Coupe du monde 2034 en Arabie saoudite : "Ce n'est pas que pour lisser l'image, c'est aussi un outil économique", analyse un expert en géopolitique

Chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), David Rigoulet-Roze estime que l'attribution de la Coupe du monde 2034 à l'Arabie saoudite fait entrer le pays dans une nouvelle dimension.
Article rédigé par Théo Gicquel, Maël Russeau
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le prince saoudien Mohammed ben Salmane (à droite) et le président de la Fifa, Gianni Infantino, le 23 octobre 2023 à Riyad (Arabie saoudite). (AFP)

L'Arabie saoudite a été désignée organisatrice de la Coupe du monde 2034, mercredi 11 décembre. Seul en lice, ce pays, qui n'a jamais accueilli de compétition sportive de cette dimension, se voit confier un événement d'envergure internationale.

Pour franceinfo: sport, David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de la péninsule arabique, analyse les motivations géopolitiques et économiques de l'Arabie saoudite en devenant hôte de ce rendez-vous.

franceinfo: sport : Peut-on comparer cette attribution à celle du Qatar en 2022 ?

David Rigoulet-Roze : Il y a des similitudes dans le souhait de développer un sport power, comme l’une des modalités du soft power. D’une certaine manière, le royaume saoudien est en train de développer le logiciel qatari en la matière, mais à une autre échelle avec le PIF [Public Investment Fund, le fonds souverain saoudien] dont la trésorerie s’élève à près de 925 milliards de dollars d’actifs sous gestion et un portefeuille de participations constitué d’environ 200 investissements en 2024, notamment dans le domaine du sport dont le football, comme avec Newcastle.

Ce type d’achat renvoyait à la stratégie initiée par le Qatar, mais les ambitions "sportives" de Mohammed ben Salmane [le prince héritier saoudien], notamment en matière de football, sont beaucoup plus ambitieuses en attirant des stars pour donner de la substance à la Saudi Pro League [la ligue saoudienne nationale], qui, en peu de temps, est devenue une puissance du football asiatique avec des noms de premier plan tels que Cristiano Ronaldo, Sadio Mané et Riyad Mahrez. Son évolution, d'une ligue nationale à une destination de football mondiale, témoigne de la vision et d’investissements d'ampleur.

Est-on dans la continuité des investissements faits par l'Arabie saoudite dans le sport depuis quelques années ?

Le développement du sport en général renvoie à des considérations économiques mais répond aussi à des considérations sociales : satisfaire les attentes d’une population jeune - 70% de la population a moins de 30 ans - lassée des archaïsmes du royaume wahhabite. Mais aussi de santé publique. Le président de l’Autorité générale des sports, Abdulaziz ben Turki Al Saoud, disait récemment à la BBC qu'en 2015, seulement 13 % des Saoudiens pratiquaient une activité sportive une demi-heure ou plus par semaine. Leur but est d’atteindre les 40 % d’ici à 2030. C’est l’un des objectifs mentionnés dans le plan "Vision 2030" dans lequel le sport est appelé à permettre de "vivre une vie saine".

A l’international, cela permet d’être un vecteur de l’image saoudienne. Ce n’est pas uniquement pour "lisser" l’image du royaume, souvent stigmatisé pour des considérations relatives aux droits de l’Homme. Mohammed ben Salmane souhaite en faire un outil économique à part entière autant qu’une vitrine, parce qu’il rêvait d’organiser la Coupe du monde comme le Qatar, après l’exposition universelle de 2030.

Quelle a été la stratégie d'investissement du royaume dans le football ?

L’argent n’a pas seulement été investi dans les joueurs. Le championnat saoudien compte deux stades de plus de 60 000 places et sept de plus de 20 000 sièges. La grande majorité a été fraîchement rénovée. En 2027, l’Arabie saoudite accueillera la Coupe d’Asie des Nations et les stades seront, d’ici là, au niveau de ce qu’a proposé le Qatar, selon le comité d’organisation. Mais d’autres événements ont d’ores été déjà été programmés, notamment les Supercoupes d’Espagne et d’Italie, et la dernière édition de la Coupe du monde des clubs.

Le projet d’investissement et de privatisation des clubs sportifs vise à développer l’ensemble du secteur sportif. Concernant le football, l’un des principaux objectifs du projet est de faire de la Ligue professionnelle saoudienne l’une des dix meilleures ligues du football mondial et de faire passer la valeur marchande de cette Ligue de trois milliards de SAR [800 millions de dollars] à plus de huit milliards de SAR [2,1 milliards de dollars].


Quelles retombées peuvent espérer les Saoudiens ?

Il peut y avoir des retombées en matière touristique. Le tourisme représente aujourd’hui 3,5 % du PIB. C’était jusqu’à présent du tourisme religieux. Le royaume voudrait monter à 10 % du PIB en favorisant un tourisme international, avec l’idée très ambitieuse d'accueillir 100 millions de touristes à l’horizon 2030, afin que le royaume devienne une destination touristique privilégiée grâce à des promoteurs comme Lionel Messi, promu ambassadeur du tourisme saoudien en janvier 2021 avec un contrat de 25 millions de dollars sur trois ans. Dans ce cadre, l’organisation de la Coupe du monde apparaît comme l’événement mondial par excellence.

Ce n'est pas seulement économique ?

Ce qui est peut-être sous-évalué, c’est que cette stratégie de promotion du secteur sportif rentre aussi dans la construction d’un projet à vocation nationaliste. Mohammed ben Salmane a voulu s’affranchir de l’image archaïque, religieuse, inhérente à la doctrine wahhabite accusée d’avoir favorisé une forme d’islamisme transnational d’exportation. En contrepoint, il veut aujourd’hui développer un sentiment d’appartenance nationale et cultiver une forme de fierté nationale. Et le football est susceptible d’en constituer l’un des vecteurs potentiels parmi d’autres.

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