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600 œuvres pour faire le portrait de 1917

Au cœur de la Grande Guerre, l'année marque un point de basculement dans l'histoire de l'art. Le centre Pompidou-Metz lui consacre une gigantesque exposition, jusqu'au 24 septembre.

Article rédigé par Pierre Morestin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
George Grosz, "Explosion", 1917. Huile sur panneau composé, 47,8 x 68,2 cm. The Museum of Modern Art, New York. (© 2012. DIGITAL IMAGE, THE MUSEUM OF MODERN ART, NEW YORK/SCALA, FLORENCE © THE ESTATE OF GEORGE GROSZ, PRINCETON, NJ./ADAGP, PARIS 2012)

1917. L’année évoque le massacre du chemin des Dames ou la révolution russe. Mais c’est aussi un point de basculement dans l’histoire de l’art. Le centre Pompidou-Metz (Moselle) lui consacre une gigantesque exposition jusqu'au 24 septembre en sortant l’artillerie lourde : plus de 600 œuvres !

Au départ de cette exposition, il y a une toile, prêtée au musée messin : le rideau de scène géant réalisé par Picasso pour le spectacle Parade interprété par les ballets russes. Un monument de 170 m2 pour 45 kilos, que l’on n’avait pas vu en France depuis vingt ans étant donné la hauteur sous plafond requise pour le présenter. Revenu de ses expérimentations cubistes, l’Espagnol y montre des arlequins, des forains, une fée… une scène douce et tendre peinte en 1917 alors même que des combats font des milliers de morts sur le front ! Plutôt que de réaliser une énième exposition Picasso, le Centre Pompidou-Metz s’est intéressé aux œuvres qui ont été créées la même année, et à force de dérouler la pelote, propose un parcours thématique exceptionnellement riche.

Pablo Picasso, "Rideau de scène du ballet 'Parade'", 1917. Peinture à la colle sur toile, 1050 × 1640 cm. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1955. (© SUCCESSION PICASSO, 2012 © CHRISTIAN BAHIER ET PHILIPPE MIGEAT - CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI /DIST. RMN-GP)

La peinture atteint ses limites

Première surprise : bien peu d’œuvres montrant la guerre sont présentées. Tout simplement parce que le conflit a été peu représenté par les peintres et les sculpteurs. C’est une nouveauté, car la peinture de batailles constituait jusqu’alors un genre très prisé.

Mais la Grande Guerre change la donne. La violence extrême du conflit empêche les artistes de se rapprocher des zones de combat. Quand bien même ils s’y aventurent, comme Fernand Léger, réquisitionné dès 1914, ils ne peuvent voir les affrontements : les soldats se terrent dans les tranchées. Bref, la guerre se cache.

Les peintres sont condamnés à représenter non le conflit, mais ses ravages. Observez ce village en ruines. Il a été peint par Bonnard, parti dans la Somme à la demande du gouvernement pour figurer les combats. Mais ce grand coloriste, génial lorsqu’il s’agit de peindre les petits moments heureux du quotidien, est totalement à contre-emploi. Resté à l’arrière, il observe le repos des guerriers, les soldats mutilés, les bâtiments détruits. Palette terne, boueuse : dans ce qui ressemble plus à une esquisse qu’à un tableau fini, il fait le constat de son impuissance, comme ce vieil homme, en bas à gauche de la toile, qui semble faire corps avec les ruines.

 

Pierre Bonnard, "Un village en ruines près de Ham", 1917.Huile sur toile, 63 x 85 cm. Centre national des arts plastiques – ministère de la Culture et de la Communication, Paris. (© COLLECTION BDIC © ADAGP, PARIS 2012)

Certains peintres, pourtant, s’acharnent. En résulte alors des toiles très géométriques et totalement déshumanisés. Remarquez ici comme, chacun d'un côté de la ligne de front, le Français Félix Edouard Vallotton et l’Allemand Georg Grosz, découpent leurs œuvres en utilisant des lignes obliques qui fractionnent violemment leurs compositions. Nous sommes à la limite de l’abstraction mais quelques détails, ici des arbres érigés comme autant de croix, là les façades fissurées, nous ramènent à l’atrocité de la guerre.

Félix Édouard Vallotton, "Verdun. Tableau de guerre interprêté [sic] projections colorées noires bleues et rouges terrains dévastés, nuées de gaz", 1917. Huile sur toile, 114 x 146 cm. (© PARIS - MUSÉE DE L'ARMÉE, DIST. RMN / PASCAL SEGRETTE)

 

George Grosz, "Explosion", 1917. Huile sur panneau composé, 47,8 x 68,2 cm. The Museum of Modern Art, New York. (© 2012. DIGITAL IMAGE, THE MUSEUM OF MODERN ART, NEW YORK/SCALA, FLORENCE © THE ESTATE OF GEORGE GROSZ, PRINCETON, NJ./ADAGP, PARIS 2012)

Un urinoir secoue le monde de l’art

L’autre bouleversement a lieu de l’autre côté de l’Atlantique. Marcel Duchamp, qui débarque aux Etats-Unis en 1915, présente deux ans plus tard, lors de la première exposition de la Société des artistes indépendants américaine, ce simple urinoir.

Marcel Duchamp, "Foutain [Fontaine]", 1917/1964. Faïence blanche recouverte de glaçure céramique et de peinture, 63 x 48 x 35 cm. (© CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI, DIST. RMN-GP/CHRISTIAN BAHIER ET PHILIPPE MIGEAT © SUCCESSION MARCEL DUCHAMP / ADAGP, PARIS 2012)

Ce produit industriel n’a en soi rien d’artistique. Mais Duchamp le retourne, le signe "R. Mutt" et l’intitule Fontaine. Il détourne un objet du quotidien pour en faire un "ready-made", une œuvre d’art "toute prête". La pièce de faïence provoque évidemment un scandale mais fait aussi durablement évoluer les mentalités. Jusqu’ici, c’était le talent de l’artiste, sa technique, qui le distinguaient. Dorénavant, ce sont ses idées, son habileté à manier des concepts intellectuels, qui priment. L’art conceptuel est né et influence une bonne partie de l’art créé depuis le XXe.

Coïncidence, alors que Marcel Duchamp manipule des produits manufacturés, les soldats, sur le front, détournent eux aussi des objets… mais plus dangereux. Pour tuer le temps, les Poilus gravent des douilles, en changent d’autres en cendriers, créent des coupe-papiers à partir de débris d’obus, ou des presse-papiers en se servant de croix de fer allemandes. Avant l'exposition du centre Pompidou-Metz, cet "art des tranchées" était rarement montré dans les grands musées nationaux.

Le combat continue loin des tranchées

L’incidence de la première guerre mondiale n’est pas toujours évidente. Prenez cette toile du cubiste Albert Gleizes : un paysage coloré et harmonieux qui nous emmène bien loin des charniers du conflit total. Et pourtant, c’est justement parce qu’il fuit la guerre que Gleizes, mobilisé en 1914, réformé un an plus tard, fait escale à New York puis aux Bermudes pour poursuivre ses recherches en utilisant plus fréquemment des aplats de couleur vive.

 

Albert Gleizes, "Paysage des Bermudes", 1917. Huile sur carton, 92 x 73 cm. (© CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI, DIST. RMN-GP/JACQUELINE HYDE © ADAGP, PARIS 2012)

Un autre peintre, plus célèbre, Henri Matisse, alors trop vieux pour être mobilisé, ne peint aucune toile évoquant directement le conflit. Mais ses tableaux reflètent son angoisse. Des couleurs sombres, des personnages mutilés apparaissent dans les œuvres du peintre de La Joie de vivre. Ainsi, des Baigneuses qu’il avait commencé à peindre perdent, au fil de son travail, leurs têtes et leurs jambes ! La Grande Guerre n'a laissé personne indemne.

• Exposition "1917"

Du 26 mai au 24 septembre
Centre Pompidou-Metz
Galerie 1 et Grande Nef
1, parvis des Droits-de-l'Homme
57 020 Metz cedex 01
Tél. : 03 87 15 39 39 

De 11 heures à 18 heures, sauf le mardi.
Le samedi, de 10 heures à 20 heures
Tarif : 7 euros

 

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