Coupe du monde 2022 : au Canada, le soccer se développe dans le sillage de la qualification pour le Mondial

Pour la première fois depuis trente-six ans, le Canada s'est qualifié pour une Coupe du monde, en battant la Jamaïque (4-0), dimanche 27 mars. L'événement pourrait passer inaperçu, dans un pays où le soccer reste un sport secondaire, au regard de la popularité du hockey sur glace. Mais la performance des Canucks, leaders du groupe Concacaf avec une seule défaite en treize sorties est telle, que la population canadienne se prend au jeu. "Les billets sont tous partis en 38 minutes pour le match contre la Jamaïque !", jubile Patrice Bernier, sélectionné à 56 reprises dans l'équipe nationale canadienne entre 2003 et 2017. La rencontre a été suivie par un million de téléspectateurs. 

"Avant, les gens venaient au stade avec des t-shirts de hockey sur glace. Maintenant, on commence à voir des maillots de soccer", témoigne Rodolphe Wilhelm, présent dans les tribunes lors du match décisif, dimanche. Expatrié depuis une décennie, cet Alsacien entraîne une équipe U16 d'un club de Toronto. Il a observé la mue du football canadien ces dernières saisons, qui est passé du 117e au 33e rang au classement Fifa en cinq ans.

Qualification pour la coupe du monde : ✅

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— Canada Soccer (@CanadaSoccerFR) March 27, 2022

Alphonso Davies et Jonathan David en têtes d'affiche

Cette réussite, le Canada la doit en grande partie à John Herdman, son sélectionneur. Auparavant à la tête de la sélection féminine, avec laquelle il a raflé deux médailles d'or aux JO de Londres et Rio, l'Anglais a immédiatement visé la qualification pour le Qatar à son arrivée en 2018. Qu'importe si, avant sa prise de fonction, la sélection pointait à la 94e place mondiale.

"Par le passé, le Canada a souffert d'un complexe d'infériorité par rapport à ses voisins. Là, ils ont progressé sur l'aspect mental et ne veulent laisser aucun centimètre aux Costaricains et Mexicains."

Patrice Bernier, ancien international canadien

à franceinfo: sport

Le renouveau a, il est vrai, été facilité par l'avénement d'une génération exceptionnelle, incarnée par Alphonso Davies (Bayern Munich) et Jonathan David (Lille). "Mais il y en a d'autres, continue Bernier. Eustaquio joue à Porto, Richie Laryea à Nottingham, Borjan et Hutchinson ont de l'expérience en Ligue des champions..." L'ancien milieu de terrain le rappelle d'ailleurs, le Canada a remporté quatre matchs sur cinq depuis la blessure du Bavarois.

En plus d'être de bons footballeurs, ceux-ci sont, pour beaucoup, issus de la diversité. "Ils sont à l'image du pays, un melting-pot de plusieurs nationalités", décrypte Rodolphe Wilhelm, grand suiveur du football canadien. Ces communautés africaines, européennes ou indiennes aident à la popularisation du ballon rond. Stephen Eustaquio est d'origine portugaise, Jonathan David haïtienne et Alphonso Davies est né au Ghana.

Dans le pays à la feuille d'érable, la notoriété du latéral gauche n'atteint pas celle de Drake, rappeur emblématique de Toronto. Mais il devient, peu à peu, une figure de la jeunesse canadienne. "Depuis les bons résultats, Drake a aidé pour la notoriété du football, indique Rodolphe Wilhelm. Avant, il parlait surtout des Raptors [franchise de NBA basée à Toronto], et là, il suit l'équipe de soccer et poste des photos avec Davies."

Drake a toujours voulu rencontrer Alphonso Davies.

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— GOAL France (@GoalFrance) October 14, 2021

Formé aux Vancouver Whitecaps, Davies est l'illustration du développement du soccer au-delà de la sélection. Il s'est fait connaître du public local en MLS avant de rejoindre l'Allemagne. En tout, trois franchises canadiennes évoluent dans le championnat nord-américain. "Ces clubs ont des académies et n'obligent plus les Canadiens à s'expatrier très jeunes. Ils s'affirment, deviennent pros et traversent ensuite l'Atlantique", complète Patrice Bernier, qui a fini sa carrière à l'Impact Montréal, en MLS.

Un championnat pro créé en 2019

Parallèlement, un championnat professionnel a vu le jour en 2019. La Canadian Premier League "donne un plus gros bassin de joueurs pour rivaliser en U17 ou U20", pour Patrice Bernier. "C'est similaire au niveau Ligue 2", embraye Guillaume Pianelli, tout juste recruté par les Patriotes, champions en titre. Le défenseur de 23 ans, qui s'est entraîné deux ans avec le SC Bastia en Ligue 1, poursuit : "Le niveau individuel est très bon, mais il y a des manques tactiquement."

Guillaume Pianelli a posé ses valises au Québec en 2019, pour jouer dans une équipe universitaire. À l'entendre, ce modèle nord-américain profite à la sélection : "Des joueurs canadiens ont d'abord joué pour des universités aux Etats-Unis, avant de rejoindre la MLS puis la sélection", poursuit le Corse, qui se voit bien rester au Canada.

Cette qualification pour le Mondial devrait accélérer le développement du soccer dans le pays. Patrice Bernier avait six ans lors de l'unique participation des Rouges à un rendez-vous mondial, en 1986. "Ce moment m'a marqué, on était dans le groupe de la France, se souvient-il. Il m'a montré que le Canada pouvait être avec l'Argentine ou le Brésil, et que le soccer n'était pas que dans mon quartier !"

Fidéliser un public est d'autant plus important que le pays co-organisera la Coupe du monde 2026, avec les Etats-Unis et le Mexique. Une base existe : malgré une notoriété encore à polir, le soccer compte un million de licenciés, soit plus que le hockey. "Il y a quand même une éducation à faire pour que les jeunes voient les matchs, mais petit à petit, ils parlent de foot", constate l'éducateur Rodolphe Wilhelm. "Le Mondial montrera vraiment aux jeunes qu'ils peuvent être des 'joueurs de soccer', pour qu'on devienne un pays de football", conclut Patrice Bernier.