Le paradis new-yorkais des taggeurs voué à la disparition
Plus souvent habitués à fuir la police, les taggeurs de toutes origines étaient invités à peindre librement à 5Pointz, sous le regard admiratif des connaisseurs, des touristes et des passagers de la ligne aérienne du métro passant à proximité.
Courant 2013, l'expérience sera terminée, avec la construction attendue de luxueux gratte-ciels d'habitation.
Pour le propriétaire du site, David Wolkoff, longtemps défenseur des taggeurs, le progrès est inéluctable et beaucoup se réjouiront de ce nouvel apport au marché immobilier new-yorkais.
Mais la disparition de 5Pointz, parfois surnommée la "Mecque du graffiti", marque la fin d'une expérience unique.
"C'est un des lieux plus fabuleux au monde", explique le Français Banga, qui transpire sur un tag complexe, sur un des derniers pans de mur encore intact.
"Je n'ai jamais vu ça. C'est un lieu incroyable. C'est un sentiment de liberté et les gens apprécient. Et on ne fait de mal à personne".
5Pointz sera démoli avant l’été 2013
Mais après 20 ans passés à aider les taggeurs, David Wolkoff a décidé de passer à autre chose.
"Ils ont animé et égayé le bâtiment, lui ont donné un caractère formidable. Nous avons vraiment apprécié. Mais tout progresse, la ville progresse, et en tant qu'homme d'affaires, le temps est venu de profiter de cette croissance".
Deux tours de 47 étages devraient donc pousser sur les ruines des tags, pour un projet de quelque 92.000 m2, avec salles de sport, piscine intérieure, salles de billard, espaces extérieurs et autres prestations luxueuses, pour des appartements bénéficiant d'une formidable vue sur Manhattan, explique-t-il.
Il ne manque plus que l'autorisation finale, et la démolition de 5Pointz devrait commencer avant l'été 2013.
Wolkoff promet qu'il gardera la trace de "la Mecque du graffiti", avec une galerie et des "murs d'art", dans une zone piétonne. Mais rien de comparable à la liberté actuelle d'expression.
"Cela ne peut pas être partout, on ne peut pas avoir des graffitis partout sur les tours de 47 étages", dit-il.
L'incertitude est inhérente aux graffitis, et la mort un jour de 5Pointz était prévisible.
Comme une galerie d’art
Mais pour ses artistes, le bâtiment était devenu au fil des ans une vraie galerie d'art, le temple d'une forme d'art populaire, voire un musée.
"Les gens y viennent pour un enrichissement culturel", explique Andre Pinard, un chargé d'études de marketing, expert des graffitis.
Sur les murs, les visiteurs découvrent les oeuvres de Stay High 149, Cope2, Tats Cru et autres graffeurs, dont certains venus du Brésil ou même du Japon.
"C'est quelque part historique", explique un visiteur, Jay Diaz, 31 ans. "J'aimerais que le bâtiment puisse rester. C'est comme une galerie d'art".
Les graffeurs new-yorkais risquent habituellement une amende, voire la prison. A 5Pointz, ils étaient tranquilles.
Les peintures n'en étaient pas moins rebelles. "Cher MONDE DE L'ART. Quand nous hériterons de la TERRE, TU ne seras pas invité. Love, MA génération", affirme un slogan.
Mais les groupes de touristes, les ventes de casquettes ornées de graffitis et autres marchandises racontent une autre histoire. Le graffiti est aussi devenu un commerce.
Banga se souvient du frisson de peindre sans autorisation, "l'adrénaline, la peur de mourir tout le temps". Mais à 42 ans, désormais père de famille, il préfère vendre des toiles.
Pour les plus jeunes, la mort de 5Pointz ne signera pas la fin d'une passion. "Je me souviens la première fois que je me suis retrouvé sur un toit. J'avais peur, j'ai pleuré", explique un jeune qui se présente comme "Peal GI". "Mais c'est excitant. Vous grimpez, vous désobéissez à la loi. C'est géant".
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