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Coupe du monde 2018 : Thierry Henry, l'atout français des Belges pour battre les Bleus

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9 min
L'ancien international tricolore Thierry Henry lors d'un entraînement de la sélection de la Belgique en pleine Coupe du monde le 1er juillet 2018 à Rostov-sur-le-Don (Russie). (JACK GUEZ / AFP)

Le champion du monde en 1998 occupe une fonction de l'ombre au sein de la sélection belge en Russie. Une première expérience au sein d'un staff technique bénéfique aux Diables rouges ?

"Je suis avec la légende, en chair et en os, et il est en train de m’apprendre comment courir dans les espaces comme lui le faisait." Romelu Lukaku a du mal à cacher son enthousiasme quand il décrit sa collaboration avec Thierry Heny. L'attaquant des Diables rouges, déjà auteur de quatre buts durant la Coupe du monde, profite, comme tous ses coéquipiers depuis bientôt deux ans, des conseils et de l'expérience du meilleur buteur de l'histoire de l'équipe de France. Des conseils d'autant plus préciseux alors que les Diables rouges affrontent les Tricolores, mardi 10 juillet en demi-finale.

L'homme aux 51 réalisations sous le maillot bleu, champion du monde (1998) et d'Europe (2000), devenu légende vivante à Arsenal, vit son cinquième Mondial. Son premier en tant que technicien sur le banc puisqu'il est le deuxième assistant de Roberto Martinez, le sélectionneur de la Belgique. Mais pour faire quoi ? Eléments de réponse.

"Quand tu aspires à devenir coach, il faut que ton téléphone sonne"

Le 16 décembre 2014, après une ultime rencontre avec les New York Red Bulls, Thierry Henry raccroche les crampons et se pose la question redoutée par tous les grands joueurs au moment de leur retraite : "Que faire après cette petite mort ?". Il n'a pas trop le temps de tergiverser puisqu'il officialise, dans la foulée, son nouveau poste de consultant pour la chaîne britannique Sky Sports. "J'ai hâte de passer au prochain chapitre", déclarait alors l'homme de 37 ans. Un salaire de 5 millions d'euros par an durant six saisons l'attend pour analyser les matches de Premier League et des grandes compétitions internationales. "C'est une étape logique [d'être consultant]. Cela me donne l'opportunité de rester proche du jeu et du terrain", explique l'ancien Gunner. Mais l'appel du rectangle vert ne tarde pas à ressurgir. Parallèlement à son activité de consultant, Thierry Henry passe ses diplômes d'entraîneur auprès des jeunes d'Arsenal. Ce désir était plutôt secret à en croire son coéquipier à Londres, Robert Pirès.

Il ne parlait pas de ça quand on jouait à Arsenal ou chez les Bleus, mais je l'imaginais entraîneur. Il aime tellement le football, en voir, en parler ou l'analyser.

Robert Pirès, consultant BeIN Sports pour la Coupe du monde

à franceinfo

Pourtant, le 10 mars 2016, il obtient le précieux sésame.

A l'époque, il est le neuvième champion du monde de France 98 à embrasser cette deuxième vie près des terrains. Mais contrairement à Zinédine Zidane (Real Madrid), Didier Deschamps (équipe de France) ou Laurent Blanc (PSG), aucun grand club ne vient taper à sa porte. Une période pas forcément évidente quand on a connu la gloire. "Quand tu es un bon joueur, tu te dis 'je vais aller là plutôt que là-bas', tu choisis. Mais quand tu aspires à devenir coach, il faut que ton téléphone sonne, raconte-t-il à Canal +. Mon téléphone a sonné".

A l'autre bout du fil, Roberto Martinez, le sélectionneur de la Belgique, lui propose le poste de deuxième assistant. "J’ai eu une offre de Roberto Martinez, difficile à refuser, je ne me suis pas dit 'on ne m’a pas appelé là ou là'", souffle le natif des Ulis (Essonne). L'officialisation tombe dans les derniers jours du mois d'août 2016. "On savait que la sélection cherchait un grand nom, mais on a été très surpris qu'il accepte", sourit Christophe Franken, journaliste pour le quotidien belge La Dernière heure, envoyé spécial en Russie et joint par franceinfo. Robert Pirès, lui, est plus mitigé; "J'aurais voulu le voir sur le banc à côté de Didier Deschamps", regrette l'ancien champion du monde. 

Le travail de l'ombre

En cette fin d'été 2016, la Belgique sort d'un Euro décevant, éliminée en quart de finale par le pays de Galles. L'Espagnol Roberto Martinez, un technicien qui s'est fait un nom en Premier League, sur le banc d'Everton, a pris la place du Belge Marc Wilmots. "On n'était pas habitué à avoir un entraîneur étranger, donc on pensait qu'il allait prendre un Belge parmi ses assistants, raconte le journaliste. Mais lorsqu'on a su que Thierry Henry nous rejoignait, personne ne s'est ému qu'il ne soit pas belge". 

Le boss en sélection belge, c'est Roberto Martinez le sélectionneur. Thierry Henry, lui, reste au second plan comme ici à l'entraînement à Tubize (Belgique) le 23 mai 2018 avant le Mondial. (BRUNO FAHY / BELGA)

Le joueur a une aura incomparable, une carrière et des titres qui parlent pour lui. Il arrive en tant qu'homme de l'ombre. Et ce n'est pas non plus l'appât du gain qui l'a mené là puisque la Fédération belge n'est pas réputée pour sa richesse. La rumeur court même outre-Quiévrain qu'il reverse son salaire aux bonnes œuvres. "Titi" se fait discret dans les médias. Au grand dam des suiveurs des Diables rouges. "Il y a eu une rencontre informelle avec des journalistes peu de temps après sa prise de fonction, il a expliqué qu'il n'était pas responsable, il n'avait pas à se mettre en avant", éclaire Christophe Franken. Lors de cette prise de contact, Henry charme l'assistance et impressionne par sa connaissance encyclopédique du ballon rond. Depuis deux ans, il se fait très rare. Les médias belges ont bien essayé de négocier son passage devant la presse lors de la préparation de la Coupe du monde, mais ont essuyé un refus poli.

Il n'est pas venu pour se mettre en avant ou pour l'argent, il est vraiment venu pour apprendre le métier d'entraîneur.

Christophe Franken, journaliste à "La Dernière heure"

à franceinfo

Pour le voir, il faut donc assister aux entraînements de la sélection. Et constater que le joueur n'a pas tout perdu. "Il a encore un sacré niveau", corrobore Christophe Franken. Il fait office de centreur de luxe pour le duo d'attaquants Romelu Lukaku et Michy Batshuayi, lui qui avait plutôt l'habitude d'être à la réception des offrandes. Contrairement aux autres membres du staff, il participe plus aux séances, chambre les joueurs. A 40 ans, il a encore des fourmis dans les jambes et n'a pas perdu son âme de compétiteur.

"Il m’aide tellement dans tous les aspects du jeu"

Mais si Henry a rejoint les Diables rouges, ce n'est pas pour prouver qu'il pourrait encore postuler au poste d'avant-centre dans une équipe. Non, sa mission est d'apporter son expertise et mettre son talent de buteur au service du groupe. Les attaquants Romelu Lukaku et Michy Batshuayi sont les premiers concernés. Christophe Franken précise : "Lukaku a toujours été un gros talent avec du potentiel, mais il manquait de finesse, de précision. Il a travaillé en club. Mais aussi en sélection. Henry a eu une réelle influence". Robert Pirès confirme : "Quand on voit son deuxième but contre la Tunisie (un petit plat du pied au-dessus du gardien), ça c'est du 'Titi'. Avec lui, ce n'était pas la force, c'était toujours la finesse". Mais c'est encore le principal intéressé qui en parle le mieux. "Depuis que nous travaillons étroitement ensemble, je pense que je suis devenu deux fois meilleur. Il m’aide tellement dans tous les aspects du jeu : la compréhension du jeu, la technique, les frappes… Je lui dois beaucoup", assure l'attaquant de Manchester United dans une interview donnée à The Player's Tribune (article en anglais).

L'autre attaquant, l'ancien Marseillais Michy Batshuayi, est également aux premières loges et parle de "petit plus", sans entrer dans les détails. Mais la présence de Thierry Henry ne profite pas seulement aux deux buteurs. L'ex- Barcelonais a été l'une des idoles de ces Diables rouges. "Des posters de Henry ornaient les murs des chambres de certains joueurs", souligne Christophe Franken. A l'image du passage de Zinédine Zidane au Real Madrid, cette aura semble bénéfique à l'ensemble du groupe. "Il a gardé une mentalité super jeune, et ça l'a aidé à gagner la confiance des joueurs. C'est aussi pour ça que Martinez a choisi quelqu'un comme lui, il sert de lien entre les joueurs et le staff technique, il est intergénérationnel. Sa présence, son charisme, ses idées : quand il parle, tout le monde l'écoute", souligne le défenseur Thomas Meunier à Sport/Foot Magazine

L'expérience des grands rendez-vous

Thierry Henry apporte aussi son expérience. Depuis quelques années, la Belgique est systématiquement placée dans le wagon des gros outsiders avant chaque compétition internationale. Pour à chaque fois décevoir. En 2014, elle est éliminée en quart par l'Argentine. En 2016, rebelote face aux Gallois. Il manquait donc "ce petit truc". Une barrière psychologique que le Français est censé faire sauter. "Il a ce savoir-faire et cette expérience d'avoir remporté une Coupe du monde, et ça n'a pas de prix pour nous qui devront abattre des barrières mentales pour y parvenir", atteste Roberto Martinez. "Peut-être qu’à un moment dans le tournoi, il va dire quelque chose qui nous aidera vraiment à un moment clé", abonde le défenseur belge Toby Alderweireld.

Le quart de finale réussi face au Brésil (2-1) ressemble fortement à ce "moment clé" dont parle le joueur de Tottenham. Une sélection brésilienne que Thierry Henry connaît bien depuis la finale en 1998 – il n'avait pas joué – et ce quart de finale en 2006 où il inscrit le but décisif. Ce match contre la Seleçao puis la rencontre fratricide face à la France, c'est l'avenir à très court terme. A moyen terme, c'est déjà plus flou. Avant le Mondial, tout le staff technique belge a prolongé de deux ans... sauf Thierry Henry. "L'impression qui règne autour de la sélection, c'est qu'après le Mondial, il aura terminé son apprentissage", avance Christophe Franken. Il aura emmagasiné de l'expérience et si la Belgique devait aller au bout, son crédit sera décuplé. Alors, l'heure sera venue de voler de ses propres ailes et de frapper à la porte des clubs européens "Ca serait la suite logique, avance Robert Pirès. Des présidents, notamment en Premier League, pourraient être intéressés. Mais avant le grand club, il faut prouver, travailler. Ce n'est pas forcément facile, même quand on s'appelle Thierry Henry" .

Et le consultant de citer les trajectoires de Zinédine Zidane, passé par l'équipe B du Real Madrid et le poste d'adjoint de Carlo Ancelotti avant de triompher, ou celle de Patrick Vieira parti faire ses gammes en MLS (la Ligue nord-américaine de football) avant d'atterrir à l'OGC Nice cet été. Christophe Franken, lui, est plus catégorique :"Il donne l'impression d'être fait pour l'élite."

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