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France-Allemagne : les footballeurs ont-ils toujours une revanche à prendre ?

A l'approche du match entre les Bleus et la Mannschaft, qui rappelle la mythique rencontre de 1982, francetv info a contacté deux psychologues du sport. Selon eux, la revanche est une source de motivation à utiliser avec précaution.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le défenseur Patrick Battiston est évacué après avoir été heurté de plein fouet par le gardien allemand Harald Schumacher, le 8 juillet 1982 à Séville (Espagne). (STAFF / AFP)

Jeanne d'Arc a été brûlée par les Anglais et Patrick Battiston est tombé face aux Allemands, un soir de l'an 1982 en Espagne. Voici résumée l'agression perpétrée, sur le terrain, par le gardien Harald Schumacher, prélude à d'interminables rancœurs de ce côté-ci du Rhin. A trois jours du quart de finale à Rio (Brésil) entre les deux équipes, l'ancien international Maxime Bossis en rajouté une couche, mardi, dans Le Parisien : "Je le vivrai avec l'envie d'une revanche. J'ai envie de dire aux hommes de Deschamps : 'Vengez-nous de Séville' !" Mais chut ! Didier refuse d'en parler aux joueurs, pour ne pas jouer "les vieux combattants."

A vrai dire, Blaise Matuidi et ses coéquipiers ont d'autres chats à fouetter. "On a subi beaucoup de critiques cette année après le barrage aller en Ukraine [le 15 novembre 2013], expliquait le milieu de terrain, aussitôt la qualification acquise contre le Nigeria. Aujourd’hui, on apporte la meilleure des réponses." Contre les injustices passées ou les récentes critiques, l'heure de la revanche a sonné. Mais est-elle un bon moteur pour réaliser des prouesses balle au pied ?

Les grandes revanches passionnent surtout le public

Face à la presse, mercredi, Mamadou Sakho était un peu embêté : "1982 ? On m'en a parlé mais je n'étais pas né, donc je n'en sais pas grand-chose." Qu'on le veuille ou non, les années ont passé et les blessures de 1982 ont guéri. Contacté par francetv info, le psychologue du sport Yvon Trotel modère d'ailleurs cette "part de romantisme dans le football, entretenue par une poignée de journalistes. Knysna [en 2010] est davantage présent dans l'esprit des Bleus que Séville [en 1982]."

La France n'a pas le monopole des articles revanchards. Avant le huitième de finale, la presse algérienne a multiplié les références au "match de la honte" entre l'Allemagne – déjà – et l'Autriche, qui coûta la qualification aux Fennecs en 1982 – encore. Tout comme Maxime Bossis, l'emblématique Lakhdar Belloumi avait même crié vengeance, dans un entretien à France 24. Du folklore, nuance Yvon Trotel. "On peut toujours raconter des histoires, mais l'Algérie a eu l'âme du petit contre le grand. Même sans le match de la honte, elle aurait été tout aussi combattive."

Reste la mémoire collective, friande de ces rendez-vous. "Un père de famille algérien m'a dit qu'il avait expliqué à son fils de 9 ans ce qui s'était passé, raconte Makis Chamalidis, psychologue spécialisé dans le sport. Cet esprit de revanche peut donc naître de la transmission orale, mais aussi visuelle, grâce à YouTube ou autre." Mais pour les joueurs, "ce n'est pas un moteur suffisamment puissant". Chaque équipe réinvente son objectif pour écrire sa propre histoire.

Hurler à la révolte n'est pas la meilleure méthode

Quand une équipe déçoit, les supporters et la presse réclament souvent un bon coup de pied aux fesses des joueurs. Comment oublier la colère homérique du sélectionneur Aimé Jacquet à la mi-temps de France-Croatie, en 1998, immortalisée par le documentaire Les yeux dans les bleus ? "Vous avez peur de quoi, vous avez peur de qui ? Peur ? Eh bien, vous allez perdre les gars, je vous le dis !" Banco. Les Bleus sont allés en finale. Pourtant, Makis Chamalidis est sceptique sur l'efficacité des gueulantes."Il est contre-productif de parler d'enjeu ou d'élimination juste avant le match ou à la mi-temps. Pendant ces moments-là, les joueurs doivent justement se reconnecter avec leur animalité."

Rien ne sert de hurler, confirme Yvon Trotel. "Cela ne renforce pas la cohésion. Mieux vaut faire appel aux ressources mentales des joueurs, quitte à manipuler la révolte collective. A la place de l'entraîneur nigérian, par exemple, j'aurais rappelé le sentiment de supériorité des Français avant le match." 

Certes, parfois, la revanche est une arme de cohésion collective particulièrement efficace. Ainsi, treize ans après l'affaire OM-VA, le vestiaire nordiste n'a pas eu de difficulté à se galvaniser avant d'affronter le club phocéen, lors de sa remontée en Ligue 1 en 2006. "On a gagné 2-1", s'est récemment souvenu Steve Savidan, l'attaquant de Valenciennes, au micro de L'Equipe 21.

Impossible, toutefois, de cultiver ce sentiment toute une saison. "C'est du pipeau, c'est limité", résumait en 2013 Elie Baup, alors aux commandes de l'OM. "On ne fait pas cinquante matchs qu'avec ce lien-là (...). La revanche, la revanche par rapport à quoi ?" Plutôt que de miser sur la colère des joueurs, les préparateurs préfèrent donc installer des procédures rationalisées et automatisées. "J'ai travaillé avec une équipe U17 [l'équipe de France de foot des moins de 17 ans], qui avait une règle toute simple : si un joueur perdait le ballon, il devait courir comme un taré pendant 5 secondes pour tenter de le récupérer, au lieu de rester planté là, frustré", explique Makis Chamalidis.

Les frustrations sont souvent contre-productives

Reste à gérer les individualités, car tous les sportifs n'ont pas le même carburant. "Certains répondaient qu'ils jouaient pour défendre leur différence, leur région, un parent décédé... Avant un match important, les footballeurs se sentent donc investis d'une mission, qui leur est propre et personnelle." Avant d'affronter le Nigeria, Laurent Koscielny, par exemple, voulait "rendre fiers sa famille et ses proches". Ces motifs peuvent être "multiples et composites", précise Yvon Trotel. Et plus ou moins glorieux : "La fête, la gloire, l'argent et les filles comptent aussi."

Mais pour certains, c'est la rancœur qui prend le dessus : contre l'entraîneur, le président, un autre joueur... Avec des risques très concrets. "Les joueurs ont besoin d'agressivité, mais elle peut également nuire à leurs performances. Ils peuvent chercher à en faire trop et s'emmêler les pinceaux, ou être trop agressifs et se faire expulser." Cet esprit de revanche peut bloquer certains joueurs – comme Nicolas Anelka – ou en doper d'autres. "A ce titre, le comportement de Franck Ribéry est constant. Il célèbre ses buts en sélection de façon agressive, estime Yvon Trotet, alors que d'autres fonctionnent davantage sur le plaisir."

Le souci du football, c'est que "les joueurs ont très peu de moments pour évacuer leurs ressentis de manière canalisée", explique Makis Chamalidis. "Quand je suivais l'équipe de France de football féminin, nous avions mis en place un atelier de parole et de réflexion à chaque rassemblement. En général, quand la parole circule bien au sein d'un groupe, le ballon circule bien aussi."

La rancune contre la presse peut paralyser

Après des articles qui leur sont défavorables, les footballeurs ont-ils la rancune tenace ? Juste après le coup de sifflet final, le 12 juillet 1998, Aimé Jacquet règle ses comptes avec L'Equipe, les yeux rougis par l'émotion. "On lui a menti, au public français. Une certaine presse lui a menti, oui. Honteusement." Au début de la compétition, déjà, Christophe Dugarry avait célébré son but face à l'Afrique du Sud en tirant la langue aux journalistes. Quatorze ans plus tard, à l'Euro, Samir Nasri insulte à son tour L'Equipe après avoir marqué, au prix d'une immense polémique. L'impertinence est réservée aux champions du monde.



Les joueurs scrutent plus ou moins la presse, mais "certains sont accros aux notes données par les quotidiens", explique ainsi Yvon Trochet. "Parfois, ils peuvent être déstabilisés, ne plus avoir de recul alors que cet exercice est idiot." Le système est pyramidal. Plus les joueurs sont en vue, plus ils sont sous le feu des critiques. En sélection nationale, l'exposition est donc maximale. La pression médiatique aussi. "S'il parle encore aujourd'hui des critiques de la presse, on peut penser que Blaise Matuidi a mal vécu les critiques adressées aux Bleus à cette période [fin 2013]", résume Makis Chamalidis.

"Je comprends un peu les joueurs, ils ont parfois l'impression d'être mal compris. Certains joueurs sont typiquement là-dedans, avec des comptes à régler. D'autres ont davantage de recul et défendent plutôt les couleurs de l'équipe , décrypte le psychologue. Lundi encore, la France a gagné 2 à 0 et beaucoup de critiques les ont remis en cause, retenant le verre à moitié vide. Tout cela, les sportifs le ressentent."

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