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Coupe du monde de football : pourquoi y a-t-il toujours aussi peu de femmes entraîneuses ?

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Parmi les 32 sélectionneurs présents à la Coupe du monde féminine de football en Australie et en Nouvelle-Zélande, qui se déroule du 20 juillet au 20 août, 12 sont des femmes. (FRANCE INFO / PAULINE LE NOURS)
Le poste de coach est majoritairement occupé par des hommes lorsqu'il s'agit d'équipes féminines. Un manque de parité qui s'explique notamment par une méfiance persistante dans le milieu du ballon rond, toujours très masculin.

Un homme face à une femme. En matière de parité sur les bancs de touche, la France et le Brésil, qui s'affrontent en phase de poule de la Coupe du monde féminine à Brisbane (Australie), samedi 29 juillet, font match nul. Le sélectionneur tricolore, Hervé Renard, va en effet croiser la route de Pia Sundhage, la sélectionneuse suédoise à la tête de la Seleção. Double championne olympique avec les Etats-Unis en 2008 et 2012, elle est une des rares sélectionneuses en activité lors de tournoi. Car ce poste exigeant et exposé reste l'apanage des hommes, y compris lorsqu'il s'agit d'équipes féminines.

Ainsi, sur les trente-deux pays présents en Australie, seuls douze comptent une femme à leur tête. La proportion est la même qu'il y a quatre ans en France où sur vingt-quatre équipes, huit n'étaient pas dirigées par des hommes. "Un tiers, ce n'est pas la parité, mais c'est une étape importante. Maintenant qu'il est un peu plus mis en valeur, le football féminin attire davantage les entraîneurs masculins. Mais il ne faudrait pas que cette proportion diminue", souligne Laurence Benoist, ancienne présidente de commission de féminisation au sein de la Ligue d'Auvergne de football.

Un monde d'hommes

Si les Bleues sont désormais dirigées par Hervé Renard, elles ont eu pour patronne Corinne Diacre de 2017 à 2023. Son départ a été acté en mars, après des mois de conflit avec certaines joueuses. Deuxième femme à la tête de l'équipe nationale après Elisabeth Loisel (1997-2007), Corinne Diacre est pourtant l'une des seules à avoir brisé un plafond de verre : celui d'avoir entraîné une équipe professionnelle masculine, à Clermont, de 2014 à 2017. 

L'ex-patronne des Bleues est restée une exception en France, sur les pelouses de Ligue 2. Mais sur les bancs de la D1 Arkema, le championnat féminin national, les femmes sont à peine plus nombreuses : lors de la saison 2022-2023, Sonia Bompastor (à Lyon), Sandrine Soubeyrand (au Paris FC) et Amandine Miquel (à Reims) étaient les seules femmes en poste. Trois pour 12 bancs. C'est mieux qu'en Allemagne, où l'ancienne joueuse Theresa Merk doit se sentir bien seule à Fribourg face à ses homologues masculins de la Bundesliga féminine. De l'autre côté de la Manche, c'est un tout petit peu mieux, avec quatre entraîneuses pour 12 équipes dans l'élite. 

Comment expliquer ce différentiel toujours important ? Pour les premières concernées, la raison tient en un mot : le machisme qui perdure dans les vestiaires, les stades, et les institutions qui régissent le monde du foot.

"Il y a encore des personnes qui restent réfractaires. C'est avant tout un problème de mentalité : on pense que les femmes ne sont pas capables de tenir ces postes."

Sarah M'Barek, entraîneuse du RC Lens

à franceinfo

Pour Soraya Belkadi, à la tête de Montauban en D2 féminine, "les présidents de clubs doivent douter des femmes ou de leurs connaissances, lorsqu'il s'agit de prendre des décisions, de diriger". "Mais nous sommes tout à fait aptes", rabâche celle qui a commencé à entraîner à Toulouse, il y a plus de dix ans. 

Peu de diplômées au plus haut niveau

Encore faut-il que les femmes se lancent dans l'aventure du management. Car quand les barrières ne viennent pas de l'extérieur, "les femmes n'arrivent pas à dépasser celles qu'elles s'imposent", déplore Laurence Benoist. Une situation analogue à celle du monde de l'entreprise où, selon une étude publiée par le réseau social Linkedin en 2019, elles sont 16% moins susceptibles de postuler pour un emploi que les hommes. Le monde du foot leur semble encore une citadelle imprenable. "Pourquoi ne trouve-t-on pas de femmes pour entraîner des débutants ou des très jeunes, lorsqu'il ne s'agit pas encore réellement de foot ?", s'interroge Laurence Benoist.

Certaines ont peut-être aussi du mal à trouver la motivation nécessaire pour se jeter dans le grand bain, à plus forte raison après une carrière de joueuse qui ne ressemble pas à celle de leurs homologues masculins. "Elles ont fait beaucoup de sacrifices pour être joueuses, avec des doubles activités, ce qui peut être éreintant au bout de 10 ou 15 ans, souligne Soraya Belkadi. Elles n'ont pas forcément envie de se réinvestir dans ce métier d'entraîneuse qui demande aussi beaucoup d'efforts et qui s'accompagne de contraintes."

Le faible nombre de figures auxquelles s'identifier pèse également, ce qui entretient un cercle vicieux. Peu de postulantes poussent la porte du concours du brevet d'entraîneur professionnel de football, qui donne le droit d'entraîner une équipe en Ligue 1, Ligue 2 et National 1, masculine ou féminine. Avant Corinne Diacre – encore elle – en 2014, aucune femme n'avait obtenu ce sésame, qui n'est pas obligatoire (les clubs payent des amendes si leur coach n'est pas diplômé), mais qui assoit la légitimité de celles et ceux qui le possèdent.

"J'essaie de créer des vocations, mais ça reste difficile d'accès. Cela ressemble à un parcours du combattant qui peut en dissuader certaines", confirme Sarah M'Barek, reçue lors de la promotion 2016-2017. Depuis, une troisième ancienne joueuse, Sonia Haziraj, a été diplômée. Elle occupe actuellement le poste de sélectionneuse de l'équipe de France féminine des moins de 19 ans. Sandrine Soubeyrand, en poste au Paris FC, tentera d'être la quatrième lors de la promotion 2023-2024.

"Il n'y a pas match"

En attendant une plus grande parité au sein des promotions pour s'asseoir sur un banc de l'élite, la FFF a lancé le certificat d'entraîneur de football féminin. En 2021, sept femmes figuraient parmi les dix diplômés. La future création de la Ligue professionnelle réservée aux joueuses, prévue pour le 1er juillet 2024, ouvre aussi de nouvelles possibilités pour accompagner les reconversions vers le coaching. Mais là encore, un risque d'effacement des femmes se profile, selon Sarah M'Barek : "Le marché des entraîneurs dans les équipes masculines est déjà saturé. La création de cette ligue va aussi attirer les techniciens qui cherchent un banc. Cela peut rendre encore plus difficile l'accès pour les femmes aux postes à responsabilités."

Le réseau que se sont constitué les hommes durant leur carrière et qui manque encore aux femmes entraîneuses pourrait alors jouer à plein. Nicole Abar, ancienne internationale des années 1960 et présidente de l'association Liberté aux joueuses, développe : "Dès qu'ils sont petits, en centre de formation, les hommes se constituent un réseau énorme qu'ils alimentent tout au long de leur carrière. Dans le championnat féminin, on n'a pas ça, ni l'estime de soi, contrairement aux garçons chez qui ça commence tout jeune. Donc lorsqu'un homme et une femme sont en concurrence pour un poste, il n'y a pas match."

Et lorsque l'histoire se termine mal, comme ce fut le cas pour Corinne Diacre à la tête des Bleues, Laurence Benoist craint des conséquences en cascade. "On lui a fait des reproches parce qu'elle était une femme, mais ce qui lui est arrivé n'est pas une nouveauté dans le monde du management sportif", assure-t-elle. Obtenir un poste est déjà compliqué, "avoir une seconde ou une troisième chance l'est beaucoup plus quand on est une femme", confirme Nicole Abar.

Pourtant, le palmarès des dernières grandes compétitions internationales prouve que la présence d'un homme sur le banc n'est pas gage de réussite. Loin de là. Depuis 2008, Pia Sundhage avec les Etats-Unis (JO 2008 et 2012), Silvia Neid avec l'Allemagne (Mondial 2007, Euro 2009 et 2013, JO 2016), Jill Ellis, avec les Américaines (Mondial 2015 et 2019), Sarina Wiegman avec les Pays-Bas et l'Angleterre (Euro 2017 et 2022) et Beverly Priestman, avec le Canada (JO 2021), se sont partagé la quasi-totalité des trophées majeurs. Un seul homme figure au palmarès : Norio Sasaki, vainqueur du Mondial 2011 avec les Japonaises.

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