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30 ans de "Magic: The Gathering" : comment Richard Garfield a créé les cartes qui ont révolutionné le monde du jeu de société

En 1993, Richard Garfield, un mathématicien féru de jeux de société crée "Magic: The Gathering". Un jeu à la fois très simple et très complexe qui devient rapidement un phénomène mondial. Il nous explique comment il a inventé ce jeu révolutionnaire dont une carte s’est vendue le mois dernier 2 millions de dollars.
Article rédigé par franceinfo Culture - Manu Font
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 11min
Une carte du jeu "Magic: The Gathering". (WIZARDS OF THE COASTS / M. FONT)

Dans Magic: The Gathering, les joueurs sont des sorciers qui s’affrontent avec des cartes de terrain qui génèrent du "mana" et permettent d'acheter des cartes plus puissantes : des créatures qui viennent défendre le magicien et attaquer l’adversaire, mais aussi des sorts aux effets variés. Le jeu s’enrichit régulièrement d’extensions qui viennent apporter de nouvelles règles tout en gardant le principe de base. Il compte aujourd’hui plus de 25 000 cartes différentes à partir desquelles chaque joueur va composer son paquet de 60 ou 100 cartes, appelé deck.

Pour Gatien, joueur lyonnais qui a découvert Magic en 1996, "Il y a une vraie richesse dans ce jeu et des possibilités innombrables. On peut faire son propre deck, le tester pour voir s’il fonctionne et le modifier pour l’améliorer. Souvent, "ça casse" mais parfois, "ça passe" et quand on voit qu'un deck que l’on a créé est repris dans les compétitions, ça fait vraiment plaisir."

"Il y a une vraie richesse dans ce jeu et des possibilités innombrables."

Gatien,

Joueur depuis 1996

Chaque année, des tournois sont organisés partout en France et les meilleurs joueurs se retrouvent pour disputer un championnat du monde. Le jeu a rejoint Barbie et Lego en 2019 au National Toy Hall of Fame, le panthéon américain des jeux les plus populaires.

Mais pour jouer, il faut acheter des "boosters" : des paquets fermés contenant une dizaine de cartes qu’on ne découvre qu’après les avoir payées. On doit ensuite trouver d’autres joueurs avec lesquels échanger les cartes que l’on n'utilise pas contre celles que l’on recherche. Pour avoir un bon deck, il faut donc être prêt à acheter beaucoup plus de cartes que celles dont on a réellement besoin. C’est le modèle économique du jeu qui va faire la fortune de la maison d’édition Wizards of the Coast. Rachetée par le géant Hasbro en 1999, la société a déclaré avoir vendu pour 1 milliard de dollars de cartes l’an dernier.

Booster avec cartes "Magic: the Gathering". (WIZARDS OF THE COASTS / M. FONT)

En 1991, Richard Garfield, un mathématicien également créateur de jeux de société, rencontre un éditeur spécialisé dans les jeux de rôle. Wizards of the Coast est alors une toute jeune société qui a peu de moyens et lui demande de travailler sur un concept peu coûteux à produire et facile à transporter.

"Rien n'est plus amusant que d'explorer des jeux avec de nouvelles règles. À un moment donné, j'ai pensé que je pourrais partager ce sentiment de création et d'exploration avec les joueurs grâce à un jeu dans lequel ils créeraient leur propre expérience à travers les cartes avec lesquelles ils choisiraient de jouer."

Richard Garfield,

Créateur de "Magic: The Gathering"

Richard Garfield, créateur de "Magic: The Gathering". (HEXPION)

Magic: The Gathering naît en 1993 et son succès est fulgurant. La première édition compte 2,5 millions cartes qui sont très rapidement vendues et les quelque 7,8 millions de l’extension s’arrachent littéralement en quelques semaines. L’éditeur passe alors à la vitesse supérieure et, en avril 1995, la quatrième édition dépasse les 500 millions de cartes et envahie l’Europe et l’Asie.

Pour Richard Garfield, il était impossible de prévoir un tel engouement : "J'étais conscient que le jeu était spécial, il était unique et mes testeurs étaient rapidement devenus accros. Cependant, j'ai joué à de nombreux jeux que j'adorais et qui n'ont pas eu un grand succès et donc, tout ce à quoi je m'attendais, c'était toucher un petit groupe de joueurs passionnés. Mais j'étais enthousiasmé, il y avait tellement de jeux qui pouvaient être créés dans ce nouvel espace, j'avais hâte d'explorer toutes ces possibilités."

Cartes de l'extension du Seigneur des Anneaux de "Magic: The Gathering". (WIZARDS OF THE COASTS / M. FONT)

Les cartes sont jolies et certains joueurs deviennent aussi des collectionneurs. Rapidement, ces derniers estiment que trop de cartes sont produites et que cela nuit à leur valeur. Le jeu en est à ses débuts et sa popularité peut vite basculer dans l’oubli, d’autant que certaines extensions commencent à être moins bien accueillies. Wizards of the Coast décide en 1996 de créer une "liste réservée" de cartes qu’il promet de ne jamais rééditer. Pour les collectionneurs qui possèdent déjà ces cartes, c’est le jackpot, car leur rareté est assurée et leur valeur ne fera qu’augmenter.

La carte de l'Anneau Unique qui s'est vendue 2 millions de dollars. (WIZARDS OF THE COASTS)

Cette liste réservée et l’engouement des joueurs vont provoquer un emballement des prix. Le Power Nine est le nom donné aux neuf cartes les plus puissantes du jeu, elles ne seront jamais rééditées et leur valeur va atteindre des sommets. L’an dernier, le rappeur américain Post Malone a avoué avoir dépensé 800 000 dollars pour un exemplaire du "Black Lotus", la carte la plus mythique du jeu. En août 2023, il s’est également offert l’anneau unique de la toute nouvelle extension du Seigneur des anneaux. Pour cette carte tirée en un seul exemplaire, il a déboursé la modique somme de 2 millions de dollars auprès de l’heureux joueur qui l’avait trouvé dans un booster.

Un trésor dans vos tiroirs ?

Si vous avez chez vous des anciennes cartes Magic, allez donc jeter un œil sur des sites de revente comme Cardmarket. Toutes les cartes y sont référencées et leurs cours indiqués sur des graphiques comme à la bourse. Attention cependant, pour qu’une carte atteigne sa valeur maximale, il faut qu’elle soit dans un état irréprochable.

Créatures de "Magic: The Gathering". (WIZARDS OF THE COASTS / M. FONT)

Mais si la liste réservée fait le bonheur des collectionneurs, elle brime bon nombre de joueurs qui souhaitent son abolition et la réédition de certaines cartes ; car pour pouvoir participer aux tournois vintage, qui autorisent les anciennes éditions, il faut aujourd’hui débourser plusieurs milliers, voire dizaines de milliers d’euros pour se constituer un deck compétitif.

La révolution "Magic"

Dans les années 90, l’arrivée de Magic est une vraie révolution dans le tout petit monde du jeu de société. Des licences comme Pokemon et Yu-Gi-Ho! vont rapidement lui emboîter le pas et créer des collections de cartes à la valeur tout aussi stratosphérique. D’une façon plus générale, les créateurs de jeux vont s’inspirer de Magic et se servir de ce principe de cartes avec des illustrations en haut et des pouvoirs en bas.

Pour Richard Garfield, c’est une vraie fierté : "J'ai le privilège d'avoir emmené de nombreux joueurs vers le monde incroyable des jeux. Je suis heureux d'avoir pu partager cela avec autant de personnes au fil des années."

"Quand j'étais enfant, les jeux de réflexion étaient un passe-temps peu courant, c'est un plaisir de voir qu’aujourd’hui, les jeux sont reconnus à leur juste valeur."

Richard Garfield,

créateur de "Magic: The Gathering"

Avec plus de 25 000 cartes différentes et des règles qui doivent s’adapter à pas loin d’une centaine d’extensions déjà sorties, Magic: The Gathering est considéré comme un des jeux les plus complexes au monde. Pour le prouver, Alex Churchill, un programmeur de l’université de Cambridge aux Etats-Unis, s’en est servi pour créer une machine de Turing utilisant les règles du jeu. Cet ordinateur est opérationnel en théorie, mais son efficacité reste à prouver. Kyle Hill, un youtubeur scientifique, a calculé qu’il faudrait à un joueur une table de 2 700 km de large pour pouvoir poser toutes les cartes et plus de 8 400 000 000 000 années d’efforts à manipuler ces dernières pour simplement parvenir à additionner 3 + 2 !
 

Pas étonnant de la part d’un jeu créé par un mathématicien ? Oui et non, car Richard Garfield pense qu'il ne s’est pas seulement servi de ses connaissances en mathématiques pour créer Magic : "Mon amour des mathématiques et mon amour des jeux sont liés, mais l’un n’entraîne pas exclusivement l’autre. Lorsqu’un auteur écrit, tous les aspects de sa vie peuvent avoir de l’importance. C’est la même chose dans la conception de jeux. Tous mes centres d’intérêt ont aidé à créer mes jeux."

"Le jeu a changé avec le public"

Pour Mark Rosewater, concepteur en chef chez Wizards of the Coast, malgré ses nombreuses années d’existence, Magic: The Gathering reste un jeu très actuel. Son adaptabilité lui permet d’explorer continuellement de nouveaux espaces : "Depuis trente ans, le public n'a cessé de changer, et le jeu a changé avec lui. La modularité de ses éléments signifie que nous pouvons continuer à créer de nouveaux composants qui peuvent être mélangés et associés à d'anciens composants pour garder le jeu à jour et suivre tous les formats et styles de jeu qui intéressent le public actuel."

Cartes de l'extension du Seigneur des Anneaux de "Magic: The Gathering". (WIZARDS OF THE COASTS / M. FONT)

De nouvelles extensions ont d’ailleurs vu le jour cette année dans l’univers de Doctor Who, de Warhammer 40 000, ou encore du Seigneur des Anneaux. Dans cette dernière, vous incarnez les forces du bien ou celles du mal, mais rien ne vous empêche de mélanger les deux.

La carte préférée de Richard Garfield ?

Pour lui, ce n’est pas la plus puissante ou la plus recherchée, mais la plus "méta", c’est-à-dire celle qui se réfère le plus à elle-même : "Ma carte préférée est Shahrazad des Mille et Une Nuits, issue de la première extension (décembre 1993). Shahrazad, dans la fiction des Mille et Une Nuits, est le conteur, celui qui imbrique des histoires dans des histoires. La carte crée un sous-jeu de Magic qui doit être terminé avant que le jeu principal puisse continuer. J'aime la façon dont la carte reflète la fiction à sa manière et comment elle devient extrêmement méta."

La carte Shahrazad de "Magic: The Gathering" sortie en 1993. (WIZARDS OF THE COASTS)

Magic: the Gathering est un jeu dans un jeu qui se développe à l’infini. Comme un tableau de M.C. Escher avec ses perspectives trompeuses, il part dans toutes les directions, mais revient toujours à sa source : assembler des briques et des éléments pour construire une nouvelle façon de jouer. Les joueurs deviennent des créateurs, un peu à la manière de Lego ou de Minecraft, et perpétuent ce plaisir premier de Richard Garfield lorsqu’il créa Magic que l'on retrouve aujourd’hui chez beaucoup d’adeptes du jeu de société : s’amuser en explorant des jeux avec de nouvelles règles.

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