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A Angoulême, le coup de pinceau des dessinateurs de BD

Que se passe-t-il quand les rois de la bulle lâchent la table à dessin pour la toile ? Réponse sur les bords de la Charente, au musée de la BD qui présente jusqu'au 11 mars "Une autre histoire. Bande dessinée, l'œuvre peint". 

Article rédigé par Pierre Morestin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Philippe Druillet, "Don Quichotte". (© DR)

Que se passe-t-il quand les rois de la bulle lâchent le crayon pour le pinceau ? Réponse au musée de la BD d'Angoulême, qui présente jusqu'au 11 mars "Une autre histoire. Bande dessinée, l'œuvre peint". On pourra y voir l'art grand format d'une quarantaine d'artistes qui se lâchent et surprennent quand ils s'expriment sur des toiles. Parmi eux, des célébrités du 9e art (Hergé, dont une œuvre est exposée en exclusivité, Enki Bilal, Philippe Druillet...), mais aussi de jeunes surdoués qui passent sans complexe d'un médium à l'autre.

La BD brûle les planches

Il fut un temps où les choses étaient claires : les dessinateurs de BD dessinaient des BD, et les peintres peignaient. Entre les deux, beaucoup d'indifférence et un soupçon de mépris. Moebius (alias Jean Giraud, dessinateur de l'Incal) raconte ainsi comment il est devenu la risée de ses petits camarades de promo lorsqu'en sortant des beaux-arts, il a choisi la voie du crayon.

Aujourd'hui, rien n'est si simple. Les nouvelles pointures de l'art contemporain, comme Alain Séchas et Gilles Barbier, font des références constantes à l'univers des bulles qui a accompagné leur enfance. Et les bédéastes quittent leurs planches pour partir à l'abordage des plus prestigieuses institutions culturelles, Louvre compris. A Paris, les galeries qui présentent leurs travaux plastiques fleurissent depuis peu (galerie Martel, galerie Anne Barrault, galerie Jean-Marc Thévenet...). Et surtout, l'exposition du musée de la BD d'Angoulême exhume des peintures qui sont restées trop longtemps dans l'ombre, faute de crédibilité. Voilà qui va donner à réfléchir à ceux qui ne considèrent toujours pas les héritiers de Mickey comme de "vrais" artistes. Car sans raconter d'histoire, en utilisant le grand format, la peinture à l'huile ou l'acrylique, les bédéastes restent pertinents.

Simple déclinaison

A quoi ressemblent ces œuvres ? Certaines ont la couleur et le goût de la BD, mais sont bien des peintures. C'est notamment le cas pour les productions d'Enki Bilal. L'auteur de La femme piège ou du Sommeil du monstre, aujourd'hui le plus coté des dessinateurs de bédé vivants, se répète dans ses grands formats. Mêmes personnages aux traits anguleux, même utilisation des couleurs primaires (ici le rouge et le bleu), mêmes décors futuristes criblés de balles. Artiste multicarte (dessinateur, peintre, mais aussi réalisateur ou créateur de décors de théâtre et de costumes), Bilal a une démarche singulière, proche de celle des peintres contemporains. Lorsqu'il réalise une bande dessinée, aujourd'hui, il crée ses images case par case. Et chacune est une œuvre à part entière qui peut être vendue indépendamment des autres.

Enki Bilal, issu de "Bleu Sang", p. 29, 1994, 110 x 90 cm, acrylique et gouache sur toile. (crédit photographique : KG)

Philippe Druillet, maître de la BD de science-fiction et cofondateur du magazine Métal Hurlant, est lui aussi prévisible dans ses toiles. Mais le recours au grand format permet d'ajouter un souffle épique à ses productions. Le foisonnement des détails évoque Gustave Moreau, père du symbolisme, et l'un des maîtres à créer du bédéaste.

Philippe Druillet, "Don Quichotte". (© DR)

Quand la BD ressurgit dans la peinture, c'est aussi parfois pour faire un pied de (gros) nez à la peinture traditionnelle. Exemple ici : la dessinatrice Florence Cestac incruste ses personnages aux improbables tarins dans un paysage helvétique en utilisant la technique du papier mâché. Volume des personnages, rendu de la vitesse, couleurs saturées : le contraste entre les deux univers est saisissant. Et l'auteur, Grand Prix d’Angoulême en 2000, semble nous dire que oui, vraiment, la BD est une discipline bien plus fun que la peinture amateur !

Florence Cestac, "Superman en Suisse". (crédit photographique : KG)

La peinture pour imiter les "grands"

Certains géants de la BD essaient de s'inscrire dans l'art de leur temps. C'est le cas d'Hergé. Le papa de Tintin, on le sait peu, s'essaya à la peinture abstraite au début des années 1960... avant d'abandonner un an plus tard. Proche du mouvement Cobra, il a collectionné quelques-uns des pionniers de l'art contemporain, comme Lucio Fontana, connu pour faire des trous dans ses toiles, ou Hans Hartung, grand expérimentateur de techniques abstraites. Les peintures d'Hergé sont d'autant plus intéressantes qu'elles sont aux antipodes de ses planches. L'inventeur de la "ligne claire" ne cerne pas ses formes. Et alors qu'il utilise de sages aplats de couleurs uniformes dans ses cases, il joue ici sur la densité de la peinture, plus ou moins soutenue.

Hergé, sans titre, 1960, 60 x 40 cm, huile sur toile. (crédit photographique : KG)

Joseph Gillain, dit "Jijé", figure du Journal de Spirou et de Pilote, considéré aujourd'hui comme un auteur classique de la BD d'aventure (Les aventures de Tanguy et Laverdure, Barbe-Rouge) a également mené une double vie picturale. Ses toiles fougueuses, très colorées et animées, où le pinceau va fouiller dans la profondeur de la peinture, créent des images en relief, presque sculptées. Elles évoquent dans leur technique les tableaux de Van Gogh.

Joseph Gillain, "Vent d'orage sur le Connecticut", 1973, 53 x 61 cm, peinture à l'huile. (Crédit photographique : KG)

La peinture, seconde langue

Pour d'autres artistes, enfin, la peinture est un mode d'expression aussi important que le dessin. C'est souvent le cas pour la nouvelle génération de bédéastes familiarisés à plusieurs techniques durant leur formation, et plus décomplexés que leurs aînés. Parmi eux, l'artiste belge Michaël Matthys, diplômé de l'Ecole des beaux-arts de Tournai, qui a produit des bédés atypiques... tout en réalisant des peintures très noires exposées à Paris, au Centre Pompidou.

Michaël Matthys, "Running in the dark" (série), 2010.  (© DR)

On pense également au Néerlandais Tobias Schalken, dessinateur de BD, peintre, mais aussi photographe  et sculpteur. Ses toiles nous font entrer dans un univers onirique et bizarre, sans mode d’emploi. Et évoquent les créations des coqueluches de l’art contemporain, comme Oda Jaune.

Tobias Schalken, "Grace". (© DR)

• Exposition "Une autre histoire. Bande dessinée, l'œuvre peint"

Du vendredi 16 décembre au 11 mars 2012
Musée de la bande dessinée
Quai de la Charente
Angoulême
Tél. : 05 45 38 65 65
Bus lignes STGA 3 et 5, arrêt Le Nil

• Ouvert du mardi au vendredi de 10 heures à 18 heures
Et les samedi, dimanche et jours fériés de 14 heures à 18 heures
Pendant le festival de la bande dessinée (du 26 au 29 janvier 2012), ouvert tous les jours de 10 heures à 19 heures.
Tarifs : 3,50 euros / 6,50 euros

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