Art brut : les mondes intérieurs de Massou, ermite mué en artiste, disparu au printemps
Jean-Marie Massou est mort le 28 mai dernier à 70 ans, dans sa forêt, à Marminiac, dans le Lot, où il vivait en solitaire. Artiste inclassable, il avait fait l'objet d'un documentaire, mais aussi d'un recueil discographique.
Pendant 45 ans, Jean-Marie Massou, un homme psychotique et solitaire a bâti un monde en creux dans une forêt de châtaigniers du Lot, charriant des pierres, creusant inlassablement des passages souterrains vers un univers fantasmagorique. Si l'art brut est souvent le fait d'esprits où la folie et le tragique sont transcendés dans une œuvre compulsive, alors le parcours de Jean-Marie Massou en est un manifeste.
Massou est mort le 28 mai 2020, à l'âge de 70 ans, retrouvé inanimé parterre dans sa masure au milieu des bois. Cet homme massif, à l'allure inquiétante, aurait pu passer une partie de sa vie en hôpital psychiatrique. Mais une poignée de personnes, dont sa mère, ont pris la peine de l'écouter, de lui donner les moyens de vivre libre et de créer. "Ce qui m'a happé c'est tout l'univers autour de lui : son corps, sa création, sa détermination", explique le plasticien Antoine Boutet auteur en 2009 d'un documentaire remarqué sur Massou, Le Plein pays.
Du travail sur des pierres, des collages et des appels au genre humain
Massou creuse des galeries, déterre des pierres gigantesques qu'il aligne, érige des pyramides ou sculpte des sphinx. Il réalise également des collages. Comme il ne sait ni lire ni écrire, il fixe son "message" sur des cassettes, des centaines de cassettes. Sur ces bandes magnétiques, il raconte la fin du monde, la surpopulation, le désastre écologique, le soleil blanc... Il intime à l'humanité de ne plus se reproduire et d'attendre les extraterrestres pour aller à "Sodorome", ce paradis où les enfants ne souffriront plus.
Deux divinités illuminent son récit eschatologique : Brigitte Bardot et Marie-Ange, "la fille du comte" qu'il a croisée dans son enfance lorsque sa mère travaillait au château de Rubelles en Seine-et-Marne.
Pour lui éviter l'asile, sa mère lui offre la forêt
Dans les années 70, sa mère décide de retourner dans le Lot de ses ancêtres. Elle ne veut plus que son fils de 20 ans soit interné en psychiatrie. Elle achète une vieille ferme entourée d'une forêt de 5 hectares. Un bois de châtaigniers qui deviendra la page blanche sur laquelle va s'inscrire le travail de Massou.
En 1997, "sa mère m'a dit sur son lit de mort : +c'est pas un mauvais garçon+", dit André Bargues, l'ancien maire de Marminiac, village lotois de 360 âmes entre Bergerac et Cahors, qui est ainsi devenu le "protecteur" de Massou pendant près de 20 ans.
L'ex-édile et la nouvelle maire, Rachel French, souhaitent aujourd'hui valoriser l'héritage de l'artiste. "On a du mal à imaginer qu'un homme a pu faire tout ça seul", lance André Bargues au milieu de la forêt de Massou face à une porte de pierre ornée de calices et de fleurs de lys. Un "passage" qui ouvre sur une profonde faille recouverte de larges pierres.
"Une souffrance de l'isolement"
"Il y avait chez lui une souffrance de l'isolement. On le voyait au plaisir de la rencontre", insiste le documentariste Antoine Boutet, qui le filme au plus près durant un an et demi. "Il avait une culture beaucoup plus importante que ce qu'il pouvait laisser paraître", souligne-t-il.
Quelques années plus tard, en 2015 après avoir vu Le plein pays, Olivier Brisson, du label "Vert Pituite la belle" - une association qui "défend les pratiques musicales singulières" - décide lui aussi d'aller à sa rencontre. "Il avait une façon de répéter les phrases, il avait vraiment ses propres gimmicks", souligne le producteur.
Des chansons et un album en 2017
Massou lui confie quelques cassettes de ses chansons qui vont donner naissance à un album en 2017, Sodorome. "Sur la fin, il s'affirmait. Il arrivait à voir le côté esthétique de son travail", confie encore Olivier Brisson. Quelques mois avant de s'éteindre, Massou, cabotin, lançait enfin : "Bien sûr que je suis un artiste."
(Avec AFP)
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