Chéri Samba au Musée Maillol : flamboyance, géopolitique et autoportraits du plus original des peintres africains

Le musée Maillol présente la première rétrospective du célèbre peintre congolais Chéri Samba, couvrant près de cinquante ans de création. L’ensemble des 50 œuvres proviennent de la collection Jean Pigozzi, l'une des plus importantes collections d’art contemporain africain au monde. Inratable.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4min
Tableau de l'artiste Chéri Samba (© Tempora © N. Lobet - PRYZM)

"Chéri Samba veut rendre accessible sa peinture figurative, narrative, il transmet des messages, il s’intéresse aux thématiques sociales, morales et politiques. Ses sujets se sont ouverts au monde. C’est un grand artiste contemporain", explique, à Franceinfo Culture, Elisabeth Whitelaw, co-commissaire de l’exposition et directrice de la collection d’art africain contemporain de Jean Pigozzi. S’il est universel, Chéri Samba est bien ancré dans le réel et dans le local. L’ambassadeur de "la peinture populaire"  vit toujours à Kinshasa. Chéri Samba a quitté l’école à 16 ans pour se lancer dans les enseignes publicitaires et les bandes dessinées. Avant de s'imposer comme l'un des plus grands peintres africains contemporains.

Autoportrait de Chéri Samba ((© Tempora © N. Lobet - PRYZM)

Pour cette exposition monographique, la première depuis celle de 2004 à la Fondation Cartier, on découvre le riche parcours d’un artiste atypique et provocateur. Avec un parcours organisé par thématiques : l’autoportrait comme usage du monde, la femme multiple, Kinshasa, le Congo et l'Afrique, géopolitique, l’histoire de l’art revue et corrigée. Chéri Samba s’est emparé de nombreux sujets avec un humour féroce. Se définissant comme peintre-journaliste, il est le contre-exemple des artistes évoluant dans des tours d’ivoire. Le Musée Maillol lui consacre sa première rétrospective, couvrant près de 50 ans de création. L’ensemble des 50 œuvres exposées proviennent de la collection Jean Pigozzi, l'une des plus importantes collections d’art contemporain africain au monde. 

"Peinture populaire"

Révélé en France en 1989 dans l’exposition Magiciens de la Terre, organisée par le Centre Pompidou, Chéri Samba est une figure essentielle du mouvement de la "peinture populaire" qui a émergé à Kinshasa dans les années 1970. Il n’y a rien de péjoratif dans cette expression. Chéri Samba revendique de s’adresser au peuple. Par le peuple et pour le peuple. En ouvrant son propre atelier en 1975 dans la capitale congolaise, l’artiste expose à même la rue. Pour capter l’attention des passants, il incorpore du texte. "C’est une peinture qui parle, au sens premier", remarque Elisabeth Whitelaw. Quelle est donc "griffe sambaïenne " ? Compositions fortement colorées, l’autoportrait, un thème et un message, l’œuvre est populaire mais pas naïve. 

Tableau de Chéri Samba ((© Tempora © N. Lobet - PRYZM)

Quelle est la place de l’artiste en Afrique ? De Kinshasa aux capitales occidentales, le jeune sexagénaire n’a rien renié de ses engagements. "Quel avenir pour notre art où les artistes vivants sont pour la plupart opprimés ?... Une seule solution ; c’est d’être accepté en France. Il paraît que, un artiste accepté en France est parfaitement acceptable partout dans le monde entier. Et qui dit France, dit le Musée d’art moderne. Oui, mais… ce musée d’art moderne n’est-il pas raciste ???"  Ce texte volontairement provocateur, incorporé dans un tableau faisant partie d’un triptyque où Chéri Samba côtoie Picasso, dit à la fois la situation d’un artiste sous un régime autoritaire mais aussi le manque de reconnaissance, qui passe nécessairement par le regard occidental. Chéri Samba interpelle les consciences.

Rencontre avec Jean Pigozzi

"La toute première fois que j’ai vu un tableau de Chéri Samba, c’était le dernier jour de l’exposition  "Magiciens de la terre"  à Paris, en 1989. Quelle formidable surprise ! Si nouveau. Rien à voir avec la peinture contemporaine que j’avais vue à New York, Paris, Londres ou Berlin. J’ignorais complètement que quelqu’un en Afrique pouvait créer ce type d’art. Je ne connaissais que l’art africain tribal (…) ", se souvient Jean Pigozzi. Depuis, le célèbre collectionneur a acquis 130 œuvres de l’artiste congolais et plus de 11 000 œuvres d'artistes de tout le continent africain couvrant une période allant des années 1950 à nos jours. "Jean Pigozzi a un coup de cœur pour l’artiste et aussi pour l’homme", confirme Elisabeth Whitelaw. L’exposition du Musée Maillol est aussi le fruit de cette rencontre. Une exposition indispensable.

(Chéri Samba, dans la collection Jean Pigozzi, Musée Maillol, 59-61 rue de Grenelle 75007, Paris,  jusqu’au 7 avril) 

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