Andy Warhol en séries au Musée d'art moderne de la Ville de Paris
En 1978, deux mécènes, Heiner Freidrich et Philippa de Menil, commandent à Andy Warhol (1928-1987) une série de 100 toiles. Il en produit 108 et ses commanditaires en prennent 102. Il s'agit de sérigraphies de deux motifs abstraits très proches, sur des fonds unis peints par Warhol en 17 couleurs différentes. Quand la série des "Shadows" est exposée pour la première fois à la Heiner Friedrich Gallery à New York en janvier 1979, elle n'est pas complète car il n'y a pas la place. De son vivant, Warhol ne l'a jamais vue en intégral. Aujourd'hui, elle est conservée à la Dia Art Foundation aux Etats-Unis
Reportage C.Airaud, J-F. Monier, M. Bitton
"Pour nous, il s'agissait de s'interroger sur l'identité de cette œuvre", explique le co-commissaire de l'exposition Hervé Vanel. "On pourrait parler d'installation ou d'environnement." Pour l'appréhender, "il faut la parcourir du regard, se mettre en mouvement", car on ne peut l'embrasser d'un coup d'œil.
Au départ, il était question d'exposer les "Shadows" seuls. Puis les organisateurs ont pensé qu'il fallait, pour comprendre la série et la démarche d'Andy Warhol, montrer d'autres œuvres.
Chercher la présentation d'origine
L'exposition "n'est pas un rétrospective, on s'est concentrés sur quelques séries. Ce qui comptait, c'est leur mise en espace, nous voulions suivre les modes d'accrochage souvent expérimentaux qui étaient ceux de Warhol", ajoute Hervé Vanel."Andy Warhol a beaucoup produit dans différents champs. On voulait essayer de montrer cette diversité, et aussi montrer Warhol comme il avait été reçu dans les années 1960, retrouver sa présentation d'origine. A l'époque, son œuvre était présentée en séries. On a essayé de regrouper des séries et de jouer sur cet usage de la répétition", dit l'autre commissaire, Sébastien Gokalp.
Il est difficile aujourd'hui d'imaginer à quel point Warhol était subversif, et d'évaluer la fidélité de l'exposition à ses accrochages. Mais c'est une exposition très vivante et ludique qu'on visite au Musée d'art moderne.
Les "Shadows", comme une pellicule de cinéma
Des vaches en papier peint couvrent la façade, rappelant ce que l'artiste avait fait en 1968 au Moderna Museet de Stockholm.L'exposition s'ouvre sur des séries d'autoportraits et des boites de soupes, suivis des "Screen tests" (bouts d'essai), petits portraits filmés de gens qui défilaient à la Factory. Des personnes connues ou pas qui restent ainsi pendant quelques minutes face à la caméra : Niki de Saint-Phalle s'ennuie manifestement, Mario Banana mange une banane de façon suggestive, l'artiste Ann Buchanan ne bouge pas, seule une larme coule sur sa joue. Warhol a un peu étiré le temps : le film en 24 images par seconde est projeté en 16, et ce qui l'intéresse, ce sont les accidents.
Ces films sont montrés parce que les "Shadows" ont une dimension cinétique, ressemble à une pellicule de cinéma, et aussi "pour montrer que chaque fois que Warhol aborde un médium, il fait fi de toutes les conventions", souligne Hervé Vanel.
La galerie devient une réserve de supermarché
Viennent ensuite les chaises électriques, exposées sur un papier peint de vaches, entre art et décoration. Un papier peint dont la Fondation Andy Warhol autorise la reproduction pour les expositions.Avec les portraits de Jacky Kennedy sérigraphiés, avant et après l'assassinat de Kennedy, Warhol répond à la saturation médiatique. Il aborde la sculpture en reproduisant les cartons de boites de ketchup ou de Brillo en bois. Cinquante ans après Marcel Duchamp, il magnifie le banal. Mais là, il transforme aussi la galerie en réserve de supermarché, saturant l'espace
Importantes aussi, les fleurs, petites, grandes, seules, par quatre, sont présentées serrées comme Warhol aimait les exposer, en une sorte d'environnement. "Elles font penser à un store bon marché. Elles sont incroyables", disait-il.
Ou les Mao : il a pris le portrait du Grand timonier sur la couverture du Petit livre rouge, en a fait un motif de papier peint et des sérigraphies dont il travaille le fond à la main, tournant en dérision du même geste l'icône Mao et les expressionnistes abstraits. "On a repris la présentation du musée Galliera" à Paris, pour lequel la série a été conçue en 1974, précise Sébastien Gokalp.
Les "Silver Clouds", une sculpture qui nous échappe
Il y a l'art éphémère avec la musique du Velvet Underground, en 1966, raconté par des planches contact de Nat Finkelstein agrandies et le film de Ronald Namuth autour du spectacle "The Exploding Plastic Inevitable", projeté sur quatre écrans.Retour au volume, avec les "Silver Clouds", des ballons argentés en forme d'oreillers, gonflés à l'hélium. D'un effet formidable, ils flottent dans une pièce peinte de couleur argentée, comme celle qui recouvrait les murs de la Factory, et semblent vouloir nous échapper quand on joue avec. Des sculptures qui ont manifestement inspiré Jeff Koons. Les "Silver Clouds" ont été imaginés pour "marquer la fin de ma carrière", écrivait Warhol en 1975, mais "en fin de compte, les Coussins argentés cosmiques ne se sont pas évaporés et ma carrière non plus", concluait-il.
L'objet principal de l'exposition, les "Shadows", vient à la fin du parcours, dans la grande salle du musée, qui fait un coude après quelques marches. Impressionnante, la série de 102 toiles accrochées bord à bord court le long du mur et revient, sans début ni fin. L'œuvre semble avoir été conçue précisément pour cette salle. Pour Hervé Vanel, les "Shadows" est une œuvre "qui répond à l'espace dans lequel elle est exposée et parfois même, c'est le cas ici, révèle cet espace".
102 toiles dans un ordre aléatoire
Sur chaque toile, l'un de deux motifs très proches est sérigraphié en noir sur un fond de peinture qui comporte parfois des empâtements ou des transparences. Ces fonds sont de 17 couleurs, rose vif, jaune fluo, vert, beige, orange… Le motif est abstrait, ce qui est rare chez Warhol, et il a donné lieu à une multitude d'interprétations, de la flamme au sexe en érection.Lors de sa première exposition, Warhol avait chargé ses assistants d'accrocher les toiles, comme ils le voulaient. Ici, leur ordre, et donc celui des couleurs, est aléatoire : elles ont été accrochées comme elles venaient au déballage, expliquent les commissaires. Il y a des successions de couleurs différentes ou parfois des mêmes couleurs.
Est-ce de l'art ? avait-on demandé à Warhol. Non, avait-il répondu, ajoutant : "Vous voyez, on passait de la musique disco durant le vernissage, j'imagine que ça en fait un décor disco."
Reportage P.Sorgues, D.Petitcuenot, P.Guennegan, L.Kulimoetoke
Warhol, Unlimited, Musée d'art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président Wilson, 75016 Paris
Tous les jours sauf lundi et jours fériés
Du mardi au dimanche : 10h-18h, nocturne le jeudi jusqu'à 22h
Ouverture exceptionnelle les 1er et 11 novembre de 10h à 18h
Tarifs : 12€ / 9€
Du 2 octobre 2015 au 7 février 2016
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