Coupe du monde 2022 : que vise le Qatar après l'organisation du Mondial ?
Le pays hôte de la compétition est décrié depuis plusieurs mois pour ses atteintes aux droits humains et à l’environnement. Des critiques qui ne devraient pas l’empêcher de continuer à peser sur le sport mondial.
Douze ans après avoir reçu l’attribution de la Coupe du monde 2022 de la part de la Fifa, le Qatar n’a plus que quelques jours à patienter. Dimanche 20 novembre, son équipe nationale affrontera l’Équateur pour le premier match de la compétition, à l’issue d’une cérémonie d’ouverture, dans le stade Al Bayt, au nord de Doha, qui s’annonce démesurée. À l’image d’un émirat qui se sert du sport pour se faire une place dans le concert des nations.
En alignant 220 milliards de dollars depuis 2010 pour organiser cette compétition, selon une étude de Front Office Sports parue en avril dernier, le Qatar a voulu marquer le coup. Il faut dire que le pays, aux 2,8 millions d’habitants, voit dans l’organisation de l’événement sportif le plus suivi au monde la consécration de sa diplomatie sportive, imaginée en 1995. Vingt-sept ans après cette offensive lancée par l’émir Hamad ben Khalifa Al-Thani dans le domaine du sport, le pays du Moyen-Orient ne compte pas s’arrêter au Mondial de football.
"La Coupe du monde, c’est un aboutissement et une étape, explique Raphaël Le Magoariec, chercheur spécialiste des politiques sportives des États du Golfe et co-auteur de L’Empire du Qatar – le nouveau maître du jeu ?. Un aboutissement, parce que c’est le premier grand événement que le Qatar organise. Mais ça reste une étape parce que l’émirat parle de politique étrangère quand il parle de sport."
"L'image du Qatar peut faire peur"
Mais quel est le rapport entre un but inscrit par l’équipe du Costa Rica lors de cette Coupe du monde, et la politique étrangère du Qatar ? "La création de réseaux d’influence", répond Raphaël Le Magoariec. "Le Qatar a mis en place une politique d’influence mondiale, notamment avec des investissements dans le sport et l’organisation de compétitions. Il est sorti, de fait, de sa condition d’État à la petite superficie avec des ressources gazières importantes. Le Qatar était un coffre-fort, facile à braquer par un état voisin, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui grâce à cette diplomatie sportive."
Passé la Coupe du monde, le Qatar ne saurait donc s’arrêter là. Et ce quand bien même la diplomatie sportive de l’émirat porte ses fruits depuis la fin des années 1990. Après la Coupe du monde, le pays dirigé par la famille Al-Thani pourrait viser l’organisation des Jeux olympiques. "C’est ce que le Qatar souhaite. Mais aux yeux des institutions du sport mondial, l’image du pays peut faire peur", nuance Raphaël Le Magoariec.
Si la Fifa n’a rien trouvé à redire quant à l’attribution de la Coupe du monde au Qatar en 2010, le Comité international olympique pourrait y réfléchir à deux fois avant de faire ce choix. Ces dernières années - et tout particulièrement ces derniers mois en raison de l'approche du coup d'envoi de la Coupe du monde -, le Qatar a été critiqué pour ses manquements en termes de droits humains (6 500 ouvriers morts sur les chantiers du Mondial selon une enquête de The Guardian), de droits des femmes et de lutte contre l’environnement (stades climatisés, nombreuses navettes quotidiennes d’avions vers des pays voisins pendant la compétition).
Une indignation à deux vitesses
Cette image ternie n’affecterait pourtant pas les dirigeants qataris, comme l’explique Raphaël Le Magoariec : "Les Qataris font travailler des agences de communication afin de séduire l’opinion occidentale et ne plus avoir cette image abîmée. Mais ils savent aussi très bien que la question des droits humains ne choque pas autant une autre partie du monde. Le Qatar n’a pas pour but premier d’avoir une image dorée à l’échelle mondiale, mais d’exister. L’émirat met en place des politiques d’influence plus que des politiques d’image."
Pour les travailleurs migrants au Qatar, le Mondial 2022 ressemble à ça :
— Amnesty International France (@amnestyfrance) October 23, 2022
- des milliers de morts
- des passeports confisqués
- des salaires jamais payés
- des conditions de travail extrêmes
…
Il faut #RamenerlaCoupeàlaRaison ! pic.twitter.com/NG5tW9lKaG
Autrement dit, l’indignation occidentale vis-à-vis du Qatar ne vaudra jamais ce que l’émirat gagne en continuant à s’impliquer dans le sport. Si l’émirat n’organisait pas de Jeux olympiques, car pas assez fréquentable aux yeux du CIO, il pourra continuer d’inonder le monde du sport de son argent pour organiser des événements de plus petite ampleur, à l’image du Grand prix de Formule 1, inclus dans le calendrier 2023.
Les infrastructures, au centre de la future stratégie qatarie
À l’issue de cette Coupe du monde controversée, la diplomatie sportive du Qatar continuera également de se développer sur trois axes distincts de l’organisation des compétitions : l’investissement dans des clubs de football (Qatar Sports Investment, propriétaire qatari du Paris Saint-Germain depuis 2011 a racheté 21,67% du club de Braga en octobre) et dans l’eSport ; l'obtention d'influence au sein des grandes institutions sportives (Nasser Al-Khelaïfi, président du PSG, a été élu président de l’Association européenne des clubs en avril 2021) ; et continuer d’investir dans des infrastructures sportives.
"La question des infrastructures est essentielle. Le Qatar travaille énormément en coulisses, avec l’achat d’acteurs et une entreprise de séduction par les biens matériels. L’émirat construit des réseaux d’influence de cette manière dans des pays plus périphériques, comme en Amérique latine, en Asie ou en Afrique", décrit Raphaël Le Magoariec. C’est tout l’objet du stade 974, qui accueillera notamment le deuxième match de l’équipe de France au Mondial, contre le Danemark, le 26 novembre. Une enceinte entièrement construite avec des conteneurs et démontable, qui devrait être ensuite livrée à un pays en manque d’infrastructures sportives.
Le Qatar pourra donc continuer de tisser sa toile pour y étendre ses réseaux d’influence après avoir organisé l’événement sportif le plus suivi sur la planète. La finale de la Coupe du monde - le 18 décembre au stade Lusail - passée, le Qatar poursuivra certainement sa politique pour faire parler de lui dans l’écosystème du sport mondial.
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