GRAND FORMAT. "Une bête de scène qui vérifie tout" : Patrick Sébastien côté coulisses
Pour les vingt ans du "Plus Grand Cabaret du monde" sur France 2, samedi 16 juin, Patrick Sébastien promet un numéro exceptionnel. Casting éblouissant à la Salle des étoiles de Monaco, avec des funambules, des trapézistes et des illusionnistes venus de tous les continents. Alain Delon parrainera l'émission avec, en guest-star, Adriana Karembeu et la Miss France 2016 Iris Mittenaere.
Un feu d'artifice à quelques mois de ses 65 ans, âge couperet qui donne droit à la carte senior. Il fulmine, d'ailleurs, contre les travers de l'époque. S'en prend dans son dernier livre aux "rats d'égout" (comprendre "les dénonciateurs anonymes") qui pullulent, selon lui, sur les réseaux sociaux où son pote Hanouna navigue avec aisance. Mais gare à qui entendrait le mettre à la retraite : dans Le Parisien, il se "retient" de "tout balancer" après que France 2 a réduit à trois le nombre de ses "Grands cabarets", à la saison prochaine.
Depuis des décennies, Patrick Sébastien déploie une énergie inépuisable pour des émissions qui ont fait des cartons d'audiences, du mythique "Grand Bluff" aux soirées de la Saint-Sylvestre. Mais il ne s'y cantonne pas, menant de front plusieurs vies parallèles. Il anime, produit, chante, joue, écrit et se déploie tous azimuts avec une ubiquité qui laisse pantois. Sous le maquillage, que cache l'animateur ?
Un producteur à l'extrême minutie
Acrobates chinois du Zhejiang, clowns russes, magicien de Boston… Les ingrédients du "Plus Grand Cabaret du monde" sont connus des téléspectateurs : numéros éblouissants venus du monde entier, invités célèbres, bonne humeur de rigueur. Pour l'émission flonflons et paillettes des 20 ans, Nicolas Canteloup apparaîtra pour souhaiter la bienvenue "ici à Monte-Carlo", les danseuses du Moulin Rouge en déshabillé de strass argenté imprimeront le rythme du french-cancan et les cracheurs de feu feront frémir la foule. Voilà pour le côté scène.
En coulisses, l'émission exige trois mois de travail et, de la part de l'animateur, un boulot hallucinant : "J'ai dû avoir Patrick [Sébastien] une seconde et demie au téléphone en trois jours", souffle son épouse et assistante Nathalie Boutot (le vrai nom de l'animateur). Sur son travail de producteur, Patrick Sébastien confiait déjà en 2008, lors d'une longue interview filmée par des étudiants : "Il n'y a pas une seule image qui sorte [de sa boîte de production, Magic TV] que je n'ai pas vue." Ancien directeur des programmes de France 2 aujourd'hui à la tête de TV5 Monde, Yves Bigot renchérit :
<span>C'est un fanatique. Il a une exigence vis-à-vis de lui qui est extrême. A ce niveau-là, il n'y a que lui et Thierry Ardisson. Ils font tout, contrôlent tout, ne délèguent rien.</span>
"À partir de vidéos venues du monde entier, Patrick Sébastien choisit lui-même tous les numéros qui vont passer dans 'Le Plus Grand Cabaret du monde', poursuit-il. Mais ça ne s'arrête pas là : une fois qu'il les a fait venir, il les fait retravailler pour que ça s'inscrive parfaitement dans l'émission. Il reconfigure tout à chaque fois."
Enregistrement, spectacle en direct, montage, diffusion, tout est frappé du sceau de la même minutie. "Après des répétitions la veille de 13 heures à minuit et le jour J, le spectacle est enregistré dans les conditions du direct, confirme-t-on à France 2. Jusqu'à la fin, Patrick Sébastien change en permanence le conducteur pour trouver le meilleur rythme, et un enchaînement qui plaise aussi bien à l'artiste, qu'au public et au spectateur. Il ne laisse personne de côté."
Des audiences bluffantes
Patrick Sébastien a appris sur le tas. En 1974, à 21 ans, avec "600 francs en poche" et "des boîtes de conserve", il laisse tomber ses études de lettres, monte à Paris et peaufine les imitations rôdées auprès de ses copains du club de rugby de Brive.
Je me suis démerdé, j'ai fait le cabaret. C'est une vraie belle école, tu apprends ton métier.
Il l'apprend si bien qu'il passe rapidement des boîtes de chansonniers à l'Olympia. Il y fait les avant-premières de Michel Sardou et Serge Lama, qui remplissent alors les salles. Et quand son nom s'inscrit à son tour en haut de l'affiche, il offre à une toute jeune chanteuse canadienne encore inconnue, Céline Dion, l'occasion de débuter. Elle sera la première d'une longue liste d'artistes qu'il va aider ou propulser, de l'humoriste Dany Boon au ventriloque Jeff Panacloc.
À la fin des années 1970, il met un premier pied à la télé comme animateur. Au milieu des années 1980, il pose le second comme producteur. D'abord à La Cinq, la chaîne strass et paillettes de Silvio Berlusconi. Puis sur TF1, où il pulvérise le record d’audience toutes émissions confondues avec "Le Grand Bluff", le 26 décembre 1992.
Devant leur petit écran, plus de 17 millions de téléspectateurs, les yeux écarquillés, regardent un Patrick Sébastien grimé jusqu'à être méconnaissable, jouer les candidats anonymes dans des célèbres jeux télévisés. Et se muer tout à coup en personnage odieux ou provocant. Affublé d'une moustache noire, le nez chaussé de lunettes fantaisie, il insulte ainsi une concurrente de "La Roue de la fortune" après de multiples propos égrillards. Brun et barbu, il s'indigne qu'à "Tournez manège", on ne mette pas "des garçons en face des garçons", suscitant la gêne des animatrices face à ce "représentant de la minorité homosexuelle".
Déguisé en gendarme, Patrick Sébastien trompe jusqu'à sa mère. "Un exploit ! Elle connaissait évidemment parfaitement le lobe de ses oreilles, la moindre cicatrice sur son visage et ses ongles rongés, qu'on a cachés avec des gants. Il fallait que le maquillage soit indécelable à 50 cm, qu'il porte des lentilles rendant noir ses yeux très bleus, et qu'il transforme sa voix. Même elle ne l'a pas reconnue !" s'extasie encore Brigitte Delouis, sa maquilleuse depuis trente ans. Il faudra attendre six ans et les 20,5 millions de spectateurs devant la finale de la Coupe du monde 1998 entre la France et le Brésil pour que tombe enfin le record détenu par "Le Grand Bluff".
Pour gagner les faveurs du public, il joue avec les transformations... et avec les limites. En 2015, pendant l'émission "Les Années bonheur", il choque une partie du public en entonnant sa dernière chanson, intitulée Une p'tite pipe. La secrétaire d'État à la Famille, Laurence Rossignol, juge "limite incestueux" de diffuser une telle chanson dans une émission regardée en famille. Dans Le Parisien, l'animateur reconnaît que diffuser une telle chanson en prime time n'avait "rien d'innocent".
Le roi du parler cash
Son sens de l'humour avait déjà failli lui coûter sa carrière, lors d'un sketch diffusé sur TF1 en 1995. Ce jour-là, Patrick Sébastien, transformé en Jean-Marie Le Pen, entonne Casser du Noir, sur l'air de Casser la voix, le tube de Patrick Bruel. Malaise. Enthousiaste et bras levés, le jeune public reprend en chœur les trois mots de fin du refrain : "M'en veux pas, si ce soir, j'ai envie de casser du Noir". La séquence se termine par une brève interview du président du Front national hilare, s’amusant de la chanson. Elle ne fera pas rire tout le monde. Poursuivi par le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples et la Licra, Patrick Sébastien écope en mars 1996 de 30 000 francs d’amende pour provocation à la haine raciale. Il plaide en vain la satire et le second degré.
Dix ans plus tard, devant des étudiants, il s'étrangle encore à l’évocation de sa condamnation qui lui a valu son départ de TF1 : "Ça a été une espèce de curée [médiatique]. C'est le truc le pire que j'ai eu dans ma carrière. (...) Ils ont dit que j'avais ri avec Le Pen. Je n'ai pas ri, j'ai montré à un mec une caricature de lui. Tu peux condamner n'importe qui pour non-compréhension de second degré, c'est vachement grave." Et d’ajouter :
Ce sketch, je l'ai fait avec une conscience politique mais ils n'ont pas pu l'imaginer tellement ils me prennent pour un con !
Glissons sur ce dérapage vieux d'un quart de siècle. Mais sur un point au moins, Patrick Sébastien n'a pas désarmé : "L'humoriste d'aujourd’hui a une espérance de vie très limitée", écrit-il dans Le bonheur n’est pas interdit, son dernier livre, sorti en 2017. "Le bouffon, bougonne-t-il, se retrouve devant les tribunaux pour un oui ou pour un non."
On peut rire de tout, oui. Mais pas avec n’importe qui, pas avec n’importe quoi, pas avec grossièreté, pas avec cynisme, pas sans avertissement préalable, pas sans s'excuser après.
"Il est sincère. Très sincère même, dans une société où règne le principe de précaution", analyse son ami Jacques Malaterre, auteur d'un documentaire, Les Secrets du plus grand cabaret du monde, diffusé samedi 16 juin sur France 2. "Patrick Sébastien est quelqu’un de totalement désinhibé, s'amuse Yves Bigot. Et c'est pour ça que les gens qui l'aiment l'adorent et que d'autres ont du mal. Il a inventé la paranoïa. La première fois qu'on s'est vus, il était persuadé d'avoir en face de lui un adversaire. On a failli se foutre sur la gueule. Après, on est devenu copains."
Mais ce côté cash possède une face lumineuse, que beaucoup soulignent. Dans le quotidien du travail, il est "adorable", assure sa maquilleuse, concédant toutefois une tendance à "l'impatience". Même son de cloche du côté de Roselyne Bachelot, plusieurs fois invitée au "Plus Grand Cabaret du monde" :
Il est d'une courtoisie totale. Absolument délicieux, attentionné, avec les gens respectueux de leur parole.
L'animateur a aussi pris l'habitude d'inviter à toutes ses émissions des enfants malades ou handicapés. "Et il s'adresse à eux de façon directe, en parlant de tout, comme personne d'autre n'ose le faire", témoigne Yves Bigot. "Les enfants lui en sont incroyablement reconnaissants."
Parmi les associations parties prenantes, Les Petits Princes, qui réalise les rêves d’enfants gravement malades, atteste que l'animateur met un point d'honneur à tenir ses promesses. "Depuis 2003, onze enfants ont voulu assister au 'Grand Cabaret'. À chaque fois, ils ont eu des réponses positives et ont vu leurs demandes exaucées. À chaque fois, ils sont rentrés avec plein d'étoiles dans les yeux, assure-t-on du côté de l'association. Une enfant était si ravie de la chaleur avec laquelle Patrick Sébastien lui a lancé, à elle et sa maman, un 'Salut les filles' décontracté qu'elle l'a raconté pendant des jours."
Les années malheur
Cet extraverti prolixe cultive aussi ses jardins secrets, l'introspection et le retour sur soi. Il compte pas moins d'une vingtaine de livres à son actif, souvent autobiographiques. Son ancien éditeur, Florent Massot, se dit bluffé par "une rapidité, une facilité d'écriture assez unique". "J'écris tout le temps", confiait l'intéressé il y a dix ans. Et aussi bien à Paris que dans sa belle maison-refuge de Martel, dans le Lot.
En 2009, Paris Match détaillait ainsi l'emploi du temps d'une journée du producteur-animateur : "Il est 15h15. Il va aller enregistrer son 'Plus Grand Cabaret du monde'. Ensuite, vers 22 ou 23 heures, il reviendra au bureau pour écrire dans le silence, jusqu'à 4 ou 5 heures. Seul. Son grand bonheur." Un pansement et une thérapie aussi, contre les coups du sort. "Il a connu de grandes douleurs", témoigne la chanteuse Marie Myriam, dernière gagnante française de l'Eurovision (en 1977), qui fut sa compagne à vingt ans.
Son fils Sébastien s'est tué à 19 ans en moto sur une route de Camargue. Qu’est-ce qui peut vous arriver de pire, dans la vie, que la mort d'un enfant ?
Bien avant Emmanuel Macron, Patrick Sébastien a inventé les nuits de quatre heures. Vices et vertus confondus, il s'est tant raconté dans ses livres qu'il a coupé l'herbe sous le pied d'un éventuel biographe. Dans Tu m'appelles en arrivant, best-seller qui a tutoyé les 200 000 exemplaires en 2009, il confie la force de son lien avec sa mère "Dédée", disparue un an plus tôt. Une relation d'autant plus fusionnelle qu'il n'y avait pas de père – parti sans le reconnaître – et qu'il revenait parfois de l'école "la paupière violacée" et "le genou écorché par un "garnement qui lui a fait payer sa bâtardise".
En 2011, dans Dehors il fait beau... hélas !, il a relaté sa bataille gagnée contre un cancer de la peau, détecté juste avant les métastases. Dans son dernier ouvrage (et quelques-uns des précédents), il a aussi avoué ses addictions. "Le litre et demi de whisky" quotidien avalé pendant une décennie, avant qu'il ne rompe pour toujours avec l'alcoolisme et la dive bouteille. La façon dont il s'est amarré longtemps "à des tapis verts et des peaux de secours". La fréquentation des clubs échangistes. Il a tout arrêté, sauf la cigarette. "On ne peut pas renoncer à tout", soupire sa femme.
Boulimique de travail
Mais après quoi court Sébastien ? À en croire ceux qui l'ont côtoyé, l'argent n'est pas son moteur : 'C'est le seul producteur qui m'a demandé de ne pas lui payer une émission parce qu'elle n'avait pas fait l'audience attendue", souligne Yves Bigot. L'angoisse taraude-t-elle le saltimbanque, qui a déjà défié la grande faucheuse en réchappant d'une maladie grave ? En 2017, au journal belge 7 sur 7, il confiait ainsi :
<span>J'ai bientôt 64 ans, je fume deux paquets par jour, je bois 10 cafés et je tiens debout. Donc, à un moment, je vais forcément payer la note. Pas d'excès, mais je ne me vois pas encore vivre 10 ans. Il me reste une dizaine de piges à vivre, pas plus.</span>
Elles s'annoncent bien remplies, ce boulimique de travail ayant toujours mené de front de multiples activités. Trop ? Avec un flegme tout britannique, le président du CA Brive, Simon Gillham, suggère que l'animateur a trop chargé la barque en reprenant la présidence du club, en mars 2007 : "Même si c'est un passionné de rugby, il ne pouvait pas consacrer suffisamment de temps à Brive, avec ses autres activités."
Peu importe les critiques, il ne compte pas ralentir. L'auteur des Sardines ("Pour faire une chanson facile, facile/ Faut d'abord des paroles débiles, débiles...") publie en août un album intitulé sobrement J'assume tout. Dans ses tiroirs dorment une vingtaine de chansons, qui seront diffusées après sa mort. Il investit ou réinvestit la fiction, le théâtre. En 2014, sa pièce, Monsieur Max et la rumeur, adaptée pour la télévision par le réalisateur Jacques Malaterre et dans laquelle il jouait le rôle principal, faisait un excellent score d'audience sur France 2. Cette année, le même Jacques Malaterre met en scène Patrick Sébastien dans son one man show intimiste, Avant que j'oublie, ce que je n'ai jamais pu dire à la télé.
"Avec Patrick Sébastien, on s'est reconnu de la même espèce", résume le réalisateur, aussi acharné de travail que son ami. "Je l'avais rencontré sans a priori. Je m'attendais à trouver un animateur endormi et j'ai découvert une bête de scène qui vérifie tout." Le réalisateur veille désormais à ce que ce comédien, rompu à toutes les techniques d'imitation, "donne accès à son clavier intérieur". Et de conclure : "Comme artiste, il n'a pas encore tout dit."
Anne Brigaudeau