Coupe du monde : les Diables rouges redonnent des couleurs à la Belgique
Alors que Flamands et Wallons multiplient les sujets de discorde, les supporters de tout le royaume se passionnent pour la sélection nationale. Prochain rendez-vous contre la Russie, dimanche 22 juin.
Oyez, oyez ! Il était une fois un royaume divisé, où Wallons et Flamands n'arrêtaient pas de se disputer pour un oui ou pour un non. Mais un beau jour, dans une lointaine contrée sud-américaine, 23 chevaliers en crampons terrassèrent des Fennecs (les Algériens) et firent la fierté de tous les habitants. Et après ? Ces Diables rouges trouvèrent de terribles Russes sur leur route, un certain 22 juin de l'an de grâce 2014. A la guerre comme à la guerre, le souverain Philippe fit le déplacement jusqu'à Rio de Janeiro, pour motiver ses troupes et entonner la Brabançonne.
Francetv info ne connaît pas la suite de l'histoire. Mais une chose est sûre : des millions de Belges vivent à l'unisson de leur équipe nationale. Cet engouement est loin d'être anodin dans un pays fatigué d'égrainer ses dissensions au journal télévisé. Alors, cette Coupe du monde, simple trêve ou tremplin vers l'unité nationale ?
Le royaume complètement gaga de Fellaini et Kompany
Noir, jaune, rouge (ou rouge, jaune, noir). Voici la dernière mode chez nos voisins belges. En dépit du bon goût, des housses aux couleurs du pays fleurissent sur les rétroviseurs. Des milliers de véhicules sont déjà équipés et le pire reste à venir, puisqu'il existe aussi des drapeaux de capots. Mais attention, une housse mal installée peut masquer le rétroviseur. Le cas échéant, c'est 55 euros d'amende, comme ici.
Ca, par exemple, c'est exagéré ! #chaussette #rétroviseur pic.twitter.com/3lHiE9gHqI
— Benoit Godart (@BenoitGodart) 14 Juin 2014
"Ce n’est pas parce que c’est la Coupe du monde et que l’atmosphère est plutôt bon enfant que nous serons moins intransigeants", assure la police, intraitable et froide. Enfin presque. A Laeken, les forces de l'ordre ont fêté la victoire contre l'Algérie (2-1), mardi 17 juin, avec un mégaphone à la main : "Tous ensemble, tous ensemble !" Les autorités elles-mêmes ont authentifié la vidéo à francetv info. Si, si.
Impossible non plus d'y couper au supermarché. Il faut dire que Jupiler a mis le paquet. La marque de bière a lancé des canettes "dédicacées" (sic) et un coffret spécial pour épater les amis. Histoire d'assurer le coup, des camions sillonnent le pays (ils existent en miniature). Et la marque apparaît même au bord du terrain pendant les matchs de la Belgique car elle appartient à AB InBev, également propriétaire de Budweiser, sponsor officiel de la Coupe du monde.
A part ça ? Un prêtre catholique chante "Va z'y fonce Belgique", le Manneken-Piss endosse un maillot, Stromae fait un clip, le joueur Marouane Fellaini promet de raser sa coupe afro en cas de victoire, 1 200 élèves entonnent la Brabançonne, des dizaines de milliers de personnes suivent le match dans le stade d'Anvers, le maillot de Kompany est vendu plusieurs milliers d'euros pour des associations... Précisons que la fédération a vendu entre 120 000 et 180 000 maillots depuis 2012, selon le service marketing cité par Slate.
Wallons et Flamands s'identifient à l'équipe
Les Diables reviennent pourtant de l'enfer. En 2007, Vincent Kompany regrette le manque d'unité dans l'équipe, divisée en deux camps linguistiques. Trois ans plus tard, en 2010, l'épouse du joueur Carl Hoefkens saute à pieds joints dans la polémique. "Je pense qu’il serait préférable de faire deux équipes nationales, l’une flamande et l’autre wallonne." L'idée fait mouche dans certains esprits. Quelque temps après, le mouvement nationaliste VVB (Vlaamse Volksbeweging) réclame une équipe de football flamande au ministre des Sports.
Sept années et de nombreuses victoires plus tard, la mayonnaise semble avoir pris au sein du groupe, à en croire le défenseur Toby Alderweireld. "Les Flamands et les Wallons s'entendent très bien", expliquait-il en octobre, dans un entretien au Vif. "En fait, ce concept [de Flamands et de Wallons] n'existe plus au sein du groupe."
Reste la barrière de la langue. Sur le maillot, il est écrit "Belgium" en anglais, une manière de ne froisser personne. Et pour apaiser les esprits, comptez sur l'entraîneur Marc Wilmots. "Déjà, 80 % de l'équipe est bilingue, si ce n'est trilingue, expliquait-il au JDD. Pour mes causeries, je mélange le flamand et le français." Wallons, Flamands, Limbourgeois, enfants de l'immigration... La presse belge salue un melting-pot qui "convient bien à notre pays de l'improbable".
Et ça marche. Lors du premier match contre l'Algérie, près d'un Belge sur trois a suivi la rencontre, rapporte La Libre Belgique. La VRT néerlandophone n'avait pas connu pareille audience depuis 2000 (2,2 millions de téléspectateurs), tandis que la RTBF francophone a battu son record pour un match (1,5 million). Les Flamands et les Wallons semblent donc se passionner tout autant pour les Diables rouges.
Quelles conséquences pour l'avenir du pays ?
Cet engouement a pourtant des limites. En moyenne, les Belges ne consacrent que 12 euros à des articles aux couleurs de l'équipe nationale, selon une étude du cabinet ING, citée par La Libre Belgique. Bien loin, donc, des 50 euros dépensés par les Argentins et les Russes. Il n'y aura sans doute pas d'effet Mondial sur le PIB national, même si le roi Philippe finit son verre.
Sur le terrain politique, même inconnue. Fin 2013, un membre du parti flamand indépendantiste N-VA dénonçait la "Belgitude risible" de la sélection, tout en ajoutant que "le phénomène actuel autour des Diables rouges ne nuirait pas à la N-VA". Les européennes de mai lui ont donné raison, puisque le parti a recueilli un tiers des voix en Flandre. Un brin taquin, le joueur Vincent Kompany a riposté, après la victoire contre l'Algérie : "La Belgique est à tout le monde, mais ce soir, surtout à nous !" Une réponse au discours de Bart de Wever – leader de la N-VA – après sa victoire aux municipales : "Anvers est à tout le monde, mais ce soir, Anvers est surtout à nous", avait scandé l'homme politique en 2012.
A l'inverse, les succès footballistiques belges peuvent être interprétés différemment, selon le prisme linguistique ou politique du supporter. "Pour les Flamands, cette équipe représente la réussite économique d’un groupe dont les joueurs travaillent pour les plus grands clubs européens, estime Jean-Michel de Waele, politologue belge interrogé par La Croix. Pour les Wallons, il s’agit de réaffirmer l’unité nationale."
Basée pour une grande part sur les résultats de l'équipe, cette union nationale est donc précaire. "La fête, c'est aussi la fierté d'appartenir à un pays qui est présent au Brésil, résume le politologue belge Michel Hermans, dans un chat de la RTBF. C'est de l'émotionnel qui disparaîtra après le Mondial, sauf si la Belgique gagne celui-ci."
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