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Foot : à un an de la Coupe du monde en Russie, la chaotique (et pas très glorieuse) histoire du stade de Saint-Pétersbourg

L'enceinte sportive de 70 000 spectateurs accueille, samedi, le match d'ouverture de la Coupe des confédérations. L'occasion de se pencher sur ce stade décrié, considéré comme le plus cher du monde.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
La Zenit Arena de Saint-Pétersbourg (Russie), le 27 février 2017. (MIKHAIL KIREEV / SPUTNIK / AFP)

Le stade hôte du match d'ouverture de la Coupe des confédérations 2017, samedi 17 juin, n'a pas été choisi au hasard. L'histoire risque de moins se souvenir du score de Russie-Nouvelle-Zélande que de l'incroyable saga de la Zenit Arena de Saint-Pétersbourg, finalement officiellement inaugurée en avril... quand le club local a pu y disputer un seul match du championnat russe. Soit treize ans après le début des études préparatoires. Franceinfo revient sur l'histoire, chaotique et pas très glorieuse, de cette enceinte sportive. 

Un projet sans cesse remanié

En 2004, quand le Zénith décide de quitter le vieux stade Kirov, ses quelque 100 000 places et son architecture tout en béton si soviétique, la Russie n'est encore que candidate à la Coupe du monde 2018. Et elle n'est pas donnée favorite. Quand Sepp Blatter sort le carton "Russie" de l'enveloppe pour annoncer le pays organisateur du Mondial, en décembre 2008, tout est à refaire.

Le stade, initialement prévu avec 40 000 places, est redimensionné pour accueillir 70 000 spectateurs. Les fondations, qui avaient commencé à être posées, doivent être revues. L'inclinaison des tribunes est révisée en 2010 sur les conseils de la société IMG, qui avait supervisé la reconstruction du stade de Wembley, à Londres (un autre gouffre financier). Et patatras, à la fin 2012, Saint-Pétersbourg est aussi choisie parmi les villes-hôtes de l'Euro 2020, qui se déroule dans 13 pays en même temps. Nouvelle compétition, nouveau cahier des charges, nouveau casse-tête, nouveaux changements.

La mort de l'architecte en 2007

Le petit surnom de la Zenit Arena, c'est "le vaisseau spatial". Imaginée par l'architecte Kisho Kurokawa, elle se voulait une enceinte révolutionnaire. Malheureusement, Kisho Kurokawa est mort en 2007, emportant sa science dans la tombe. Science qui aurait été précieuse lors des nombreuses modifications du projet et qui aurait peut-être empêché cette blague, narrée par le site Guide to Petersburg, de devenir un classique du répertoire saint-pétersbourgeois.

C'est l'histoire d'un guide qui fait visiter la ville à des touristes, et pointe la Zenit Arena : "Sur votre gauche, un stade en forme de vaisseau spatial, il a coûté au contribuable russe un milliard d'euros. Ah, non, madame, même pour ce prix-là, il ne vole pas."

Des complications techniques

Qui dit projet ambitieux dit innovations techniques. Et la galère de construction n'est jamais bien loin. "Les huit pylônes tenant les projecteurs, mesurant 104 mètres de haut, sont inclinés et nécessitent une technologie inédite, qui n'existe pas encore dans les pratiques, ni dans les normes", expliquait en 2011 Mikhaïl Leontiev, patron de l'entreprise de BTP Transstroy, au journal Neskoe Vremya (en russe).

Autre souci technique, la météo. On comprend que ce stade ultramoderne – sur le papier – et les jolies modélisations 3D ajoutées aux dossiers de candidature aient fait saliver la Fifa et l'UEFA. Sauf que sur les images de synthèse, un soleil radieux brille toujours sur Saint-Pétersbourg, ce qui est effectivement le cas trois mois par an. La neige, abondante l'hiver, menace de faire effondrer le toit. Quant aux vents violents venus de Finlande, ils pourraient sérieusement endommager la structure, résume le Financial Times (en anglais).

Des esclaves nord-coréens

Le journal norvégien Josimar (en norvégien) a révélé que 110 ouvriers nord-coréens travaillaient sur la chantier quasiment jour et nuit, sept jours sur sept, par -25°C sans vêtements suffisamment chauds. Même si, en 2013, la Douma a voté une loi qui affranchit les entreprises du BTP d'à peu près tous les garde-fous du Code du travail russe, l'affaire fait tache. The Observer (en anglais) décrit des caravanes où les malheureux ouvriers s'entassent à huit, pour un salaire de misère (10 à 15 dollars par semaine) sur lequel Pyongyang prélève sa dîme. Le régime nord-coréen, qui a confisqué leurs passeports et les empêche de fuir, de peur de représailles sur leurs familles restées au pays, engrangerait 2 milliards d'euros par an grâce à ce système de travail dissimulé, répandu dans toute l'Europe, estiment les Nations unies.

Auparavant, le gouverneur de la ville avait pensé réquisitionner le régiment de parachutistes du coin, qui a décliné "par manque de temps", ou demander aux fans de mettre les mains à la pâte. Ce à quoi ils ont répondu : "Vends ta datcha [pour payer plus d'ouvriers] !"

Une ingérence politique

Politiquement, il était impossible que l'inauguration du stade soit retardée. Alors elle a été maintenue, tant bien que mal, pour février. Environ 10 000 personnes ont assisté à un spectacle dont le clou était un ours qui fait de la moto. "Le stade n'était pas fini, l'ordre venait d'en haut", raconte le journaliste indépendant Sergeï Kagermazov à Josimar. Des affichettes étaient accrochées partout dans l'enceinte : "Si vous voyez une fuite d'eau ou des moisissures, appelez ce numéro immédiatement."

Des montagnes d'argent évaporées

Dans le montage initial de 2004, c'était Gazprom, en cours d'acquisition du club du Zénith Saint-Pétersbourg, qui prenait en charge la construction du stade. Quand la Russie a obtenu le Mondial, les deniers publics ont pris le relais, la bonne marche des travaux relevant désormais de l'affaire d'Etat. Tant pis pour le contribuable : la Zenit Arena est aujourd'hui considérée comme le stade le plus cher du monde.

Si les difficultés techniques expliquent, en partie, l'augmentation des coûts, le reste des surcoûts est à chercher du côté de la corruption. Les entreprises, incitées à travailler gratuitement pour le Mondial, ont pu chercher à limiter les pertes. "C'est un problème structurel. Vous ne pouvez rien construire légalement sans dépasser le budget et graisser des pattes", soupire dans le Financial Times (en anglais) Lyubov Sobol, proche de la fondation anticorruption de l'opposant Alexeï Navalny, récemment incarcéré. Mikhail Boyarsky, une popstar locale sur le déclin, a qualifié l'enceinte de "monument dédié à la corruption", relaie le site spécialisé Futbolgrad (en anglais)

Dmitry Sukharev, qui a la lourde tâche de s'occuper de l'antenne de Transparency International à Saint-Pétersbourg, constate, fataliste : "Quand le prix du stade grimpe, la ville doit faire des coupes dans les budgets scolaires ou hospitaliers, parce que finir le stade est une priorité politique." A la Douma, le député Valery Rashkin a même évoqué l'idée d'organiser un "Corruption Tour" où le stade figurerait en bonne place.

Une bataille judiciaire à venir

La Coupe des confédérations va commencer et, avec un peu de chance, l'équipe nationale russe va réussir une performance honorable dans la compétition. Une vingtaine de prêtres orthodoxes ont eu beau bénir le stade en septembre 2016, ça ne suffira pas à étouffer le feuilleton de la Zenit Arena… car la municipalité a évincé sans ménagement l'entreprise Transstroy, qui avait réalisé 85% de la construction, pour la remplacer par une concurrente, Metrostroy (spécialisée dans les stations de métro, mais passons).

Amateurs de beaux cas judiciaires, vous allez être servis : la mairie attaque Transstroy pour manquements aux obligations contractuelles. La société a répliqué en poursuivant la mairie pour défaut de paiement, décrit le Christian Science Monitor (en anglais). Les jugements ne sont pas attendus avant la Coupe du monde, qui débutera en juin 2018.

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