Chypre : du séisme financier aux règlements de comptes politiques
Le ministre des Finances a démissionné mardi soir. Cette annonce met la pression sur le gouvernement, désormais empêtré dans une crise politique.
Quinze jours à peine après son sauvetage in extremis, Chypre recherche les coupables de la crise. Le président, Nicos Anastasiades, a mis en place, mardi 2 avril, une commission d'enquête afin d'en déterminer les responsabilités, fustigeant "une série d'actes et de lacunes" qui "ont conduit le pays au bord de la faillite". La conséquence a été quasi-immédiate : le ministre des Finances a annoncé sa démission. Ce départ met sous pression le gouvernement chypriote, arrivé au pouvoir en février et désormais pointé du doigt par les médias.
Le ministre des Finances, premier fusible à sauter
C'est la première conséquence politique de la crise bancaire chypriote. En démissionnant, Michalis Sarris dit vouloir "faciliter" le travail des enquêteurs chargés d'expliquer pourquoi l'économie chypriote s'est ainsi effondrée. Car avant d'être ministre des Finances, il a présidé la Laïki Bank, la deuxième banque de l'île, aujourd'hui mise en faillite. L'enquête doit notamment porter sur la période où il dirigeait l'établissement, entre janvier et août 2012, notent Les Echos.
Pour la BBC (en anglais), le ministre paie la tourmente financière. Pour certains, Michalis Sarris n'était "pas préparé" aux négociations avec la troïka sur le plan de sauvetage. C'est notamment l'avis du chef de l'Eglise orthodoxe de Chypre qui l'accuse d'être responsable de la déroute des banques.
Les cadeaux présumés des banques chypriotes
Le séisme financier a aussi mis en lumière les liens opaques entre banques et politiques. Plusieurs médias affirment ainsi que les principaux établissements chypriotes - Bank of Cyprus, Laïki et Hellenic Bank - ont généreusement effacé les dettes d'une vingtaine de députés, de leurs proches et de sociétés entre 2007 et 2012. Ils s'appuient sur une liste, publiée dans les médias, notamment par le portail 24h.com.cy, de prêts octroyés à des personnalités et jamais remboursés. Le Cyprus Mail (en anglais) évoque des dettes de plusieurs millions d'euros effacées sans explications.
Plusieurs personnalités figurant sur le listing ont démenti avoir bénéficié de la bienveillance des banques, voire de prêts "préférentiels". Mais ces révélations jettent le trouble sur les agissements de la classe politique chypriote et du gouvernement élu en février.
Des fuites de capitaux douteuses
Une seconde liste pourrait d'ailleurs empoisonner davantage le pouvoir en place, rapportent Les Echos. Elle dévoile le nom de 132 entreprises - d'Etat, du secteur de l'énergie et maritime - et personnalités politiques ayant réussi à retirer d'importantes sommes d'argent de la Laïki Bank pour les mettre à l'abri avant la réunion du 16 mars sur un plan de sauvetage de l'île et la fermeture des banques chypriotes.
Au total, 700 millions d'euros ont été prélevés et transférés à l'étranger ou dans d'autres établissements considérés comme plus sûrs, affirme l'hebdomadaire allemand Der Spiegel (en anglais). Pour le quotidien grec ProtoThema, qui publie la liste, "il est légitime de penser que certaines personnes ont eu accès à des informations privilégiées concernant les décisions qui seraient prises par la zone euro", à savoir la taxation des dépôts de plus de 100 000 euros.
Des soupçons et un président éclaboussé
Tous les regards se tournent désormais vers le président chypriote, accusé d'avoir "prévenu ses amis", comme le raconte le quotidien britannique The Daily Mail (en anglais) citant la presse chypriote. Selon elle, le chef de l'Etat "se doutait que les banques allaient fermer". Pour ne rien arranger, la société de la famille du gendre du chef de l'Etat figure dans la liste des entreprises ayant retiré de l'argent de la Laïki Bank. Le journal communiste Akel l'accuse d'avoir transféré 21 millions d'euros, les 12 et 13 mars, soit quelques jours avant la décision de l'Eurogroupe. Selon Der Spiegel, la moitié de la somme a été envoyée sur un compte bancaire à Londres, l'autre placée à la Bank of Cyprus.
Nicos Anastasiades s'est défendu, mardi 2 avril, balayant les accusations. "Il m'était impossible de batailler à Bruxelles jusqu'au [16 mars] pour éviter ce qu'ils nous ont imposé et en même temps avertir mes proches", a assuré le président. Et afin de prouver sa bonne foi et faire taire les rumeurs, il a appelé les trois juges de la commission d'enquête à s'intéresser "en priorité" à lui et sa famille.
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