Coupe du monde 2022 : le Qatar, champion du monde de l'accessibilité pour les personnes handicapées ?
"On avait beau être tout près du kop des supporters français, on ne s'entendait pas à cause des fans marocains. Quel public !" Erwan a passé une soirée difficile, mercredi 14 décembre, jusqu'au but de Randal Kolo Muani qui a scellé la victoire des Bleus en demi-finale du Mondial à Doha (Qatar). "On a stressé jusqu'au bout." Mais ce trentenaire en fauteuil roulant, atteint de myopathie, va pouvoir réaliser son rêve : assister à la finale de la Coupe du monde "et voir la France face à l'Argentine de Messi", dimanche soir. Comme lui, ils seront plusieurs centaines de personnes à mobilité réduite (PMR), venues du monde entier, à garnir la tribune qui leur est réservée au stade Lusail.
Tout au long de cette édition de la Coupe du monde, tout a été fait pour placer les PMR sur le devant de la scène. Avant chaque match, deux personnes en fauteuil sont conduites sur le terrain, aux côtés des deux équipes, pour le cérémonial d'avant match. Lors de la cérémonie d'ouverture, le jeune influenceur Ghanim Al-Muftah, né sans ses membres inférieurs, a donné la réplique à l'acteur américain Morgan Freeman.
" Et matière d'accessibilité, le Qatar est n°1, d'assez loin", constate Malik Badsi, qui a créé Yoola, agence de voyages pour les personnes handicapées, en 2010, à l'occasion du Mondial en Afrique du sud. Pour ce dernier, qui a "grandi avec le handicap de [sa] mère", c'est peu dire qu'on partait de loin. "Je me rappellerai toujours de mon premier match : France-Uruguay, le 12 juin 2010 au Cap. Le parking pour les handicapés à 3 kilomètres du stade. Un barriérage inadapté aux fauteuils. On galérait à passer, c'était dangereux. Et aucune file d'attente dédiée pour accéder à notre tribune. J'ai envoyé un mail incendiaire au secrétariat général de la Fifa, et lors du deuxième match, beaucoup de mes remarques avaient été prises en compte."
Malik Badsi constate de réels progrès ces dernières années. "Il y avait énormément de faux handicapés au Brésil, en 2014, avec des gens en fauteuil qui sautaient de joie à chaque but. Depuis, ça s'est réduit. C'est à peine si j'ai vu un type suspect se faire refouler pour un match."
Du fait des tarifs très attractifs réservés aux personnes à mobilité réduite à leurs accompagnants (70 riyals la place, environ 17 euros), le nombre de justificatifs pour pouvoir prétendre à une place PMR au Mondial a explosé. Le quart d'heure de téléchargement des pièces nécessaires, dont dispose l'utilisateur pour valider son panier sur le site de la billetterie, devient court.
"On élève le niveau à chaque édition"
Depuis 2018 et la Coupe du monde russe, un service d'audiodescription des matchs pour les malvoyants a été mis en place. Voilà qui améliore l'ordinaire de Christophe qui vit son premier Mondial. Ce supporter sochalien sexagénaire a son rituel. "Je m'installe en tribune et j'allume la radio France Bleu Belfort-Montbéliard. Il y a toujours 5 secondes de décalage, c'est lié à la transmission. Donc j'ai d'abord le bruit du stade, puis l'action avec le micro du journaliste." Par ailleurs, cette année, une "salle sensorielle", destinée aux personnes souffrant de troubles autistiques a aussi été installée dans trois des stades du Mondial, dont celui de Lusail. Elle permet de les isoler de la ferveur si le besoin s'en fait sentir.
Seule ombre au tableau, les vigiles, tatillons, ne sont pas toujours bien formés. "Lors des contrôles aux portiques, ils tâtent la poche à urine en demandant ce qu'il y a dedans", décrit Malik Badsi. Pour les gardes, PMR signifie forcément "fauteuil roulant", ce qui complique la vie de ceux qui souffrent d'un handicap moins visible. C'est le cas de Moudra, qui boîte bas avec sa canne au moment du sortir du stade 974 après France-Danemark. Il n'a pu voir que la seconde période du match : "J'ai dû parlementer une demi-heure pour accéder au parking handicapés, en vain, et encore vingt longues minutes pour accéder à la tribune. J'ai beau eu leur dire que j'ai passé plusieurs semaines dans le coma après une grosse chute, dont je souffre encore des séquelles, ils ne voulaient rien savoir."
Ces incidents isolés n'empêchent pas la Fifa de se gargariser. "On élève le niveau à chaque édition, affirme Federico Addiechi, chargé de ce dossier pour la fédération, lors d'une conférence de presse. Notre but, c'est que chaque fan se sente le bienvenu, qu'il se considère comme partie intégrante de l'événement. Nous sommes fiers de ce que nous avons accompli." Message reçu cinq sur cinq. "Les personnes en situation de handicap ne se freinent plus en disant : 'C'est trop loin, c'est trop compliqué', abonde Malik Badsi. Je constate une évolution énorme depuis dix ans."
"Ma plus grosse galère ? A Paris !"
Reste que ce rêve à un coût : 4 000 euros pour dix jours de compétition pour l'agence Yoola. "C'est mon cadeau d'anniversaire et de Noël pendant deux ans", glisse Eliot, jeune Breton de 13 ans, atteint de paralysie cérébrale et tellement fan de Lionel Messi qu'il a obtenu de ses parents de faire LV1 espagnol, à défaut de les convaincre de déménager à Barcelone pendant les grandes années de la "Pulga". "On a un credo pour Eliot : tout ce qu'on fait, c'est avec lui ou rien, confie Linda, sa maman. Ça demande une préparation en amont, mais ça fait de sacrés souvenirs. Regardez son sourire."
Ce n'est pas cette année qu'Erwan Conq, capitaine de l'équipe de France de foot-fauteuil (championne du monde 2017, excusez du peu), aura des anecdotes vertigineuses à raconter. Comme lorsqu'il avait été installé sur ce monte-charge à l'équilibre instable, à la manière d'une caisse de bois, pour accéder au stade olympique de Rio pendant les Jeux olympiques de 2016. "Clairement, on sentait qu'il n'y avait plus de budget pour construire un accès dédié aux PMR et que c'était le premier truc qu'on avait sabré", en frissonne-t-il encore. "Ici, le moindre trottoir dispose d'une petite rampe d'accès", constate-t-il lors d'une visite du Souq Waqif, le cœur battant de Doha. Marie, septuagénaire qui manie son fauteuil avec dextérité via un joystick, renchérit : "Tout est fait pour faciliter la venue dans les stades des personnes qui ont eu du mal à se déplacer. En France, c'est la croix et la bannière…"
Les responsables des Jeux de Paris 2024, pour qui l'accessibilité est un enjeu crucial, sont prévenus. "Ma plus grosse galère ? C'était à Paris, avant d'arriver ici", raconte Erwan Conq. Tenter de se rendre tôt dans la nuit en bus à l'aéroport Charles-de-Gaulle s'est révélé plus ardu que de passer dix jours au Qatar pour ne rien manquer des phases finales. Son fauteuil s'est avéré trop lourd pour le mécanisme devant lui permettre de l'installer au milieu du véhicule. Les deux bus suivants ne lui ont pas été d'une grande aide non plus. "A 2 heures du mat', on s'est résolu à appeler un taxi", soupire Erwan. Rien à voir avec ce qu'il a découvert au Qatar.
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