45 ans de l'oeuvre d'Anselm Kiefer au Centre Pompidou, de la cendre aux fleurs
Dans la nef du Grand Palais, en 2007, le public avait pu découvrir l'œuvre d'Anselm Kiefer dans sa dimension la plus monumentale, fait remarquer le commissaire de l'exposition, Jean-Michel Bouhours. L'artiste avait imaginé une espèce de champ de ruines où tenaient encore de grands cubes de tôle ondulée. Mais pour la rétrospective du Centre Pompidou, "il n'était pas question d'appréhender l'œuvre dans cette dimension-là".
Le visiteur est tout de même accueilli dans le Forum du Centre Pompidou par une grande maison-tour sur laquelle on peut grimper et à l'intérieur de laquelle pendent des bandes de plomb où sont contrecollés des milliers de photos que Kiefer a faites toute sa vie. Opaques, ces bandes sont l'antithèse du film photographique qui permet à l'image de se projeter. "Ce n'est pas une projection, c'est une introspection", explique l'artiste dans un entretien avec le commissaire.
Des paysages brûlés
Dans le corps de l'exposition on peut voir 150 œuvres réalisées par Anselm Kiefer depuis ses débuts, dont une soixantaine de peintures. Et aussi, à part, les dessins et des "vitrines" qu'il a créées spécialement pour l'occasion, des cubes de verre dans lesquels il place des objets puisés dans son "arsenal", un stock qu'il conserve dans les sous-sols de son atelier, fougères, films brûlés, balances, compas, vieilles machines, morceaux d'œuvres détruites.Le parcours de treize salles est chronologique, même s'il s'en dégage des thématiques très fortes.
Pour commencer, des œuvres des années 1970, qui relèvent de la rhétorique de guerre. Des paysages brûlés (il va beaucoup travailler sur le paysage), comme celui de "Maikäfer flieg !" (Hanneton, vole !, 1974), où les flammes sont encore là, sur une grande étendue calcinée. Le long de la ligne d'horizon courent les mots d'une petite comptine, car le texte est toujours très présent dans le travail d'Anselm Kiefer.
Ne pas oublier
C'est à cette époque qu'Anselm Kiefer endosse l'uniforme militaire de son père et se représente en train de faire le salut nazi. Une démarche qui a été mal perçue, on l'a accusé de vouloir réveiller les démons de l'Allemagne. Il voulait seulement qu'on n'oublie pas les atrocités du passé récent, il refusait l'amnésie générale.Quelques livres brûlés sont aussi exposés ici. Les livres, des pièces uniques, sont un élément central de son travail : "C'est quelqu'un qui a une relation très forte au livre en général, à la connaissance livresque, à la poésie, à la littérature", souligne Jean-Michel Bouhours. Ses livres reprennent toutes les thématiques de son œuvre, utilisent les mêmes matériaux, plâtre, plomb, cendre, sable, toile.
Mais les livres sont peu présents au Centre Pompidou, car la BnF leur consacre toute une exposition, organisée parallèlement à celle-ci.
Comment peut-on être un artiste allemand ?
Une salle entière est dédiée au paysage et à la question de la peinture, à la position de l'artiste. Car dans les années 1970 Kiefer s'est demandé comment on pouvait être un artiste allemand après la Shoah. Une palette flotte au-dessus de paysages dévastés. Dans "Malen" (peindre), une pluie de peinture bleue vient reféconder la terre brûlée.A la même époque, Kiefer introduit les mythes germaniques et l'histoire allemande dans ses œuvres. L'atelier de l'artiste, un grenier, devient le théâtre de ces histoires. Il est menacé par un feu à la fois destructeur et régénérateur. Dans le plancher est plantée l'épée de Siegfried ("Notung").
La forêt, lieu de massacre et berceau de la nation
Kiefer s'interroge sur des histoires que le nationalisme allemand du XIXe siècle s'est appropriées et qui ont été récupérées ensuite par le national-socialisme. Comme celle de la bataille de Teutobourg, au Ier siècle, qui a vu la victoire d'un chef de tribu germanique sur les Romains. Le thème récurrent de la forêt allemande, siège de cette bataille, à la fois lieu de massacre et berceau de la nation, est investi de personnages de l'histoire et de la vie intellectuelle allemande.
La thématique de l'architecture et des ruines occupe une autre salle, avec des références à l'architecture néoclassique du IIIe Reich et aux camps dans des œuvres des années 1980 où il se demande comment on peut rendre compte de l'horreur. "Sulamith" (1983), représentation d'un bâtiment voûté, avec un fourneau au fond, est la première allusion à Paul Celan, poète juif roumain mais de langue allemande qui s'est demandé comment on pouvait encore utiliser cette langue.Anselm Kiefer lui consacrera plus tard des tableaux monumentaux et d'une grande beauté, où les sillons d'un champ en hiver convergent pour fuir vers l'infini, un paysage parcouru par les vers du poète, sur lesquels sont accrochés des livres.
Les fleurs, la couleur et Van Gogh
Kiefer va un temps abandonner la question allemande pour s'intéresser à la culture juive et ses textes fondateurs.Et l'autoportrait est maintenant un corps allongé au sol, sous d'immenses tournesols qui évoquent le cosmos, dans la posture dite du "cadavre" en yoga. "C'est en lien avec le bouddhisme, avec le sentiment d'être englouti dans la nature qui se reforme. Tu meurs, ton cadavre se dégrade dans la nature et nourrit l'arbre", dit-il.
Jusque-là, ses tableaux étaient souvent gris, du moins sombres ou de couleurs sourdes. A la fin des années 1990, il lâche une explosion de couleurs chaudes et vives, dans des peintures de champs de fleurs qui disent sa fascination pour Van Gogh, Rimbaud et Verlaine. Tout semble s'alléger tout d'un coup.
Dans la dernière salle, on revient à l'Allemagne, avec une installation créée en 2015 pour l'exposition. Le rapport avec le passé semble s'être apaisé. Ici, l'Allemagne est un lieu de renaissance, toujours avec sa forêt. "Mme de Staël – De L'Allemagne", qui fait allusion au voyage en Allemagne de la femme de lettres française en 1813, est un hommage au romantisme. Dans son livre "De l'Allemagne", Mme de Staël faisait le portrait de la culture allemande et invitait les Français à y puiser une inspiration guidée par l'émotion. Kiefer fait la généalogie du romantisme allemand, jusqu'aux avatars politiques pathologiques que peuvent être une Ulrike Meinhof, de la Fraction armée rouge, présentée sur un lit d'hôpital.
Anselm Kiefer, Centre Pompidou, niveau 6, galerie 1, Paris 4e
Tous les jours sauf le mardi, 11h-21h, nocturne le jeudi jusqu'à 23h
14€ / 11€ (gratuit pour les moins de 18 ans)
du 16 décembre au 18 avril 2016
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