évolue chaque année. Bien sûr, chaque artiste interprète ses tubes. Mais les membres du spectacle forment aussi des duos ou des trios, qui reprennent d’autres standards de la décennie ou chantent des medleys. "On a amélioré les décors, les chorégraphies, la mise en scène… On a de vrais musiciens, ç'en est fini des bandes-son des débuts. On se perfectionne", raconte Jean-Louis Pujade, batteur de Emile et Images.
"Un peu plus près des étoiles, au jardin de lumière et d'argent"
Depuis dix ans, une quinzaine d’artistes, âgés de 55 à 74 ans, se partagent la même scène, à raison d’une centaine de spectacles par an. Une cohabitation dans une atmosphère de franche camaraderie, assurent tous les artistes interrogés.
"On a tous notre carrière derrière nous", lâche Patrick Hernandez, qui se veut "lucide". "Alors, on est là pour s’amuser et passer un bon moment, poursuit le chanteur. S’il y avait eu des grosses têtes ou des antagonismes, cela n’aurait pas pu durer dix ans."
Il est trop tard pour mener des ego, il n’y a que du plaisir.
Le producteur Olivier Kaefer nuance un peu cette vision idylique : "Quinze artistes, c’est quinze ego à gérer !" Dans son livre, Mes étoiles 1980 (Ed. Pygmalion), il relate quelques anecdotes piquantes sur les coulisses de la tournée.
"Il y a parfois des disputes à gérer ou des artistes mécontents d’avoir moins de titres [à chanter] que leurs camarades", détaille-t-il. Aucun caprice de stars ne lui échappe : un chanteur "pas toujours facile à gérer car il n’a pas l’alcool gai" ; Sabrina (interprète de Boys) qui joue la "diva" ; "Julie Pietri qui achetait les fleurs, qu’elle demandait ensuite à un fan de lui offrir" ; "Jean-Luc Lahaye, le couche-tard qui voyage en voiture car il n’est pas réveillé quand le bus de la tournée se met en route vers le prochain Zénith..."
Dans le bus, "c’est la colonie de vacances", assure de son côté le batteur de Emile et Images. "Dès que la tournée s’arrête, il nous tarde de recommencer", poursuit Jean-Louis Pujade. "L’ambiance est potache, abonde Cookie Dingler. Par exemple, Sabrina est celle qui fait toujours des blagues dans la troupe."
C’est comme si on jouait dans une équipe de foot, chacun est à son poste et c’est rassurant.
"Quand l’un d’entre nous ne va pas bien, on s’inquiète et on prend soin de lui", raconte le chanteur de Born to Be Alive. Julie Pietri se montre plus mesurée : "On a des affinités avec certains et un peu moins avec d’autres, c’est normal."
"Juste une mise au point"
Mais les coups peuvent voler bas dans Stars 80. Hugues Gentelet (incarné au cinéma par Richard Anconina) et Olivier Kaefer (dont le rôle est joué par Patrick Timsit) ont attaqué en justice le producteur des films Stars 80, Thomas Langmann. "Je l'ai attaqué car j'ai collaboré au scénario du premier film et mes droits d'auteur n'ont toujours pas été payés, enrage Olivier Kaefer dans Le Parisien. Je l'attaque aussi sur le deuxième film, pour violation de mon droit moral."
La réponse de Thomas Langmann est cinglante. "J'ai payé Olivier Kaefer 200 000 euros pour qu'il me fasse rencontrer les artistes de leur tournée, qui s'appelait alors RFM Party 80, et pour qu'il organise des concerts au moment de la sortie du film. Il n'a même pas honoré cette deuxième partie du contrat puisqu'il a déposé le bilan", regrette le réalisateur et producteur, toujours dans les colonnes du Parisien.
J'ai ensuite salarié Kaefer pendant des années pour un boulot qui était en fait un placard... Parce que, avec Claude Cyndecki, le coproducteur, on a transformé un spectacle qui ressemblait à la foire à la saucisse en un énorme show.
Olivier Kaefer dément les accusations de Thomas Langmann, à qui il reproche également un "mépris et une forme d’humiliation" vis-à-vis "des artistes et du public" des premières tournées. Présente en 2008, 2009 et 2010, Jeanne Mas dévoile aussi des tensions en coulisses. Des frictions qui l'avaient poussée à quitter l'aventure au bout de trois ans. "Je n'étais pas bien (...) Ma place n'était pas là-bas", confie l'interprète de En rouge et noir et de Johnny Johnny à RTL.
Les personnes qui géraient ça étaient très, très dures avec les artistes. Pas avec moi, car je sais me défendre, mais avec d'autres. Il y avait un manque total de respect.
De son côté, Hugues Gentelet, également en procès contre le cinéaste, lance sa propre tournée Les Années 80 : la tournée, à partir du 12 janvier. Avec Lio, Jean-Luc Lahaye, François Feldman… ils vont "parcourir les villes mises de côté depuis quelques années par Stars 80, avec un spectacle à taille humaine et festif."
Quant aux "stars 80", après un "break" prévu début 2018, elles reprendront la route des Zénith pour une tournée qui doit s’étaler jusqu’en 2019. Cette année-là, Born to Be Alive fêtera ses 40 ans.