Anoushka Shankar et Zakir Hussain aux Nuits de Fourvière
Le sitar et le flamenco
Il est rare d'entendre le sitar sans les instruments qui lui répondent naturellement, les tablas. Anoushka Shankar, virtuose du sitar formée par son père l'immense Pandit Ravi Shankar, a choisi de remplacer les deux petits fûts de percussion par une guitare et une chanteuse flamenco. Le résultat de ce rapprochement improbable reste inégal. Le spectateur venu passer une « Nuit indienne » comme l'affichait le festival lyonnais aura souvent été dérouté. Si la guitare flamenco se contente à certains moments de donner un contrepied inattendu mais bienvenu au sitar, elle le noie trop souvent. Lorsque la très belle voix de la chanteuse espagnole se déploie dans le théâtre antique, le flamenco ne fait qu'un bouchée de la musique indienne qui fond alors complètement. Il pouvait être intellectuellement intriguant de confronter une musique des sensations, la tradition indienne, à une musique des sentiments, le flamenco, mais la rencontre se fait au détriment de celle qui l'a initiée.
Heureusement, Anoushka Shankar a su équilibrer sa prestation et proposer aux spectateurs plusieurs morceaux typiquement indiens, son sitar dialoguant enfin avec des percussions traditionnelles ou modernes, mais dans l'esprit des ragas. Anoushka Shankar et sa tentative de rapprocher le flamenco de sa propre tradition suit les pas de son père. Ravi Shankar avait en effet initié l'ouverture en jouant avec des musiciens aussi différents que Yehudi Menuhin, Jean-Pierre Rampal ou le Beatle George Harrison.
En plus de posséder une maîtrise étonnante de son instrument, Anoushka Shankar offre par son physique, sa tenue et la position assise mais tonique qu'impose la pratique du sitar, une image magnifique de beauté et de concentration portée par les effets de lumière et de fumée.
Le maître des tablas
Lui succédant devant les colonnes antiques du théâtre romain de Fourvière, Zakir Hussain, lui aussi fils d'un illustre musicien, le percussionniste Alla Rakha, propose une autre vision de l'évolution de la musique indienne. Celui qui travailla avec Ravi Shankar mais qui fut aussi avec le guitariste britannique John McLaughlin l'un des initiateurs et des musiciens du groupe Shakti, puis de Remember Shakti, est dans son pays un monstre sacré de la musique. Hussain est aujourd'hui considéré comme le plus grand joueur de tablas, au point qu'il fut le premier à donner des concerts solos de cet instrument qui, le plus souvent, donne la réplique au sitar. Il pratique aussi ce que l'on pourrait appeler le tabla verbal et qui est une autre tradition indienne, remplaçant la pratique de l'instrument par sa traduction orale, alignant à une vitesse phénoménale des onomatopées inspirées des sons de l'instrument de percussion.
Le concert complet de Zakir Hussain aux nuits de Fourvière ICI
La vitesse, c'est ce qui étonne le plus le profane qui écoute et regarde un joueur de tablas et particulièrement Zakir Hussain. Ses doigts devenus invisibles courent d'un fût à un autre et se posent avec une précision sans égale là où il faut, dans la position et avec la force qu'il faut pour que sorte le son attendu. La note qui sortira dépend très exactement de la position du doigt ou de la paume, de son toucher, sec ou légèrement appuyé, de sa situation sur le pourtour, le centre ou l'espace qui les sépare sur la peau de l'instrument. La vitesse d'exécution approche sans doute de la dizaine de touchers par seconde.
Hussain lance souvent des défis d'improvisation à ses musiciens, et il l'a fait lors du concert lyonnais. Entourés d'autres percussionnistes, mais aussi du flûtiste Hariprasad Chaurasia et d'un violoniste, Hussain lance un thème que chaque musicien reprend à son tour avec son instrument. C'est alors une belle occasion pour un public chanceux de voir ces virtuoses jouer et rire entre eux sans jamais perdre le sens du défi à relever ni la qualité de la musique.
La dernière partie du spectacle a soulevé l'enthousiasme d'un public rayonnant malgré la pluie qui avait chassé une partie des spectateurs. John McLaughlin n'est plus à la guitare aux côtés d'Hussain, mais ce dernier morceau a rappelé à ceux qui l'appréciaient les meilleurs moments des concerts de Shakti.
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