Coupe du monde 2022 : "Dès le réveil, le maillot sur les épaules"... La démesure émotionnelle du parcours de l'Albiceleste en Argentine
Argentine-Mexique, 64e minute de jeu au stade de Lusail. Lionel Messi trompe Guillermo Ochoa d'une frappe sèche du gauche et exulte avec l'ensemble de ses coéquipiers, sous la bronca de milliers d'hinchas argentins. Célébrée comme un but en finale de Coupe du monde, cette réalisation de la "Pulga" en phase de poules témoigne de l'émotivité constante qui entoure l'Albiceleste.
"J'ai reçu un message de mon frère me disant qu'il pleurait et je crois qu'il faut avoir un peu plus de bon sens", témoignait le sélectionneur argentin Lionel Scaloni, après-coup. "On doit faire sentir aux joueurs que c'est un match de foot, sinon ça sera toujours difficile. Il y a un sentiment de soulagement mais c'est difficile de faire comprendre aux gens que le soleil brillera demain, qu'on gagne ou pas." Un apprentissage presque impossible pour un peuple amoureux de sa sélection, dont la quête d'une troisième étoile passera par une demi-finale contre la Croatie, mardi 13 décembre, au stade Lusail.
Une sélection à l'image de son peuple
"Cette équipe ressemble assez à la société argentine", note Anaïs Dubois, correspondante française à Buenos Aires. "Elle est provocatrice mais toujours avec de l'humour, notamment dans les chants de supporters. Ce sont des gens sensibles qui perdent leur sang-froid assez facilement, soit en se mettant à pleurer, soit en éclatant de joie." Rien d'étonnant donc, quand l'exubérant gardien Emiliano Martinez admet avoir consulté un psychologue après la défaite inaugurale de l'Argentine contre l'Arabie saoudite (1-2).
"C'est une société où tout le monde va chez le psy", explique la journaliste française. "C'est tout à fait normal d'assumer ses émotions, sentiments, débordements, etc. Les joueurs ont beau évoluer en Europe dans des milieux plus rationnels, ils demeurent argentins, ce qui explique ce côté à fleur de peau." Cette ressemblance permet un attachement sans faille du peuple pour l'équipe actuelle, accentué par le succès en Copa America en 2021 et une volonté commune de faire gagner la Coupe du monde à Lionel Messi, deux années après le décès de l'autre idole locale, Diego Maradona.
Dans un pays aux 47 millions d'habitants et de supporters, suivre un Mondial à 13 000 kilomètres de Doha nécessite alors des aménagements. "À Buenos Aires, il y a un silence absolu. Aucune voiture ne circule. La plupart des commerces s'arrangent pour permettre à leurs employés de voir les matchs", remarque Anaïs Dubois. "Dans les bureaux, soit on coupe à l'heure du match, soit on fait une pause pour voir la rencontre tous ensemble. C'est quasiment impossible de ne pas vivre la Coupe du monde."
"Cabala" et courbatures
Si la vie s'arrête pendant au moins 90 minutes dans la capitale, l'avant et l'après-match sont au contraire très animés. "Dès le réveil, tout le monde a déjà le maillot sur les épaules. Au moment du match, les gens s'organisent pour le regarder entre amis ou en famille, tout en respectant certaines superstitions pour faire gagner l'Argentine", révèle Anaïs Dubois. "On appelle ça la cabala. C'est par exemple, regarder les rencontres avec les mêmes personnes, aller à l'église, ou mettre une petite effigie de Maradona devant la télévision."
Cette cabala s'accompagne d'une boule au ventre qui ronge chaque Argentin, jusqu'au coup de sifflet final. "Quand l'Albiceleste parvient à gagner, toute la tension nerveuse de la journée se relâche. Les gens se retrouvent pour fêter la victoire dans la rue comme une finale. Le lendemain, tout le monde a des courbatures comme s'ils avaient joué le match." Bien que le poids de l'émotionnel provoque parfois des trous d'air à l'Argentine comme lors des dix dernières minutes du quart de finale contre les Pays-Bas (2-2, 4-3, t.a.b), cette capacité du peuple argentin à souffrir autant que sa sélection, pourrait permettre aux hommes de Lionel Scaloni d'aller au bout de ce Mondial.
Environ 30 000 à 40 000 Argentins ont ainsi fait le déplacement au Qatar pour cette Coupe du monde. De quoi assurer à l'Albiceleste le soutien total du douzième homme contre la Croatie et maximiser ses chances de victoire. A condition que chacun respecte scrupuleusement sa cabala.
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