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Aliens, tatoos, cyborgs : pénétrez dans les nouveaux cabinets de curiosité

Des artistes underground exposent leurs créatures à la Halle Saint-Pierre, à Paris.

Article rédigé par Léo Pajon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Renato GARZA CERVERA (Mexique). Of Genuine Contemporary Beast VI. Moulage en polyester, cuir, verre, crayon de cire, huile, laque - 2005/2007. 30 x 140 x 210 cm. Courtesy Art Mûr (Montréal) (RENATO GARZA CERVERA)

Animaux à visages humains, squelettes ailés, freaks tatoués des pieds à la tête... la Halle Saint-Pierre, un lieu parisien consacré à l'art des marges vous invite à déambuler dans un drôle de barnum du 25 janvier au 23 août. Plus de 300 œuvres de 64 artistes internationaux vous attendent dans cette exposition organisée par Martine Lusardy, directrice de la Halle, et Anne & Julien, un couple de passionnés, spécialisé dans l'art underground, à l'origine de la revue "Hey !" dont vous pouvez retrouver le portrait croisé chez nos confrères de France Inter. Derrière un vernis pop très contemporain et des couleurs flashy les monstres exhibés font de nombreux clins d'oeil à l'histoire de l'art. La preuve.

Un concept hype... depuis le XVIe siècle

L'idée de réunir des créatures fabuleuses ou des objets surprenants est à la mode. Le musée de la chasse, à Paris, a récemment créé un parcours jalonné de découvertes étonnantes, comme le détaille ce blog. Mais le concept n'est pas nouveau, il date en fait du XVIe siècle. A l'époque, de riches amateurs rassemblent dans des cabinets de curiosités des trésors mystérieux, souvent rapportés de lointaines expéditions, et parfois vendus très cher par des marchands peu scrupuleux : coquillages, fausses cornes de licornes, hiéroglyphes, peintures d'oiseaux exotiques...

Elizabeth McGRATH (USA), Two Headed Cat. Technique mixte (motif tatouage : Morgan Slade) - 2009. 40.6 x 30.5 cm. Collection Privée Mike & Floor (Pays-Bas) (ELIZABETH MCGRATH)

Un chat à deux têtes, comme celui-ci, aurait parfaitement eu sa place parmi les créatures de ces cabinets de la Renaissance. Mais cette sculpture de l'Américaine Elizabeth Mc Grath (voir ici son site) fait aussi référence aux "sideshows", les attractions, montrées près des cirques, exhibant des "anomalies de la nature" entre femme à barbe, vache à trois pattes et terribles "sauvages". Un observateur contemporain peut aussi y voir une allusion très actuelle aux manipulation génétiques.

Renato GARZA CERVERA (Mexique). Of Genuine Contemporary Beast VI. Moulage en polyester, cuir, verre, crayon de cire, huile, laque - 2005/2007. 30 x 140 x 210 cm. Courtesy Art Mûr (Montréal) (RENATO GARZA CERVERA)

Les cabinets de curiosité présentaient parfois des trophées de chasse. L'oeuvre ci-dessus en est un. Cette sculpture hyperréaliste a été réalisée à partir d'une vraie peau de bête et de résine. "L'artiste, Renato Garza Cervera, qui  vit et travaille à Mexico, a imaginé cette œuvre pour dénoncer la guerre des gangs", explique le co-comissaire d'exposition Julien. Les tatouages réalisés sur le cuir renvoient aux bandes rivales, les Mara et le 18th street gang qui se livrent une guerre sans merci. L'un des rites initiatiques consiste à tuer un membre du gang adverse. Cadavre que l'artiste imagine ici en trophée de guerre.

Des références directes au "grand art"

Parfois, entre deux monstres, surgit un clin d'oeil à l'art classique. Cette peinture vous rapelle quelque chose ?

Mike DAVIS (USA), A secret best kept. Huile sur toile - 2011. 91,4 x 162,5 cm. Courtesy Varnish Fine Art Gallery (San Francisco, USA) (MIKE DAVIS)

Mike Davis, un peintre et tatoueur californien cite Jérôme Bosch. Il reprend par exemple ce drôle d'oeuf bipède que le peintre hollandais du XVe siècle a imaginé dans Le jugement dernier, exposé à l'académie des beaux-arts de Vienne. "Aussi étonnant que cela puisse paraître, beaucoup de tatoueurs sont fascinés par la précision de la peinture flamande", explique Julien. Ils sont séduits aussi par des tableaux qui contiennent des multitudes de scénettes, et qui fourmillent de détails.

Masami TERAOKA (USA). The Cloisters/Ponte Vecchio Quail Hunt. Huile sur bois, cadre doré à la feuille d’or - 2005/2007. 116.8 x 184 cm. Courtesy de l’artiste & Catharine Clark Gallery (San Francisco, USA) (MASAMI TERAOKA)

Parfois, les artistes reprennent les codes de la peinture ancienne non pas pour lui rendre hommage, mais pour se livrer à de cinglantes critiques. L'Américano-japonais Masami Teraoka mêle dans ce triptyque des influences à priori inconciliables. La forme est celle de certains retables de la Renaissance, comme celui que l'on peut admirer par exemple au musée de Beaux-arts de Bruxelles. Mais les geishas qui s'affairent dans la toile évoquent les estampes érotiques japonaises. Hanté de symboles phalliques (cierge, colonne, canon de fusil, banane...), ce carambolage est une manière de critiquer l'hypocrisie religieuse et la luxure supposée du clergé.

Beauté mutante

Cette autre geisha mélange coiffure traditionnelle... et tétons câblés en USB.

Beb-deum, Yu Es Bi chan. Image numérique, tirage Argentique Lambda sur dibond - 2010. 45 X 33 cm. Courtesy de l’artiste (BEB-DEUM)

L'illustrateur français Beb Deum s'est lancé très tôt dans le dessin numérique et imagine des créatures métissées, aussi séduisantes qu'effrayantes qui rappellent les courtisanes japonaises exposées au musée Cernuschi. La peau brillante et lisse comme une carosserie, mécanique apparente, un hologramme flottant sur l'épaule, ce cyborg pose la question de ce que pourrait être le beau dans le futur.

HR GIGER (Suisse). Animatronic Sil Sculpture. Technique mixte - 1995. Ht 102 cm. Courtesy HR Giger Museum (Suisse) (HR GIGER)

Un monstre n'est pas forcément d'une laideur monstrueuse. Avec cette créature vipérine, le Suisse H. R. Giger (le papa d'Alien) fait s'enchevêtrer l'humain, l'animal et le mécanique, réussissant à créer un alliage sensuel. Cette sculpture, qui a inspire le film La mutante (dont on peut voir des photos ici), se nourrissant à même son sein, possède une forte charge érotique.

Tentés ? Passez à la Halle Saint-Pierre. Il y a peu de chance que les artistes présentés, pourtant très doués, soient montrés en France avant longtemps. Leurs œuvres trop facilement lisibles, trop loin, par exemple, des créations indéchiffrables d'un Adel Abdessemed (exposé récemment au Centre Pompidou) ne sont guère mises à l'honneur dans les musées.

Informations pratiques :

HEY ! modern art & pop culture / Part II

Du 25 janvier au 23 août

Halle Saint-Pierre, 2, rue Ronsard, 18e arrondissement

Métros Anvers ou Abbesses

6,50 euros / 8 euros

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