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Des sculptures d'animaux en pleine nature pour sensibiliser à l'environnement, le projet fou de Pascal Bejeannin

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L'art, témoin du monde : un projet artistique et pédagogique du sculpteur jurassien Pascal Bejeannin
L'art, témoin du monde : un projet artistique et pédagogique du sculpteur jurassien Pascal Bejeannin L'art, témoin du monde : un projet artistique et pédagogique du sculpteur jurassien Pascal Bejeannin
Article rédigé par franceinfo - Marie Herenstein
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Après avoir emmené un ours au Groenland pour parler changements climatiques, Pascal Bejeannin a donné vie à un gorille et une tortue. Deux sculpures en acier recyclé prêtes à partir en Afrique et en Italie, dès que la situation le permettra. "AtsunaÏ Kammak", le film qui relate la première expédition sera diffusé en ligne à l'occasion du festival "Les rendez-vous de l'aventure".

Imaginez... Un ours de métal argenté regarde l'horizon. Il trône, majestueux, sur un iceberg qui dérive lentement dans les eaux de la baie de Disko, au Groenland. Sa patte avant levée donne l'impression qu'il est sur le départ. L'image est superbe et symbolique à la fois. Et si, un jour, ne restait plus que cet ours-là ? Cette sculpture bien réelle, Atsunaï Kammak, est la première d'un projet un peu fou imaginé par Pascal Bejeannin à travers son association Art'Situ : déposer une sculpture d'un animal en taille réel dans le milieu naturel de son modèle, pour questionner l'impact de l'homme sur la planète et sur ses semblables. Elle devient alors témoin du monde, comme cet ours qui assiste, impuissant, à l'inexorable fonte des glaces en Arctique.

Une aventure qui a du sens

L'art pour éveiller les consciences, susciter le débat, rassembler et transmettre. C'est tout cela à la fois que l'artiste jurassien souhaite réaliser avec cette série d'expéditions baptisée "Au revoir camarade", du nom - traduit dans la langue du pays destinataire - de chacune des oeuvres amenées à voyager. "À un moment de ma vie, je me suis dit que sculpter pour une galerie, c’était fini, raconte Pascal Bejeannin, également peintre, dont la notoriété a dépassé son Jura natal pour s'étendre jusqu'à New York ou en Asie. On parle régulièrement de ce qui se passe sur la banquise, dans les pôles, le réchauffement climatique... J’ai voulu aller voir par moi-même. En tant qu’artiste, j’ai trouvé que mon art pouvait véhiculer un message, être un support et un vecteur de rassemblement. C’est du figuratif, donc universel, compréhensible par tous, quel que soit son âge ou son pays." 

Pascal Bejeannin devant une photo du Groenland à l'Espace des mondes polaires. (F. Razy)

Ainsi est né Atsunaï Kammak. La rencontre avec François Bernard, capitaine d'Atka, a permis de réaliser l'aventure groenlandaise. Transporté à la proue du voilier, l'ours a donc d'abord été déposé sur un iceberg avant de retrouver la terre ferme d'où il a pu contempler, pendant une année, l'imposant glacier Jakobshavn vêler quantité de glace.

Faire un ours, le mettre au Groenland sur un iceberg, c’est sympa mais ça n’a pas beaucoup d’intérêt s’il n’y a que ça !

Pascal Bejeannin

"L'idée n'est pas de réaliser une œuvre d’art juste pour faire joli mais aussi pour aller discuter avec les gens sur place." Et ramener de la matière, en l'occurence un film, pour transmettre ce qu'il a vu et la parole de ceux qu'il a rencontrés. 

"Dès qu’on pose la sculpture quelque part, ça interroge. Les gens viennent voir. Ça provoque curiosité et discussions, sur le réchauffement climatique, le tourisme de masse, le problème des déchets, très présent au Groenland... Sinon, les gens ne viennent pas spontanément, c’est d'ailleurs le cas pour de nombreuses ethnies, constate Pascal Bejeannin, qui a roulé sa bosse dans d'autres aventures à travers le monde. Au cours de ces échanges, les Groenlandais nous ont dit que pour eux, le réchauffement ça veut dire une vie plus simple, pêcher plus près de chez eux par exemple." À Oqaatsut, des Inuits, des Danois, des touristes se sont ainsi retrouvés autour d'Atsunaï Kammak, alors que plus un seul ours en chair et en os n'a été aperçu dans le secteur depuis une dizaine d'années (ils restent plus au nord, là où la banquise persiste encore).

Filmer pour donner à réfléchir

À bord d'Atka, Cédric Bejeannin, le frère de Pascal, n'a pas manqué une miette de l'aventure. Réalisateur pour Mizenboite production, c'est à lui qu'est revenu la tâche de filmer l'expédition. Filmer pour montrer de belles choses bien sûr et garder à l'esprit que "l'homme ne fait pas que détruire la nature" mais filmer aussi pour donner à réfléchir. Également éducateur pour des jeunes en difficulté, Pascal Bejeannin tient à la vertu pédagogique de son projet : "Nous, on ne juge pas. On fait un état des lieux au hasard des rencontres. On interroge des spécialistes et on restitue. Sans cacher ce qui n’est pas beau, comme ces décharges à côté du village. Et on montre aussi que c’est en train de changer, qu’il y a une volonté de prendre soin de la planète", précise-t-il. 

Si la pandémie a contrarié le programme, plusieurs classes d'établissements jurassiens ont découvert le film et rencontré ses acteurs. "Les élèves, surtout les plus jeunes, regardent le film avec les yeux qui brillent, s'enthousiasme l'artiste. Et leurs questions sont toujours intéressantes même si elles sont naïves. On croit qu’ils comprennent tout mais ils ont accès à tellement d’informations avec les réseaux aujourd'hui qu’ils ont du mal à faire le tri. L’objectif avec le film, c’est qu’ils puissent se faire leur idée. Je leur dis : "Pensez par vous-même !". Ce qui vous permettra d’agir pour vous-même plus tard, de faire des choses intéressantes et d’être efficaces."

Après un an au Groenland, l'ours Atsunaï Kammak a retrouvé l'Espace des mondes polaires. (M. Herenstein)

Patiné après son année dans les hautes latitudes, l'ours a retrouvé son camp de base à l'Espace des mondes polaires de Prémanon, dans le Jura toujours. Maghan Mui, un superbe gorille à dos argenté, devait prendre le relais et partir traverser l'Afrique d'Ouest en Est à partir du Gabon. La crise sanitaire est passée par là et les déposes dans les parcs naturels africains sont reportées à des jours meilleurs.

L'impact de l'homme sur l'homme

Un temps logisticien pour Médecins Sans Frontières en Afrique, Pascal Bejeannin tient à montrer le continent sous une autre facette. "La scultpure est un prétexte pour montrer ce qui est beau", mais pas seulement. Au delà des menaces sur les espèces animales, dont le gorille est l'un des symboles, c'est l'urgence humanitaire de pays minés par les violences sur les civils qui l'a touché. "Dans le projet Art'Situ, il y a cette notion d'environnement mais aussi la notion de l'humain dans l'environnement et l'impact de l'homme sur l'homme" insiste-t-il. Pour le film de l'expédition, il espère d'ailleurs rencontrer le Congolais Denis Mukwege, prix Nobel de la paix pour son action en faveur des femmes victimes de violences sexuelles. 

Le gorille à dos argenté, Maghan Mui, rejoindra le Gabon quand la situation le permettra. (M.Herenstein)

Une tortue pour aborder la problématique de l'eau

Et puis il y a enfin Hasta luego compañera, la tortue luth, qui devait embarquer sur Atka jusqu'aux Galapagos. Avant d'aller tremper sa carapace dans le Pacifique, la dernière née de l'atelier sera baptisée cet été dans un lac jurassien puis ira rejoindre l'embouchure du Tibre, au sud-ouest de Rome. "C’est le berceau de la civilisation moderne et on veut voir ce qu'on a fait de ce que nos ancêtres ont construit explique Pascal Bejeannin. Là encore on va interroger des scientifiques, des pêcheurs, des gens qui vivent là et aborder le problème des microplastiques en mer notamment."

Hasta luego companera, la tortue luth, sera baptisée dans un lac du Jura avant de rejoindre l'embouchure du Tibre. (M.Herenstein)

Ce bestiaire en acier ne demande qu'à s'agrandir encore. Un huemul (cerf des Andes) est en projet. Et un félin déjà façonné devrait se transformer en lynx et s'installer dans une forêt du Jura. Même s'il est bien conscient que les questions environnementales ne sont pas priroritaires pour tous, notamment pour ceux dont la préoccupation première est de se nourrir, Pascal Bejeannin est confiant "Tous ceux qui veulent changer quelque chose peuvent le faire, même quelqu'un comme moi, simple Jurassien. Il faut avoir la volonté, rester optimiste et y croire. Alors c'est possible !"

Le film "Atsunsaï Kammak" sera présenté au 6e festival « Les rendez-vous de l’aventure » de Lons-le-Saunier (festival 100% en ligne cette année) du 18 au 31 mars (tarif 5€ pour 24h).

Pascal Bejeannin expose à la Galerie 2023 de Lons-le-Saunier jusqu'au 4 mars.

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