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A Metz, les artistes gardent la ligne

Quelle est la forme la plus élémentaire de la création artistique ? Le trait. C'est à ce signe modeste que le Centre Pompidou-Metz consacre une grande exposition jusqu'au 1er avril.

Article rédigé par Léo Pajon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Vassily Kandinsky, "Empreinte des mains de l'artiste", 1926. Aquarelle sur papier, 30x42,3 cm. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne. (CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI, DIST. RMN - ADAM RZEPKA ADAGP, PARIS 2012)

"Où qu'ils aillent et quoi qu'ils fassent, les hommes tracent des lignes : marcher, écrire, dessiner ou tisser sont des activités où les lignes sont omniprésentes, au même titre que l'usage de la voix, des mains ou des pieds." La phrase n'est pas celle d'un artiste, mais d'un anthropologue britannique, Tim Ingold, dont l'ouvrage Une brève histoire des lignes a inspiré la réalisation d’une ambitieuse exposition au Centre Pompidou-Metz, du 11 janvier au 1er avril.

L'événement regroupe 220 œuvres et beaucoup de pointures (Marcel Duchamp, Man Ray, Vassily Kandinsky…). Mais ces œuvres peuvent désarçonner : il s'agit pour beaucoup de crayonnés restés dans l'ombre, ou parfois de photos et d'installations. Le rapport entre elles ? L'omniprésence de lignes, de traits, qui définissent une bonne partie de la création contemporaine.

Laisser une trace

A quoi sert de tracer des traits ? Le grand Vassily Kandinsky, exposé récemment au Centre Pompidou, nous donne ici une réponse d'une étonnante simplicité en imprimant sur une feuille, à l'aquarelle, les lignes de sa main : 

Vassily Kandinsky, "Empreinte des mains de l'artiste", 1926. Aquarelle sur papier, 30x42,3 cm. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne. (CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI, DIST. RMN - ADAM RZEPKA ADAGP, PARIS 2012)
Le trait est d'abord une trace que l'artiste laisse de soi. Nos lointains ancêtres ne procédaient pas autrement : les hommes préhistoriques traçaient déjà des traits dans la roche ou sur des os en y pratiquant des incisions qu'ils remplissaient de pigments colorés. Le motif même de Kandinsky, de simples mains, renoue d'ailleurs avec les motifs ancestraux des artistes des cavernes, comme ici dans la grotte du Pech-Merle (Lot).

Facile de reconnaître une empreinte de mains… Mais sauriez-vous identifier celle qui a permis de réaliser ce dessin, gigantesque (7,14 mètres de long) ?

Giuseppe Penone, "Palpebra" (paupière), 1989. Fusain fixé sur toile, 218×714 cm. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne. (CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI, DIST. RMN-GRAND PALAIS / PHILIPPE MIGEAT / ARCHIVIO PENONE / ADAGP, PARIS 2012)

Il s'agit d'une empreinte de paupière ! Celle de l'artiste contemporain italien Giuseppe Penone, pour être précis. Le plasticien a réalisé une impression de sa peau sur un papier de soie, l'a agrandie et a recopié les lignes en utilisant du fusain. L'idée n'est pas très éloignée de celle de Kandinsky puisque le plasticien imprime d'abord la marque de son corps dans une œuvre. Mais ici, il s'agit aussi de rendre visible l'invisible, révéler en grand format les traces organiques microscopiques du visage. Le moindre pli, la plus petite ridule se change en traits, créant des sentiers accidentés et poétiques.

Un monde de lignes

Quand on évoque les lignes, on pense immédiatement au dessin. Mais l'exposition, on l'a dit, ne s'intéresse pas uniquement aux traits que l'on peut tracer sur une feuille ou sur un mur. Certains artistes ont cherché à partir des années 60 à reproduire les lignes présentes naturellement dans la nature, accompagnant par exemple les tourbillons du courant, comme cette jetée en spirale du sculpteur américain Robert Smithson.

Ci-dessous, via un procédé photographique ancien, la stéréoscopie (utilisée pour créer des photos en "relief"), le Français Dove Allouche a saisi les lignes sinueuses de la foudre. Observez bien le bas du cadre. L'éclair s'inscrit sur un paysage nocturne qui a en fait était patiemment reproduit au graphite et à l'encre sur du papier. Comme souvent, l'artiste cherche à saisir le dessin secret, les formes invisibles que prend la nature.

Dove Allouche, "Le Diamant d'une étoile a rayé le fond du ciel", 2011. Mine graphite et encre sur papier, 106x245 cm. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne. (DOVE ALLOUCHE)

D'autres artistes, Christo et Jeanne-Claude, célèbres pour avoir "emballé" le Reichstag, à Berlin (vidéo), ont cherché à empaqueter la nature ! Ce dessin témoigne d'un de leurs projets les plus pharaoniques : créer une ligne de voiles, haute de 5,5 mètres, épousant les reliefs vallonnés du nord de San Francisco (Californie, Etats-Unis) sur plus de 40 kilomètres. Grâce à leur installation, en place pendant seulement trois semaines, le public a pu contempler autrement les pleins et les déliés du paysages californien.

Christo, "Running Fence" (Project for Sonoma County and Marin County, State of California), 1976. Mine graphite, fusain et pastel sur papier, données techniques et carte topographique, 38×244 cm et 106,6×244 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. (PHILIPPE MIGEAT / CHRISTO, CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI, DIST. RMN )

Traits abstraits

La ligne, loin d'être ringarde, accompagne de nombreuses formes de la création contemporaine. Exemple ici avec cette œuvre dont on vous met au défi de comprendre la logique :

Vera Molnár, "OTTWW", 1981-2010. Fil noir, clous peints en noir.Centre Pompidou, Musée national d'art moderne. ( PHILIPPE MIGEAT- CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI, DIST. RMN / ADAGP, PARIS 2012)

L'artiste a en fait traduit en lignes un algorithme, une formule mathématique souvent utilisée en informatique. A partir d'une méthode froide et mécanique, la Hongroise Vera Molnár crée une frise de coton noire qui semble bousculée par le vent. D'où le nom de l'œuvre, OTTWW, pour Ode to the West Wind (Ode au vent d’ouest). La ligne, forme d'expression la plus dépouillée, est fréquemment utilisée dans l'art minimal, un courant né aux Etats-Unis dans les années 60 qui cherche à exprimer le plus de choses à partir du moins d'éléments possibles.

Henri Michaux, "Dessin mescalinien", 1959. Encre de Chine sur papier, 32×24cm. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne. (CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI, DIST. RMN - DROITS RÉSERVÉS / ADAGP, PARIS 2012)

Mais à l'inverse, le dessin peut aussi traduire toute l'expressivité du geste, l'émotion. Ci-dessus, par exemple, le poète et écrivain Henri Michaux, sous l'emprise de la mescaline, une drogue hallucinogène, tente de traduire en signes son bouillonnement grâce au dessin. Et même si l'on n'aperçoit rien de reconnaissable sur la feuille, ses traits rageurs et embrouillés permettent de comprendre toute son agitation intérieure.

Informations pratiques :

"Une brève histoire des lignes"

Du 11 janvier au 1er avril

Centre Pompidou-Metz

1, parvis des Droits-de-l’Homme, 57020 Metz

11h-18h (sf mar.), 10h-20h le sam., 10h-18h le dim.

7 euros / 10 euros / 12 euros

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