Cet article date de plus de six ans.

France-Argentine : Diego Maradona, quand la légende vivante devient gênante

Doigts d'honneur, sieste et célébration christique : Diego Maradona a volé la vedette à Lionel Messi lors du précédent match des Argentins face au Nigeria. L'incontrôlable légende va-t-elle remettre ça contre la France ? 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Diego Maradona, lors du match entre l'Argentine et le Nigeria remporté 2-1 par les Sud-Américains, le 26 juin 2018 à Saint-Pétersbourg (Russie). (CEZARO DE LUCA / DPA)

Fallait pas l'inviter. La victoire in extremis de l'Argentine face au Nigeria (2-1), permettant à l'Albiceleste de se hisser en huitième de finale de la Coupe du monde face à la France, a été parasitée par le one-man-show de Diego Maradona en tribunes. L'ancien n°10 de la sélection est passé par toutes les émotions, dansant avec une supportrice nigériane avant le coup d'envoi, exprimant sa joie de façon christique sur le premier but de Messi, s'endormant aux alentours de la pause, puis saluant le deuxième but des siens de deux doigts d'honneur rageurs. Un séjour à l'hôpital plus tard, Diego s'est envolé pour assister au match des Argentins face à la France, samedi 30 juin à Kazan. Pour qu'il se donne à nouveau en spectacle... comme lors de ses quinze dernières années ? 

Maradona la girouette

Depuis qu'il a raccroché les crampons, Diego Maradona a continué à se mêler des affaires du football argentin. Dans son style particulier. "Diego, c'est Diego, s'amuse Nicolas Cougot, rédacteur en chef du site Lucarne opposée et spécialiste du foot argentin. Il est capable d'affirmer une chose un jour et de défendre avec la même conviction le contraire le lendemain." Comme lors de cette Coupe du monde, où il retournait sa veste, pardon, son sombrero, en expliquant soutenir le Mexique quelques heures avant le coup d'envoi du match de l'Argentine, puis de s'extasier sur l'Albiceleste lors de la rencontre. 

Prenez ses relations avec Lionel Messi, son héritier autoproclamé, qui éprouve tant de difficulté à briller sous le maillot ciel et blanc à la hauteur de ce qu'il fait à Barcelone. En 2006, il l'adoube comme son héritier : "C'est lui qui prendra ma place dans le foot argentin." En 2008, il dégaine le lance-flammes : "Parfois, Messi ne joue que pour lui. Il se sent tellement supérieur qu'il en oublie ses équipiers." Des paroles bien vite ravalées, lorsqu'un mois après il hérite de la sélection nationale. Il faut alors mettre la "Pulga" (la "Puce") dans les meilleures conditions : "Nous avons le meilleur joueur du monde."

Après une fessée 4-0 en quarts de finale du Mondial 2010 face à la Mannschaft, Maradona est remercié. Et redevient l'électron libre qui fait les gros titres : "Messi est un joueur de Playstation", écrit-il dans son autobiographie, mi-élogieux, mi-critique. En 2015, le ton monte : "Nous avons le meilleur joueur du monde, qui va marquer quatre buts contre la Real Sociedad, mais qui n'en touche pas une quand il vient ici.En 2016, il glisse à Pelé, suffisamment fort pour que les caméras l'enregistrent : "Messi n'a pas de personnalité." En creux, Maradona critique un héritier qui n'est pas à la hauteur de la légende de Diego, qui entre-temps s'est mis à parler de lui à la troisième personne.

Diego Maradona lors d'une conférence de presse à Bogota (Colombie), le 9 avril 2015. (JOHN VIZCAINO / REUTERS)

"Un fan exubérant qui peut parfois devenir gênant"

L'histoire de Diego Maradona demeure inextricablement liée à celle de l'Argentine. "Maradona est né dans un bidonville. Il a mené une vie chaotique. Anarchique même. Les hauts, les bas, l'ombre, la lumière, décrit le romancier Eduardo Sacheri, auteur d'un conte à la gloire de celui qu'on a surnommé un temps "el Pelusa", "le Bouclé". Ce sont des choses qui parlent aux Argentins. Si Messi gagne la Coupe du monde, il deviendra à son tour une idole. Mais jamais il n'aura une relation aussi passionnée avec le public." Quand Maradona est nommé sélectionneur en 2008, 74% des Argentins approuvent ce choix alors que le "Pibe de Oro" (le "Gamin en or") a le CV d'un coach de troisième zone. Un de ses premiers coups d'éclat est de demander, narquois, aux journalistes "de le sucer" en joignant le geste à la parole, grossièreté qui lui vaudra deux mois de suspension.

L'ancien joueur et sélectionneur de l'Argentine, Diego Maradona, fait un doigt d'honneur lors du match Argentine-Nigeria, le 26 juin 2018 à Saint-Pétersbourg (Russie). (OLGA MALTSEVA / AFP)

Mais quand Diego essaie de se placer pour reprendre la sélection après le Mondial 2014, ses soutiens ne sont pas légion. "Les gens apprécient l'ancien joueur, beaucoup le vénèrent encore, mais ils ont appris à faire la part des choses entre ce qu'il a fait et ce qu'il dit, estime Roy Niemer, du site Mundo Albiceleste, qui suit le foot argentin. Le grand public le considère plus comme un fan exubérant, qui peut parfois devenir gênant." Comme lors de cette fin de match, les majeurs tendus bien haut, face au Nigeria, qui lui a valu pas moins d'une demi-douzaine d'articles sur le site spécialisé Olé, signe qu'il intéresse encore. Mais plus pour ce qu'il dit, mais pour ce qu'il fait.

Cinq polémiques en 2014, déjà trois cette année

"Diegito" monnayant ses interviews au prix fort, il se fait de toute façon plus rare dans les médias argentins. "La parole des anciens joueurs est très respectée en Argentine, mais quand ils veulent du fond, les médias vont plutôt interroger César Luis Menotti [sélectionneur des champions du monde 1978] ou même un Claudio Caniggia [attaquant de l'Argentine entre 1987 et 2002]", illustre Nicolas Cougot. 

Brouillé avec les instances du football argentin, décrédibilisé auprès du public, Diego Maradona a encore l'oreille... des politiques. Sa nomination comme sélectionneur en 2008 est sans doute intervenue grâce à un coup de pouce de Cristina Kirchner, alors présidente du pays. Renvoi d'ascenseur un an plus tard, quand Maradona s'affiche tout sourire au côté d'une Kirchner qui vient de décider de nationaliser les droits du foot. Et quand il est remercié après son Mondial 2010 désastreux, sur quelle épaule croyez-vous qu'il est allé pleurer ? Dans ce domaine aussi, son étoile a pâli : jamais l'actuel président argentin, Mauricio Macri, qu'il a pourtant connu à Boca Juniors, ne s'est affiché avec lui. La faute aux sympathies chavistes de Maradona (le populisme de gauche incarné par Hugo Chavez, puis Nicolas Maduro au Venezuela), sans doute.

Diego Maradona savoure un cigare dans une tribune non-fumeur du stade du Spartak Moscou, le 16 juin 2018 lors du match Argentine-Islande. (JUAN MABROMATA / AFP)

Un record reste à battre : celui des polémiques créées pendant le temps d'un Mondial. En 2014, Maradona, envoyé spécial de la chaîne vénézuélienne TeleSUR, en avait causé cinq, record à battre (et ce alors que l'Argentine est allée jusqu'en finale dans le tournoi). Cette année, alors que c'est la Fifa qui lui trouve des places en tribune VIP, grâce à son improbable amitié avec Gianni Infantino, le patron de l'instance, on en est à trois : son geste jugé raciste lors du match face à l'Islande, son cigare dans la tribune non-fumeur du stade du Spartak à Moscou et les fameux doigts d'honneur. 

Méfiez-vous, il ne lui faut pas grand-chose pour déraper. Il y a quatre ans, il n'avait pas vu le but dans les arrêts de jeu d'un match de premier tour crispant face à l'Iran. Commentaire de Julio Grondona, le tout-puissant patron de la fédération à l'époque : "Le chat noir est parti à temps du stade, et comme par hasard nous avons gagné." Il y a quatre ans déjà, "El Diez" avait déjà répondu avec ses doigts. La répartie n'est pas son point fort, on dirait.

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.