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Allemagne : le Bauhaus célèbre son centenaire

Lignes épurées et "esprit révolutionnaire"... Bannie d'Allemagne pendant la période nazie, l'école d'art Bauhaus, dont la patte se reconnaît aujourd'hui sur les iPhone ou les meubles Ikea, fête son centenaire en Allemagne, avec en toile de fond un débat politique sur son héritage.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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La "Haus am Horn", première maison du courant Bauhaus, photographiée à Weimar le 14 janvier 2019
 (John MacDougall / AFP)
Weimar, dans l'est du pays, peut, avec ses petites rues pavées et son centre historique propret, sembler un lieu de naissance surprenant pour ce mouvement résolument moderne et minimaliste fondé le 1er avril 1919 par l'architecte et designer allemand Walter Gropius.

Après les horreurs de la Première Guerre mondiale, "les artistes se sont rassemblés pour créer une nouvelle forme d'art, avec des idées très utopiques et idéalistes", explique à l'AFP Anke Blümm, conservatrice du Bauhaus à Weimar. Derrière la doctrine "la forme suit la fonction" - le côté pratique prime sur l'esthétique -, le Bauhaus aspirait à créer des objets ou bâtiments au design accessible à toutes les classes.

Weimar au cœur des commémorations

Cette année, Weimar, également célèbre pour être la ville d'adoption de Goethe, sera le cœur des commémorations du Bauhaus dans le pays, et espère attirer des touristes du monde entier.

Un nouveau musée flambant neuf doit ouvrir au printemps, et la "Haus am Horn", première maison blanche au toit plat caractéristique du courant Bauhaus, construite sur les principes de l'école en 1923, sera de nouveau ouverte au public en mai.

Le courant Bauhaus "est l'une de nos exportations culturelles les plus influentes", a estimé le chef de l'État allemand Frank-Walter Steinmeier lors du lancement des célébrations. Son interdiction par le régime nazi en 1933 a conduit de nombreux artistes à quitter l'Allemagne, créant une diaspora qui a propagé la culture du Bauhaus dans le monde.

Le siège des Nations Unies à New York avec ses lignes pures ou la "Ville Blanche" de Tel-Aviv, classée au Patrimoine mondial de l'Unesco avec ses 4.000 appartements aux façades blanches lisses et aux angles et balcons souvent arrondis, font partie des réalisations les plus connues hors d'Allemagne.

De nombreux objets du quotidien inspirés de l'esprit Bauhaus

Il y a aussi la multitude d'objets de la vie quotidienne de l'époque, notamment les fameuses théières ou les chaises, et les tableaux ou photographies exposés dans les musées. Sans être frappés du sceau Bauhaus, les tables du géant suédois Ikea et la plupart des smartphone ont sans conteste hérité du style.
Une lampe Wagenfeld, une théière Brandt, un tableau de Lyonel Feininger, une chaise Breuer, exposés à Weimar (15 janvier 2019)
 (John MacDougall / AFP)
L'école a compté parmi ses piliers les plus renommés le peintre russe de l'abstrait Vassily Kandinsky et le Suisse Paul Klee, une figure du surréalisme, même si ce dernier s'est par la suite distancié d'un mouvement trop fondamentaliste à son goût. Le Bauhaus était animé par une vision réformiste et inspirée par les progrès technologiques consécutifs à la Grande Guerre.

Bâtir une nouvelle société démocratique sur les ruines de l'empire germanique

Pour l'historien Winfried Speitkamp, directeur de l'Université du Bauhaus à Weimar qui enseigne toujours les principes de l'école sur le même campus qu'autrefois, l'objectif était ni plus ni moins que de bâtir via l'art une nouvelle société démocratique sur les ruines de l'empire germanique. Et ce, à un moment où naissait au niveau politique, également depuis Weimar, une fragile démocratie. "Ils voulaient en finir avec la monarchie très autoritaire et très militariste, poursuit-il.

Comme la République de Weimar, le Bauhaus est rapidement devenu la cible des Nazis dans les années 20. "C'est typique pour l'extrême droite de considérer tout mouvement (...) propageant de nouvelles façons de coopérer et de créer, une ouverture et une diversité, comme quelque chose de dangereux", estime Wilfried Speitkamp.
Reconstitution du bureau du fondateur du Bauhaus, Walter Gropius, à l'université du Bauhaus à Weimar (15 janvier 2019)
 (John MacDougall / AFP)

Débat sur un mouvement qui ne s'est pas engagé contre les pouvoirs politiques

Même si, tempère l'hebdomadaire Die Zeit, le mouvement s'est toujours bien gardé de s'engager contre les pouvoirs politiques quels qu'ils soient, pour conserver le soutien financier vital de l'État. "Gropius insistait sur le fait que son Bauhaus n'était ni bolchevique, ni juif, qu'il était allemand", rappelle le journal, qui critique quelque peu la présentation idyllique faite de ce mouvement à l'occasion de son centenaire.

Il n'empêche, les célébrations sont l'occasion d'un débat dans le pays à un moment où l'Europe et d'autres pays dans le monde subissent des replis nationalistes. "Voulons-nous continuer sur le chemin de la mondialisation (...) ou avons-nous besoin de renforcer nos frontières et de définir une nation par son ethnie ?", déclare Wilfried Speitkamp. "C'est de cela qu'il s'agit avec le débat autour du Bauhaus."

Une controverse en 2018

Il se réfère en particulier à une controverse l'an passé concernant un concert du groupe punk Feine Sahne Fischfilet, bête noire de l'ultra-droite dans le pays, sur le campus du Bauhaus à Dessau, où l'école avait été forcée de déménager en 1925. La Fondation Bauhaus avait annulé à la dernière minute ce concert, invoquant des menaces de l'extrême droite ainsi qu'une volonté de se distancier de "tout extrémisme politique, de droite, de gauche ou d'ailleurs". Une décision très largement critiquée, car trahissant les racines du mouvement. Le concert a finalement eu lieu dans un théâtre de Dessau, qui - comme Weimar - est située dans l'ex-RDA communiste devenue un bastion du parti d'extrême droite allemand AfD.

La fondation a fait par la suite son mea culpa, promettant de rester "un lieu transparent, ouvert et international pour les débats de société dans l'esprit du Bauhaus".

Bauhaus : quelques œuvres emblématiques

- Ville Blanche de Tel Aviv : La dimension architecturale du Bauhaus est sans doute la plus emblématique du Bauhaus. Aucune ville au monde n'a de plus grande collection de bâtiments de ce style que Tel-Aviv, où l'ensemble est inscrit au Patrimoine culturel mondial de l'Unesco. Conçus à partir des années 1930 par des architectes juifs allemands qui avaient fui l'Allemagne nazie, les plus de 4.000 immeubles de la "White City" symbolisent la ville israélienne. Mais contrairement à leurs prédécesseurs construits pour le climat allemand, les immeubles de Tel-Aviv utilisent moins le verre et bénéficient de balcons pour capter les brises de la Méditerranée et lutter contre la chaleur.

- Chaise Breuer : Cette chaise basse a été conçue par Marcel Breuer en 1926. Elle était alors considérée comme révolutionnaire pour son utilisation de tubes en acier courbés et de cuir. Egalement nommée "Wassily", elle ne doit pas ce nom, comme on le pense souvent, au peintre abstrait russe Vassily Kandinsky, compagnon de route du Bauhaus et ami de Breuer : ce n'est que dans les années 80 qu'elle a été surnommée "Wassily Chair" pour des raisons de marketing. 

La théière dessinée par Marianne Brandt, exposée à Weimar (15 janvier 2019)
 (John MacDougall / AFP)


- Théière Brandt : Le Bauhaus défendait une esthétique radicale, mais il avait aussi une vision réformiste de la société pendant l'entre-deux-guerres en Allemagne. Cette école artistique a été l'une des premières à admettre des femmes. Si Walter Gropius, le fondateur de ce courant, voulait les cantonner à des tâches traditionnelles comme le tissage, quelques pionnières comme l'Allemande Marianne Brandt travaillaient des matériaux comme le métal. Elle travaillait des formes simples adaptées à des fabrications en série. Sa théière en métal de 1924, avec un bec verseur placé de façon ingénieuse pour faciliter l'écoulement, a eu un impact, notamment du fait de sa géométrie angulaire qui dégage un sentiment d'harmonie.

Une lampe Wagenfeld exposée au musée de Weimar (15 janvier 2019)
 (John MacDougall / AFP)


- Lampe Wagenfeld : La simple lampe sphérique blanche sur un cylindre et une base en verre est un exemple parfait des lignes lisses et épurées qui font la renommée de Bauhaus. Créé en 1924 par Wilhelm Wagenfeld, ce chef-d'œuvre s'est imposé sur de nombreux bureaux, dont celui de Gropius à Weimar, le fief du Bauhaus. Les critiques ont souvent raillé le fait que cette école de l'épure se soit éloignée au fil du temps de ses racines pour devenir un symbole élitiste. Même de simples copies de la lampe Wagenfeld s'élèvent ainsi à plus de 400 euros.


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