Victoria Mann, directrice du salon d'art contemporain AKAA : "Il n'y a plus une grande institution au monde qui n'a pas d'artistes africains dans ses collections"

Pour sa 9e édition, plusieurs artistes ultramarins français sont invités à une foire d'art contemporain devenue la vitrine des créateurs originaires d'Afrique mais aussi de ceux issus de sa diaspora.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Victoria Mann est la fondatrice et la directrice du salon AKAA. (AUDREY MBALLA)

AKAA (Also Known As Africa) s'est imposé comme le grand rendez-vous français de l'art contemporain centré sur l’Afrique. Cette année, les œuvres de près d'une centaine d'artistes contemporains, dont une trentaine de femmes, sont exposées au Carreau du Temple à Paris, du 18 au 20 octobre. Entretien avec la directrice et fondatrice de la foire, Victoria Mann. 

Que réserve à ces visiteurs cette 9e édition d'AKAA ?
Victoria Mann :
Pour un salon, se renouveler tous les ans constitue le grand défi. Nous avons cette année 50% de nouvelles galeries, c'est important pour nous parce que cela montre qu'il y a une offre plurielle et riche sur ces scènes que nous voyons et défendons à AKAA. En outre, nous persévérons dans cette volonté de présenter des scènes qui ont un lien qualifié par l'histoire, l'héritage et la mémoire avec l'Afrique. Ainsi, cette année, nous faisons la part belle aux scènes des territoires ultramarins notamment les Antilles françaises, la Caraïbe et les territoires d'Outre-mer. Enfin, nous accueillons au sein de notre espace VIP la série photographique Queer Black & Loved, un beau projet porté par The Norm Queer Agency qui met en avant la communauté LGBTQ+.

Pourquoi cette invitation à ces artistes ultramarins français ?
Elle s'inscrit véritablement dans une continuité. L'année dernière, nous avions fait un coup de projecteur sur la diaspora américaine. L'année d'avant, nous avions accueilli des artistes d'Amérique Latine. Cette année, c'est au tour de la Caraïbe d'être mise à l'honneur. La volonté d'AKAA, c'est de faire en sorte qu'il soit naturel de présenter ces scènes en dialogue avec celles d'Afrique. 

"Bon dié" de Stéphanie Hoareau, 2023, 210 x 180 cm, peinture acrylique et huile sur toile. (AHIO & STEPHANIE HOAREAU/COURTESY AHIO)

Sur les 36 galeries présentes cette année, moins d'une dizaine vient du continent africain. C'est donc toujours compliqué pour les galeristes africains de se positionner sur cet art contemporain qui reste encore découvert, montré sur des scènes occidentales, du moins exposées par des galeristes occidentaux...

Il y a beaucoup de clients sur le marché international et sur le continent qui accomplissent un travail absolument phénoménal de découverte et de mise en avant de ces artistes contemporains africains. Effectivement cette année, nous avons moins de galeries qui viennent directement du continent. Mais la problématique est malheureusement plus complexe. D'abord parce qu'il faut de très gros investissements dans un marché qui est de plus en plus difficile, particulièrement cette année. D'une part, les galeries africaines ne peuvent pas toutes se permettre ce type d'investissement. Participer à AKAA, par exemple, coûte entre 10 et 20 000 euros. D'autre part, nombreuses sont les galeries qui investissent localement. Enfin, il est de plus en plus compliqué d'obtenir des visas. On a malheureusement une galerie ougandaise dont les œuvres seront là mais dont le représentant n'a pas pu avoir de visa pour la France. 

28 femmes artistes sont à découvrir cette année à AKAA. Vous êtes très attentive à cette présence...
Chaque année, nous avons une belle proposition d'artistes femmes. Personnellement, j'y suis très sensible. J'aime pouvoir montrer et défendre le travail des femmes. C'est une volonté de la direction de les mettre en avant d'autant que l'on reste sur un marché dominé par les hommes. Nous veillons immanquablement à ce que les artistes femmes soient bien représentées à AKAA. 

"Nourrice" de Fatiha Zemmouri,  2022, 100 x 100 cm, Terre et pigments sur bois, (ALEXANDRE ISMAIL/ NOSBAUM REDING/COURTESY FATIHA ZEMMOURI & NOSBAUM  REDING)

L'artiste camerounais Malam est, cette année, l'auteur de l'installation monumentale. Qu'est-ce qui interpelle dans son art ?
Tous les ans, l'invitation à l'artiste de l'installation monumentale se fait sur proposition des galeries participant à la foire. La 193 Gallery nous a fait cette suggestion et nous avons été séduits. Nous avons échangé avec Malam, écouté son propos qui aura un écho assez important dans le monde d'aujourd'hui. Son œuvre parle de mémoire dans l'objet, dans le souvenir créé par les objets et en même temps de surconsommation. Elle est conçue à partir de matière recyclée en dialogue avec l'art digital. En outre, on essaye de proposer des médias et des types d'installations différents d'année en année. La proposition de Malam tombait bien parce que cela faisait assez longtemps que nous n'avions pas eu une sculpture monumentale. 

Que se dégage-t-il de cette 9e édition au regard des œuvres qui y seront exposées ? 
J'ai tendance à essayer de pas faire trop de généralités de ce type parce que la qualité première de l'art contemporain, c'est la capacité de chaque artiste à être unique dans sa pratique. Néanmoins, s'il y a une chose que je peux tirer des œuvres qui m'ont le plus touchée dans cette dans cette édition, c'est l'idée qu’il y a encore de la douceur et de la poésie dans le monde. Beaucoup d'artistes font preuve d'une très grande poésie, un mot que j'aime bien, dans un monde clivant. Ces artistes réussissent à redonner espoir sur le dialogue. 

L'installation monumentale de l'artiste camerounais Malam à AKAA au Carreau du Temple, à Paris. (AKAA/CARREAU DU TEMPLE/MALAM&193 GALLERY)

Comment se porte cet art contemporain africain que vous défendez depuis bientôt une décennie ?
Nous avons plutôt réussi notre pari. Il y a dix ans, quand on a démarré, le marché était émergent. À Paris, place compliquée, beaucoup de personnes ont fait preuve de curiosité. Mais aussi de doute : effet de mode ? Est-ce que ça allait retomber comme un soufflet ? La réponse est non, force est de constater que le marché se porte bien, qu'il se stabilise, que ses fondations se renforcent, qu'il est de plus en plus visible partout dans le monde, y compris en Asie et en Asie du Sud-Est. L'évolution est positive parce qu’il y a tout un panel d'acteurs, dont on fait partie, qui effectuent un travail de longue haleine.

Ce sont plusieurs personnes, plusieurs structures et plusieurs écosystèmes artistiques, à la fois sur le continent africain et à l'international, qui travaillent sans relâche depuis une dizaine d'années. Aujourd'hui, tout cela porte ses fruits. Il n'y a plus une grande institution au monde qui n'a pas d'artistes du continent dans ses collections. Les artistes contemporains d'Afrique et de sa diaspora se retrouvent de manière indéniable sur le marché secondaire, à savoir les maisons de vente. Et ces artistes rentrent petit à petit dans de très grosses galeries, leaders du marché, comme Gagosian, Pace, White Cube ou encore Victoria Miro.

Affiche de l'édition 2024 de la foire AKAA. (AKAA)

Cette scène se renouvelle-t-elle au-delà des grands noms qui l'ont faite et restent des références ?
Oui, les jeunes générations arrivent. Néanmoins, Toguo, El Anatsui, William Kentridge, Yinka Shonibare sont toujours là et de plus en plus appréciés. Ils ont des cotes qui montent de plus en plus. 

L'organisation de cette foire est-elle toujours aussi complexe qu'à vos débuts ?
Voilà neuf ans que nous tenons ce salon, nous sommes rodés. Mais ça fait aussi neuf ans que l'événementiel, de manière générale, fait face à un monde qui rend les choses de plus en plus difficiles. Nous gérons et contournons cela comme on peut. 

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