: Reportage Coupe du monde 2022 : "J’ai dépensé dix mois de salaire pour voir 15 matchs"… Rencontre avec les supporters boulimiques du Mondial
Dans la ligne rouge du métro de Doha, Rui est en extase. Ce supporter australien, la quarantaine, est arrivé il y a quelques jours au Qatar pour assister à la Coupe du monde 2022. Mardi 22 novembre, pour le troisième jour du Mondial, il se rend au stade Education City pour aller voir le match entre le Danemark à la Tunisie. À la volée, il interpelle des supporters saoudiens qui rentrent de leur côté du stade Lusail, où leur équipe vient de mettre à terre l'Argentine.
"Vous avez tellement bien joué aujourd'hui", lance Rui, avant de poursuivre : "Je suis dégoûté, je ne vais pas pouvoir vous voir. Je vais à 20 matchs, mais aucun de l'Arabie saoudite". La phrase interpelle. 20 matchs sur les 48 de la phase de groupes ? Rui acquiesce avec le sourire.
Comme Rui, de nombreux supporters venus à Doha ont acheté des billets pour aller voir plusieurs matchs. Le Qatar, pays de trois millions d'habitants, s'est préparé à recevoir plus d'un million de visiteurs pendant la compétition. Pour la première fois de l'histoire, la Coupe du monde se tient sur un territoire ramassé, de la taille de l'Île-de-France. "C'est une super opportunité pour faire plein de matchs", se réjouit César, qui est venu tout droit du Mexique, comme beaucoup de ses compatriotes présents à Doha.
En profiter pour voir ses idoles
Originaire de Monterrey, l'homme assiste à son premier Mondial et s'apprête à monter dans les tribunes du stade Al-Bayt pour voir la rencontre entre les États-Unis et l'Angleterre. Pour l'occasion, César a sorti le maillot du buteur anglais Harry Kane. Il accepte de prendre quelques minutes pour se raconter : "Au Mexique, je travaille comme ouvrier. J'ai dépensé l'équivalent de dix mois de salaire pour venir voir quinze matchs". Un investissement considérable, qu'il ne regrette pas.
"Ça vaut la peine, bien sûr ! Je vais aller voir toutes mes idoles, Cristiano Ronaldo, Neymar, Messi et mes joueurs favoris du Mexique. Je me souviendrai toute ma vie de ces moments", savoure-t-il. Enchaîner les matchs, c'est risquer de voir du football jusqu'à l'indigestion. "On n'a pas peur de ça. On est venus tout droit d'Australie exprès pour ça", nous explique Carlos. Cet habitant de Canberra est venu avec son pote Javier pour assister à dix matchs de la phase de groupes.
Les deux ont déboursé chacun 15 000 dollars australiens (près de 10 000 euros) pour les billets d'avion, les billets de matchs et l'hébergement. "Voir autant de rencontres, c'est quelque chose d'indescriptible", se réjouissent-ils, sans penser à l'aspect financier. Voilà pour le côté positif. Car les deux Australiens en ont aussi gros sur la patate, après quelques jours de compétition : "La chaleur, les mesures de sécurité, les déplacements… C'est crevant !"
Un casse-tête logistique
Rui confirme. L'autre Australien, croisé dans le métro, n'est joignable que par message depuis notre première rencontre. Trop occupé à enchaîner les matchs – parfois trois par jour ! –, il ne fait "que courir dans tous les sens", et n'a pas le temps d'honorer notre rendez-vous en ville. "Je marche jusqu'à 20 kilomètres par jour", nous confie celui qui a revendu un billet de Serbie-Cameroun, après avoir eu les yeux plus gros que le ventre.
Les mesures de sécurité qui changent d'un stade à l'autre et les bouchons non anticipés sur les routes irritent certains des supporters qui veulent enchaîner les rencontres. "Le corps n'a pas le temps de se reposer. On passe notre temps dans les navettes", explique Carole, croisée au stade Al-Janoub avant un match entre la Suisse et le Cameroun. La Germano-Américaine est venue avec sa fille et son époux Mike, qui porte un maillot du Brésil. Le trio a prévu d'assister à 20 matchs de la phase de groupes : "On n'a pas le temps de manger sainement et la nourriture au stade n'est vraiment pas bonne".
"C'est pesant parce que les bus te déposent vraiment loin des stades, renchérit César, le Mexicain. Et puis le fait de regarder des matchs sans la bière, ça nous manque." Rémi, un moniteur de ski de Valmorel, en Savoie, qui "sera rentré en France pour le début de la saison hivernale", n'imaginait pas non plus faire face à un tel défi logistique. "C'est long, ce sont de grandes allées, avec beaucoup de zigzags, on fait beaucoup de détours. Je dormirai quand je rentrerai", affirme celui qui devait assister à sept matchs de la phase de groupes, pour un investissement total de 6 000 euros dans cette aventure qu'il vit seul.
Quatre à cinq matchs en moyenne
D'autres ont moins de difficulté, comme Tim. Croisé avant la rencontre entre l'Angleterre et les États-Unis à Al-Bayt, cet Anglais qui travaille dans une compagnie hôtelière à Doha se fait beaucoup moins de souci : "Je viens en voiture, l'organisation est très bonne". Ses 17 matchs au programme ne lui ont pas coûté énormément d'argent, les prix des billets étant cassés pour les résidents.
Malgré le casse-tête logistique et la fatigue, ces boulimiques du Mondial qatariens retiennent le reste : "Les gens que tu rencontres, l'ambiance. Et le football". Et savent qu'ils sont une exception : la majorité des supporters interrogés dans les rues de Doha, dans le métro de la capitale et autour des stades devaient assister à quatre ou cinq matchs en moyenne.
Un nombre déjà important. Mais trop maigre pour rentrer dans la catégorie des "gloutons du ballon rond" pendant cette Coupe du monde. Un qualificatif qui ne collera pas à ce supporter américain rencontré, et que l'on éconduit, car il ne doit assister "qu'à" quatre matchs. "Mais vous êtes fou ? Quatre matchs, c'est déjà largement suffisant !", nous rétorque-t-il en rigolant.
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